dimanche 12 avril 2009


Ce matin j'entends mon père broncher, tous les soirs il s'endort sans que je sois là. Je me souviens des vacances précédentes, j'étais restée plus d'une semaine sans le croiser. Quand il partait au travail je m'endormais, quand je revenais de mes journées de temps libre il dormait déjà. Ce matin je l'entends me dire "faut que t'arrêtes de sortir comme ça tous les soirs", je crois lui avoir demandé "pourquoi ?" car il m'a répondu "parce qu'il y a le bac à la fin de l'année". Encore dans mon lit et déjà énervée, je lui ai répondu "je vois pas le rapport". Quelques minutes après il fallait s'attendre à voir débarquer ma mère, il était 10h20, la messe était à 11h.
Ma mère m'oblige à aller à la messe pour les grandes occasions, disons pour Noël et pour Pâques, "après je vous demande plus rien", il y a en fait plusieurs choses qu'elle nous demande en ajoutant "après je vous demande plus rien". Je crois que c'est ma grand-mère qui l'oblige à nous y emmener. A chaque fois qu'on est au Liban on fait la promesse d'aller à la messe tous les dimanches, c'est une promesse vague et qu'on sait ne pas pouvoir tenir. Au Liban c'est quelque chose de très naturel d'aller à la messe, qu'on fait par habitude, c'est à dire qu'on ne se sent pas faire, et puis les messes durent 40 minutes.
Nous sommes arrivés à l'église à 11h20. Il y avait du monde jusque dans l'encadrement de la porte d'entrée, toutes les femmes à poussettes étaient recluses au fond de l'église et une voix monocorde dont on imaginait provenir du devant résonnait dans l'église, des bébés chialaient de partout, ce bruit ça fait partie du déroulement de l'église, ils sont là, ils pleurent comme des fous, on dirait qu'ils entrent en transe, à chaque fois je dis à ma soeur "c'est Rosemary's baby", je crois qu'elle n'a pas vu le film mais qu'elle comprend, j'avais dû lui expliquer la scène avec le landau noir et en surimpression on voyait le visage du diable. Je suis restée debout pendant une heure en face d'une statue de Sainte-Germaine, je n'ai pas esquissé une prière, je n'ai fait aucun geste, je n'ai pas communié, j'ai attendu, j'ai regardé les coupes de cheveux des vieilles dames, je me suis demandée si elles votaient FN, je les imaginais ne pas regarder mielleusement autre chose que les enfants et les animaux de compagnie, enfin j'ai observé si le discours du prêtre collait avec mon cours de philo sur la religion. Il y avait surtout des vieux ou des très jeunes, les premiers commençaient peut-être par prendre conscience de la nécessité de se soumettre à une discipline religieuse qui collait bien avec les inquiétudes inhérentes au vieil âge , les deuxièmes étaient encore en train de subir leur éducation religieuse, mais les jeunes n'étaient pas là et on comprenait pourquoi : quand on a tout, quand on se trouve au centre de la vie il n'y pas vraiment besoin de religion, j'avais donc envie d'être ailleurs.

En rentrant, j'exécute des activités vides, des activités-outils : je scanne mes cours de philo, je nettoie ma besace Upla : l'eau qu'elle dégorge est légèrement grisâtre, c'est ce que je m'attendais à voir, cela fait du bien de voir cette eau sale glisser dans le siphon, c'est une vision apaisante, comme nettoyer le dessus d'une télé, quelque chose se calme en nous. J'écoute le masque et la plume, mon père rentre et nous mangeons tous ensemble, les plats rassemblés sur la table sont sans aucune cohérence, pas d'entrée ni de plat principal, tout est déjà sur la table, on sépare simplement le salé du sucré, pas de hiérarchie.

