Je pense aussi que des choses peuvent se dire du shopping, qu'on peut en déduire quelque chose de positif devant ces femmes qu'on estime généralement en train de "se ruiner en fringues qu'elles ne veulent même pas".
Ce samedi j'ai rejoint ma mère à Saint-Lazare, c'est toujours là que je vais quand elle veut m'acheter des habits ou quand c'est les soldes. Tout le monde a son lieu de shopping, c'est à dire d'importante concentration de magasins. Ce sont souvent les mêmes, on va de l'un à l'autre, ils ont leur hiérarchie, si on ne trouve rien ici on ira là-bas. De mon côté je commence toujours par H&M, j'éprouve une sympathie particulière à l'égard de ce magasin et qui provient en partie du fait que tout le monde dénigre cette marque : la qualité, le monde, les collections importables depuis bien trop longtemps. Ma grande fierté à toujours été de réussir à y trouver des choses et pas seulement de mon point de vue, j'ai en tête ma soeur assise devant son ordinateur et devant qui je dépliais mes achats, Lucia avec qui j'attends toujours de me retrouver aux toilettes pour lui demander/qu'elle me demande "tu l'as acheté où?", je lui ai toujours répondu "H&M", et elle m'a toujours répondu "ah bon? On dirait pas". H&M est le meilleur exemple du shopping vécu comme une chasse aux trésors et du vêtement-trouvaille qui vient clore d'intenses recherches. C'est ce plaisir là, du vêtement gagné à la sueur de son front que nous quêtons. Il y a tout un moment d'infini plaisir qui se déroule entre l'instant de l'achat et le moment de la redécouverte où on le sort du sac. Au pire, ce moment de redécouverte s'épuise une fois le vêtement plié et intégré dans l'armoire, au mieux le vêtement reste une source inépuisable de surprise, de plaisir à le voir et à le porter, on désire le porter en même temps qu'on le porte. Dans ces cas-là le vêtement nous semble à chaque instant étranger, insaisissable, il dégage sa personnalité, son corps propre, il semble nous snober légèrement et ne se mélange jamais vraiment avec le reste de l'armoire. Il n'est pas seulement rangé, il est aussi en mouvement : on ne cesse de s'imaginer le porter, on se figure des scènes quotidiennes avec lui sur le dos, on l'inclut dans un ensemble.
Elle était encore à son anglais et j'avais un peu de temps pour faire mon repérage, choisir les jolies choses et passer à la caisse une fois qu'elle serait arrivée, ça permettrait de lui épargner les tâches estimées ingrates : c'est toujours pénible d'accompagner quelqu'un faire du shopping, c'est une activité égoïste par définition, qui n'est soucieuse que de la personne qui l'exécute, y être accompagné ne présente aucun intérêt puisque tout le monde ne pense qu'à ce qu'il va trouver. Je sais que quand ma mère me demande si quelque chose lui va je ne peux me livrer qu'à une réponse molle.
Le shopping se révèle être une tâche ingrate pour les femmes : il se caractérise principalement par de l'attente et l'attente n'est pas souhaitable, d'abord elle fatigue, ensuite elle nous rend sensible à l'idée que nous sommes plutôt quelconques et pourvues de désirs prévisibles. Le shopping, combine le "chacun pour soi" et le"chacun son tour", l'idée est insupportable. Pourtant on continue d'en faire pour le moment si agréable de la trouvaille. Faire glisser des cintres de droite à gauche, s'arrêter puis lentement identifier l'objet, le voir correspondre à l'ensemble de nos exigences, le voir devenir réel entre nos mains, comprendre que l'essayage ne sera qu'une accessoire précaution devant la perfection du vêtement et avoir le sentiment que toutes celles qui sont autre part dans le magasin sont en train de se tromper.
J'ai fait la queue pour les cabines d'essayage, j'ai fixé le look de la fille qui était devant moi, de ces filles qui combinent baskets colorées et trench. Quand il y a trop de monde ça m'arrive de sortir mon livre même si je trouve ça un peu incongru, je me dis qu'il faut estomper le choc de l'attente d'une manière ou d'une autre et que je ne fais rien de mal. La nana a compté les cintres, je suis entrée dans la cabine, j'ai tout placé sur les patères et je me suis déshabillée en fonction de ce que j'avais à essayer. Chez H&M il y a un interrupteur qui permet de changer l'intensité et le ton de la lumière pour pouvoir mettre en situation l'article essayé. La cabine d'essayage est le moment d'un retour à la vérité de son corps avec ce que ça comprend de bonnes ou de mauvaises surprises. Là où l'on s'accorde chez soi quelques petits arrangements d'éclairage ou de miroir s'arrêtant au portrait, la cabine d'essayage est sans pitié pour nous. Tout nous invite à observer notre corps de manière précautionneuse, on peut même difficilement faire autre chose : le mobilier est précaire, un miroir un tabouret ou un banc, des patères, parfois seulement le miroir, bref, on finit par s'y tourner et par vite se rendre compte qu'on n'est jamais vraiment en règle avec son propre corps.
Je suis repartie avec trois trucs, selon mes critères je venais de faire "de raisonnables folies", à tenir les sacs dans la main on éprouve le plaisir toujours constant de s'être refaite une panoplie, un déguisement, de pouvoir presque devenir une autre. Plaisir encore plus délicieux du trou de mémoire au moment de repenser à ce qu'on a acheté. Puis on se souvient et on se rend compte que des trois c'est le vêtement qu'on préférait. En accompagnant ma mère aux Galeries Lafayette je ne pouvais éviter de me confronter aux irritantes remarques des femmes qui se plaignaient naïvement du "monde qu'il y a" comme si depuis le temps qu'elles sortent le samedi elles ne s'étaient pas rendues compte de la chose et comme si à chaque fois il s'agissait de les tromper; donc, pour une bonne fois pour toutes: oui mesdames, les magasins sont bondés le samedi. Et mieux encore: vous contribuez à ce qu'il y ait du monde. Expérience donc hautement instructive du shopping qui me révèle la banalité de mes petits désirs et de mes distractions, mon propre corps ainsi que ma contribution à ce que j'appelle sans jamais m'y inclure, "la foule".
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