jeudi 16 avril 2009

Ce matin à la radio, l'émission Service Public sur comment faire venir les jeunes au musée. J'écoute le début de l'émission à la cuisine puis je la poursuis dans mon lit, avec le radio-réveil que j'enlace. Je suis en quête d'arguments qui diffèrent de ceux qu'on connaît déjà, à savoir
1) inculquer très tôt le goût de l'art aux enfants
2) rendre l'accès gratuit
tout les professionnels, dont une femme déjà croisée chez Taddéi et que je reconnais par la seule singularité de son métier : spécialiste en économie de la culture, bref, tous ces professionnels semblent vouloir se mettre d'accord sur une sorte de stratégie à adopter pour faire venir les jeunes aux musées. La question, plus fondamentale et sans doute plus intéressante à poser, serait "pourquoi voulez-vous qu'ils y aillent ?". Je ne tiens pas une heure et le lancement d'une chanson est un bon prétexte pour éteindre et retourner à ma lecture.

Ce sac à dos qui contient mon ordinateur alourdi mes épaules, il fait contraste avec ma tenue. On dirait une écolière qui semble se détacher complètement de cette charge portée sur son dos, elle le porte comme quelque chose d'amovible, comme une charge qui n'entrave en rien ses désirs de coquetterie.

Je vais au Mcdo de la Défense, je commande un Coca Zero et je m'installe. A chaque instant j'ai peur que quelqu'un se décide à me voler mon ordinateur, qu'il me suive et qu'il me frappe, je ne supporterai pas l'agression. J'ai anticipé le coup et j'ai dans la pochette avant de mon sac une bombe au poivre que je n'aurai ni le temps ni les moyens de sortir mais qui d'une façon ou d'une autre me protège, s'annonce comme une option, qui me fait penser que "contre le mal, je peux gagner".

Obsession de la précision. Au moment de poster sur mon blog je demande à Cécilia qui vient d'arriver quel poulet nous avons mangé hier, le nom m'échappait, "poulet à l'impériale". Au moment où elle me le dit je sens que je viens d'échapper à une erreur grave alors que tout le monde s'en fiche, que ça n'enlève et n'ajoute rien au texte; sinon de la véracité.

Chez Gibert Joseph, je fais d'abord le tour des étages pour voir si T. n'y est pas, depuis le jour où je l'ai croisé par hasard dans le métro c'est comme si je sentais que nous étions fait pour tomber l'un sur l'autre. Mais une fois c'est déjà beaucoup, ma chance de tomber sur lui est déjà passée.
Progressivement j'abandonne Cécilia, à la recherche d'un livre je m'éloigne d'elle et finis par quitter l'étage. Nous avons toutes les deux une série de livres et d'auteurs à acheter, des titres plus ou moins déterminés, d'autres que l'on aimerait feuilleter par curiosité. Je cherche le rayon Mille et une nuit.

L'impatience m'oblige à oeuvrer en vue de la soirée chez A., de m'agiter comme si des choses étaient à faire alors que je n'ai qu'à attendre sa confirmation. Je lui cherche un cadeau, j'ai déjà en tête Journal de deuil de Roland Barthes. J'ai reçu le livre récemment, je ne l'ai pas encore lu, je sais que ça lui fera plaisir; c'était ça ou de la nourriture mais j'ai le désir secret de durer plus longtemps que de la nourriture, j'aimerais étirer le moment de la consommation à celui de la lecture d'un livre. Savoir qu'A. pensera à moi le temps de la lecture et que si cela lui plaît il puisse relié ce plaisir pris à ma personne.

Devant la Filmothèque, je vois sortir ma soeur du cinéma, elle vient de voir La Carrière de Suzanne et La boulangère de Monceau. Je lui dis que je les adore ces deux-là, elle me dit "de toute façon c'est tous les mêmes". Je finis par me demander si elle aime ce qu'elle voit et que je devrais le lui demander, je suis curieuse de savoir si elle est sensible à ce cinéma particulier et qu'elle vient de découvrir. Il y a son copain Jocelyn avec elle, il est très beau, j'ai un petit faible pour lui et je pense que c'est réciproque. Je présente Cécilia à ma soeur et inversement, je parle tellement de ma soeur à Cécilia et aujourd'hui elle la voit. Jocelyn nous demande ce que nous allons voir. Une fois partis Cécilia me dit que ma soeur est plus belle que moi et que Jocelyn est d'une beauté "simple et pur" mais qu'il devrait trop changer ses fringues.