Le masque et la plume,
j'ai déjà croisé Xavier Leherpeur dans le métro. Il était au téléphone, je me suis dit "ce mec je le connais, sa voix, c'est pas possible". Il était habillé très coloré, il faisait très gay. Il a fini par épeler son adresse e-mail par téléphone xleherpeur@quelque chose, j'ai cherché le nom mon google mental, oui c'était lui. Je ne pouvais rien faire et encore moins le raconter à quelqu'un, qui ça pouvait intéresser, même moi ça ne m'intéressait pas, je ne pouvais rien faire, le "scoop" tombait dans le vide. Je me dis, ce serait stupide d'adresser la parole à un journaliste, un journaliste n'est pas une célébrité, il s'efface.

Je demande à ma mère si elle veut un café, je lui fais un café et je m'en fais un dans la machine, le café s'appelle columbia, il est très parfumé, très corsé. Le matin je prends plutôt une dosette de café "petit-déjeuner", c'est le seul café qui s'écoule dans la tasse en grande quantité, il remplit 3/4 d'un grand mug. Le café n'est jamais tendre avec moi, je pense qu'avant j'esquissais une sorte de grimace face à son amertume et puis au fur et à mesure que l'on grandit la grimace s'estompe et s'intériorise, pour anticiper l'amertume je mets beaucoup de sucre, comme pour l'apprivoiser. Le matin je prends toujours ma tasse avec moi dans la chambre et je le bois à petites gorgées entre chaque tâche que j'exécute : coiffage, habillage, etc. Parfois je ne finis pas le café ou alors je le finis d'une traite déterminée avant de descendre de chez moi. Quand je n'ai pas le temps je laisse la tasse dans la chambre pour ne l'enlever qu'une fois rentrée des cours et avant de déverser le liquide je hume l'odeur de café froid, c'est une odeur lointaine, aussi lointaine que peut l'être un matin quand on y pense l'après-midi. Mon grand plaisir de week-end et de vacances est de rester dans mon lit à lire avec la tasse pas loin. Je remarque une chose pourtant logique : moins il y a de café plus vite il se refroidit. La tasse pleine reste chaude pendant longtemps.
Dans les films américains ils aiment bien préparer du café, "you want some coffee ?", je suis toujours très déçue quand la personne concernée refuse. Ce dimanche-là j'aurais bu 4 cafés.

J'ai des problèmes d'argent, je n'ai plus d'argent sur moi, mes copines m'avancent, je dois 12 euros. Je ne veux pas demander à mon père et ma mère me dit qu'elle m'a payée trop de choses ce mois-ci, elle me sort le compte exact. Je demande à Emile de me donner l'argent, je suis coincée alors qu'il y a de l'argent pas loin de moi, dans le sac de ma mère, dans la tirelire d'Emile. Il est là, près de moi, mais personne ne veut m'en donner. Ma mère me dit que je vais trop au restaurant et dans les cafés, ma soeur me dit la même chose "vous êtes exigeantes, allez au Mcdo et mangez dehors". Mon père finit par me donner 20€, je pense : "je rembourserai mes dettes, je me paierai quelque chose".

Cécilia devant le cinéma,
elle m'explique que quand elle a des boucles c'est qu'elle est en forme, et inversement quand ses cheveux sont lisses c'est qu'elle est fatiguée. Je rigole, je sors mon carnet.

En sortant du cinéma,
on se dirige vers une sandwicherie, on entend un bruit démoniaque, presque animal, très fort, on distingue des applaudissements incompréhensibles, des sifflets, beaucoup trop de joie alors que la ville est d'abord un lieu de modération, de neutralité. Ça vient du Centre Pompidou. On court, on essaye de voir ce qu'il se passe, on met un certain temps avant de pouvoir se faufiler et comprendre qu'un artiste de rue fait la joie de plusieurs centaines de personnes assises par terre comme des enfants, il fait le poirier sur une série d'objets empilés les uns sur les autres, en équilibre précaire. C'est de par leur présence et leur applaudissement qu'ils donnent une valeur de spectacle à ce qui se passe tous les jours devant le Centre Pompidou. J'ai perdu Charlette et Marie de vue, elle m'appelle sur mon portable.

The Magnetic Fields - Let's Pretend We're Bunny Rabbits

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