mercredi 15 avril 2009

"Il est heureux que j'aie la possibilité d'une évacuation quotidienne, par le journal, d'une écriture, même mineure, même déviée ou recouverte, sans elle je serais désespéré, peut-être déjà mort."
Hervé Guibert - Le mausolée des amants

Harold & Maude au cinéma, une histoire mignonne sur fond de Cat Stevens, une histoire peut-être même beaucoup trop mignonne, qui ne marche pas, en tout cas pas sur moi. Une sorte de Juno 70's à l'humour incompréhensible. Je n'accroche pas, et je suis triste de ne pas accrocher car j'ai pourtant un a priori positif sur tout film en provenance des années 70 mais ce bon a priori finit par se retourner contre ces films. Midnight Cowboy reste l'indétrônable.

Mcdo St-Michel, l'hôtesse de caisse est belle et douce, blonde. Je regarde sa nuque en train de me préparer mon cappucino. Sorte de complicité blonde/brune au moment de lui dire au revoir, en tout cas c'est comme ça que je le ressens.
Finalement bénéficier de la connexion Wifi du Mcdo se révèle avoir un prix, celui de la boisson.

Bizarre de se retrouver dans un lieu publique avec un objet aussi familier que mon ordinateur, je ne l'ai jamais vu autre part que poser sur mon lit, dans ma cuisine ou au salon, ici il est exposé aux regards de tous, c'est un peu comme surprendre un proche dans un univers publique que l'on a toujours côtoyer seul, choc des rencontres.
Nous attendons Marie qui prend son temps pour arriver. J'ai internet mais Cécilia et Charlette s'ennuient et finissent par inventer des jeux insensés. J'écris à G., j'écris à A., j'écris à Julie partie à Rennes, j'écris à mon professeur de philo, j'écris sur mon blog et sur le forum. Au moment de partir j'ai le sentiment d'avoir tout accompli, d'avoir tout bien fait mais comme d'habitude ce travail ne tient qu'un temps et demain il faudra encore répondre à d'autres mails, actualiser tout ça. Internet est une course interminable, ne plus avoir de connexion est impardonnable.

Nous mangeons au restaurant chinois à St-Michel, c'est jour de fêtes et nous prenons toutes des menus, nous mangeons dehors. Beignets de riz soufflet, poulet à l'impériale, glace café vanille. Nous vivons la venue progressive de la nuit et la venue progressive des enseignes lumineuses qui domptent l'obscurité. Aujourd'hui encore, et ce depuis bientôt 2 ans, la richesse de nos sujets de discussion est inépuisable.

A. m'a appelé deux fois vers 19h30. Voir ces deux appels en absence sur mon portable est comme voir se retourner la situation : cela a toujours été moi qui le réclamait,qui avait besoin de lui, et les appels en absence me font miroiter le contraire, je le sens déçu à l'autre bout du téléphone, dans un état d'attente et de contrariétés dans lequel j'aimerais pouvoir le laisser languir. Seulement laisser ses messages sans réponse m'est plus insupportable qu'à lui, je sais qu'il s'en fiche. Je ne le rappelle pas tout de suite, je préfère lui envoyer un sms pour lui demander si je pouvais le rappeler plus tard. J'aimerais être au calme pour lui parler, le trac me fera lui demander de répéter à chaque phrase, je ne serais pas "au top, je ne me sens pas capable de gérer deux dimensions en même temps, l'extérieur et l'intérieur du téléphone. J'ai toujours redouté de l'avoir au téléphone, il m'impressionne encore trop et avec le temps ça ne se calme pas. Tout travail de relativisme est inutile : le considérer comme ce qu'il est, c'est à dire une sorte d'ami rare comme on parlerait d'oiseau rare, ne calme en rien ma fascination, ma timidité, cette façon que j'ai de ne pas me sentir naturelle en lui parlant, de jouer le rôle de la jeune fille. Je travaille à détruire tout cet amas de fantasmes pour ensuite mieux reconstruire, reconstruire quelque chose qui se rapprocherait d'une saine réalité, mais je me confronte à mon impuissance, à l'inefficacité.
A ma proposition de le rappeler à 22h il répond "Minuit".

