jeudi 23 avril 2009

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Le temps de la soirée nous étions positionnés comme cela et ça n'a pas vraiment bougé jusqu'au moment de dormir. Il m'a dit que c'était la première fois qu'il s'asseyait sur le canapé rouge et qu'à chaque fois que des gens viennent ils prennent le rouge et lui le bleu. Je me sentais unique, ça contrebalançait avec le fait que j'avais pu dire comme beaucoup d'autres qu'il habitait un motel comme dans les films américains.

Sur les coups de 6 heures je suis allée enfiler mon pyjama composé d'un pantalon fleuri et d'un t-shirt blanc dont la fonction reste assez neutre car il m'arrive de le porter sous des chemises et puis un long gilet bleu marine en laine de mérinos pour me couvrir et parce que ça peut arriver qu'on distingue trop bien mes seins à travers le t-shirt.

On parle des personnes qui n'acceptent pas d'aller au cinéma toute seule, qui trouvent ça triste. Ces personnes qui "aiment bien partager leurs impressions". Je lui dis oui, c'est très révélateur du rapport qu'elles entretiennent avec le cinéma, oui, je dis que pour ces personnes-là le cinéma est une sorte de passage obligé avant d'aller au restaurant, de salle d'attente. Oui voilà c'est ça. Un peu plus tard, au moment de couper le pain il me demande si je veux le croûton je réponds non merci, et en ayant une personne en tête je lui dis "souvent les personnes qui aiment le croûton sont les mêmes qui aiment aller au cinéma accompagnées", il rigole et il dit que c'est vrai, il dit que la personne à laquelle il pense c'est le cas, je lui dis que moi aussi, la personne à laquelle je pense c'est aussi ça; c'est assez drôle.

Je me suis rendue compte que je posais assez souvent des questions très simples aux gens, des questions dont les réponses m'intéressent toujours énormément; je me souviens de quelques unes posées à A. T'aimes voyager?, tu dors à quelle heure?, tu dors comment?, tu lis quoi en ce moment? tu regardes beaucoup la télé? tu fais quoi quand t'as du temps libre comme ça? tu vas souvent au cinéma?, tu cuisines souvent? tu bois souvent du Coca light?, etc.

En mangeant son dessert il me dit que quand on boit de l'alcool on n'a jamais envie d'un dessert après, que le corps transforme l'alcool en sucre. Qu'après une cuite, le matin, on a envie d'un steak mais pas de sucré.

Je mets beaucoup de sel dans mes plats et beaucoup de sucre dans mon café. Il me dit que le café ça se boit sans sucre. Il dit que c'est comme le coca light, une fois qu'on en a goûté on peut pas revenir au Coca avec du sucre. Je lui promets qu'une fois chez moi je me ferai un espresso sans sucre, dans ma tête je suis secrètement pressée d'essayer, à la fois pour voir si j'arrive à aimer et pour le plaisir de lui obéir. Aimer le café c'est l'aimer sans sucre et ne le supporter qu'avec du sucre c'est ne pas vraiment aimer ça mais plutôt aimer un mélange.

Je lui demande pourquoi il ne comprend pas quand des voisins viennent se plaindre quand il fait du bruit. Il me dit quelque chose de très neuf et de très intéréssant, il dit : ça ne me dérange pas quand c'est pour que je baisse la musique que j'écoute trop fort comme maintenant (on écoutait les Pixies vraiment très fort) mais quand ils me font chier quand je joue du piano je supporte pas, je supporte plus. Puis il dit quelque chose d'encore plus précis, d'encore plus jouissif. Il dit,
et puis quand la personne se déplace et vient frapper à la porte ça me dérange pas, on discute, je lui explique. Mais quand c'est des gens qui donnent des coups sur les murs, en plus tu sais pas d'où ça vient, d'en haut ou d'en bas, (il mime les directions avec son index et ses pupilles), il y a quelque chose de malsain à donner des coups. Il me raconte qu'une fois un type a donné des coups pendant qu'il était en train de jouer, et qu'en plus il était dans les 11h du matin si je me souviens bien, et qu'après ça il n'a plus touché au piano pendant longtemps. Il me dit, sur le coup ça va tu acceptes mais c'est après que tu te rends compte que ça t'affectes énormément, que ça t'inhibes, que ces gens sont dangereux. Il ajoute, "je lui en ai voulu". La prochaine fois qu'on me refait ça j'irai voir la personne parce que je supporte plus ces coups qui viennent de nulle part. C'était libérateur de comprendre au détail près ce qu'il essayait de faire passer.


Entre ce qu'il me disait de son travail et puis cette histoire sur la prison que pourrait constituer la vie en appartement je me disais que tout le potentiel de vie et de création de A. s'en trouvait gâché, qu'il était ultrasensible et qu'il se fanait dans une vie aux codes étriqués et qui ne lui correspondaient pas. J'avais en tête l'image d'une fleur froissée, sur laquelle on se serait assis et qui garde quelques vestiges d'une beauté bafouée. Je me suis demandé en quoi je pouvais contribuer à le faire aller mieux, non pas à lui remonter le morale, ni à lui changer superficiellement les idées, je pensais à quelque chose de plus ambitieux. Je me demandais si une personne comme moi, gâtée, protégée, choyée et vide d'expérience pouvait servir à quelqu'un d'aussi indépendant et libre que A.. Il donnait l'air de souffrir sur place, avec ses regards dans le vide un peu amer, des remarques vagues mais pleines de sens prononcées d'une voix déclinante.

2 commentaires:

Gringo a dit…

J'ai sorti récemment à une fille qui prenait son café sans sucre : "J'ai lu qu'aimer le café c'est l'aimer sans sucre. Mais je sais plus qui a écrit ça". Une recherche google me rappelle que c'était en fait tiré d'un blog de lycéenne.

Inutile de dire que j'ai pas pécho. Merci les tranches.

Murielle Joudet a dit…

On fait le beau et après on vient se plaindre El Gringo? hihihi