Je le rappelle à minuit dix, je le pensais chez lui mais il est entouré d'amis, j'ai peur de paraître ridicule, la fille qui appelle à l'heure, qui est seule chez elle et qui croit des choses pendant que les amis attendent, peur de ne "rien lui dire". Il me propose qu'on se voit pendant mes vacances, puis l'invitation se précise, il aimerait que je vienne dîner chez lui un soir et je pourrais même dormir. Je n'accepte pas tout de suite, je suis encore surprise et je préfère attendre de mentir à ma mère pour confirmer l'invitation. Cette invitation est l'aboutissement de notre belle relation, nous nous connaissons à peine, disons que ce qu'il connaît de moi et ce que je connais de lui est à 50% de la projection, à 50% de la réalité, et nous nous en tenons à cette équilibre, nous construisons là-dessus.
A chaque fois que je le vois il apporte avec lui un univers si neuf, en décalage avec la ritournelle du quotidien que chacune de nos rencontres est autant de petits îlots de liberté où personne ne se doit rien et où la bienveillance règne. On ne fait que parler, qu'échanger, on se distrait de nos vies respectives, puis on ne se voit plus pendant des mois et on reprend contact par hasard.
Je lui rappelle que je n'ai plus internet, que je le lui ai dit dans mon mail, il ne s'en souvient plus, je suis un peu vexée d'autant plus que le mail, écrit dans l'urgence, ne faisait pas plus de dix lignes et qu'il date d'il y a seulement quatre heures. Ce manque d'indulgence le caractérise assez mais dans l'idée qu'il ne s'adresse pas seulement à moi je ne le prends pas comme une offense personnelle. Je ne sais pas réellement ce qu'il veut, il me veut chez lui à dîner, mais il ne m'écoute qu'à moitié. Par contre il se souvient de mon avertissement de travail l'année dernière alors que mon propre père n'est pas au courant, j'oublie la première mésaventure, je lui souhaite bonne nuit.

C'est un peu ridicule mais je pense à la tenue que je porterais pour aller le voir, je pense à la tunique neuve trouvée chez Bershka, bleu marine, un peu vaporeuse, manches chauve souris, col de chemise. Je sais qu'il reste très sensible aux apparences féminines, très exigeant, et que les conseils qu'il me prodigue je les reçois comme provenant d'une sorte d'opinion commune masculine. Je sais que ses remarques sont celles d'un homme aux critères de beauté d'une exigence sans pitié, semblable à celle des enfants qui jugent d'une chose "belle" ou "pas belle" sans jamais plancher sur un juste milieu. J'éprouve encore le besoin de le séduire, je sais que ça compte pour lui, je sais que ça compte d'avoir devant soi quelqu'un de présentable, que cela pèse pas mal sur le bilan de la soirée. Je pense d'ailleurs que devant la beauté ou son absence nous restons nous aussi sévère comme des enfants, on ne pardonne pas vraiment à la laideur. La beauté est purificatrice, donne l'impression que le fond de notre oeil se nettoie. Si je dors chez lui cela demandera beaucoup d'organisation, déjà que me rendre présentable demande du travail mais me rendre négligemment présentable (cette façon de rester présentable, de paraître encore bien habillée en pyjama au moment de dormir chez quelqu'un)...
Bien lire est aussi important que bien manger, cela influe sur mon humeur. Si je lis bien alors j'écris bien car je suis directement influencée par mes lectures, cette nouvelle façon d'écrire, par fragments, par tranches, c'est à Hervé Guibert que je la dois. En ce moment je suis bien, je suis "heureuse" parce que ce que je lis est bon, ce que je mange aussi, et parce que j'écris tous les jours et que ça c'est un remède inestimable contre la tristesse et la frustration.

Page 161, message d'Hervé Guibert à mon intention.
Discussion avec T. sur le but de la publication [...] l'idée de ne pas être publié dépasse l'idée de mon corps rongé par les vers. Il ne s'agit pas de postérité, mais de l'assurance vague, presque abstraite, de rencontre, dans le temps, à des fuseaux divers (non plus horaires, mais annuels, et peut-être centenaires), même si le livre n'a jamais été réédité, même si le stock a été pilonné, même si la plupart des exemplaires ont été détruits dans le feu ou ramollis par l'eau des égouts, et la plupart des caractères effacés, d'un lecteur, d'un seul lecteur, d'un jeune homme ou une jeune fille, un vieillard, un enfant, d'un exemplaire réchappé qu'il prendra entre ses mains, et que cette parole, cette voix se remettra à vivre, pour quelque temps, dans son corps, avant de se refiger en surface morte, compressée, inutile, qu'elle sera encore une fois redéployée, et célébrée par sa lecture, cette action physique de l'écriture, cette matière, ce temps perdu, comme à prier, et qu'il aimera, qu'il sera sensible à l'amour, mais peut-être je l'explique encore mal, je l'amoindris. Je serais tenté de dire : s'il n'y avait cette assurance, cet espoir d'un seul lecteur, un jour, je n'écrirais plus, mais j'écrirais encore moins s'il n'y avait pas d'amour à raconter, car c'est l'amour que j'ai envie que ce lecteur-là discerne."

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