Devant le cinéma, deux beaux gosses espagnols viennent faire la queue et demandent aux filles derrière nous "vous faites la queue?"
"euh oui plus ou moins, c'est un peu le désordre",
tout le monde rigole de bon coeur, "et bah on va remettre un peu d'ordre". J'aime la remarque, j'aime le ton et cet accent qui en même temps qu'il se déploie essaye de se faire oublier, joue à faire comme s'il n'y avait pas d'accent. Je le dis à Cécilia "ils sont pour nous".
Une fois dans la salle il s'installe près de nous et pendant que j'attends pour aller aux toilettes je vois Cécilia qui leur parle par dessus mon siège vide, je me dis "elle a réussi" mais la discussion tourne court et restera sans suite. Je sors des toilettes et le film a déjà commencé, je m'installe entre Cécilia et l'homme, je sens son parfum, je me sens comme assise à côté d'un homme que j'aime. Je me dis pour moi-même que cette séance s'avèrera intéressante. Pendant la séance je sens la chaleur qui se dégage de son bras, comme une pierre chaude, le tissu de ma chemise frôle le sien et il semble que tout soit dit, que notre relation se résumera à cette vibration de ces bras qui ne se touchent même pas et qui se repoussent en même temps qu'ils s'attirent, exactement comme des aimants. Parfois l'un de nous deux bouge son bras comme par refus de poursuivre le jeu.
En rentrant je raconte à ma soeur ce qu'a dit Cécilia à son sujet, "elle dit que t'es plus belle que moi et que tu te maquilles bien". Je prends ma douche et je vais manger un peu dans la cuisine, j'essaye de perdre quelques kilos alors je me fais violence et je ne touche pas à la paella, je mange plutôt un potage suivi d'un yaourt. Ce n'est pas aussi savoureux mais j'ai au moins la satisfaction de m'être soumise à une discipline, de manger d'abord fonctionnel plus que pour le plaisir, c'est ça tout le but du régime.

Je passe le laps de temps qui me sépare du sommeil à lire Le droit à la paresse de Lafargue qui se révèle être en fait un réquisitoire politique plus qu'autre chose, on y retrouve la verve des anciens textes politiques sur lesquels on tombe parfois dans les manuels d'histoire. Si mon professeur de philo m'a conseillé ça plutôt qu'un autre livre (il y avait aussi Oblomov) c'est que j'y trouverais forcément mon compte, donc je poursuis.

Hervé Guibert.
Un journal fait toujours un peu douter de la mort de l'écrivain, disons qu'on y pense même plus : s'il a existé c'est qu'il existe encore, forcément. J'ai le sentiment de vivre deux vies parallèles et je ne sais pas laquelle des deux est la plus réelle, me marque le plus.

Ce matin, réveil matinal et l'impression que je peux enchaîner une série d'activités inutiles comme écouter On the beach de Neil Young dans mon lit avec Emile qui dort par terre. Douceur de la musique, douceur du ciel blanc et du visage d'Emile qui lentement se réanime, reprend conscience. Sentiment rassurant d'être progressivement puis totalement en présence d'une autre conscience que la mienne, d'être réellement deux dans la pièce.
A chaque chanson je lui demande "et celle-là tu l'aimes ?", il aime bien les passages avec l'harmonica mais je comprends qu'il n'aime pas, Neil Young est compliqué, Neil Young créer de la musique qui ne se comprend que si à la base on est pourvu d'une certaine somme d'expériences et de sentiments, et dans cette musique il s'agira de retrouver ces sentiments, ces expériences.
Je ne comprends pas encore tout Neil Young, il y a des chansons qui m'échappent, dont l'émotion m'est encore incompréhensible et j'ai conscience de la masculinité de sa musique, des chansons écrites et chantées depuis son petit statut d'homme. Quand Neil Young parle de la femme d'une façon que je peux seulement envisager mais qui ne fait écho à aucune expérience.
"You're only real, with your make-up on"

Il veut Crystal Castles, il prononce le T de Castles. Je lui mets Animal Collective, ça il aime.

Puis comme par habitude je finis par poser sur le ventre mon livre et par me rendormir. Je crains toujours d'avoir trop dormi, je crains qu'il soit plus de 13h mais il est toujours 12h57 quand je me lève. Je n'ai toujours pas réglé ma montre à l'heure d'hiver.

Je me coupe les ongles des pieds en réécoutant Doolittle des Pixies, quelque chose m'échappe dans cet album, je ne comprends pas comment on peut passer du bruitiste Crackity Jones à la douce perfection pop de La La love you.

Je ne prends pas de parapluie malgré le fait qu'il soit impossible qu'il ne pleuve pas. Je ne prends pas de parapluie comme pour conjurer le mal, comme pour soumettre le temps à ma volonté. Je ne veux pas qu'il pleuve, il ne pleuvra pas.
En sortant du bus je déplie mon écharpe fleurie pour la poser sur ma tête.

Charlette et Cécilia concernant Miro.
Cécilia, c'est ton préféré Miro ? Il a fait trois taches.
C'est des jolies taches.

Aujourd'hui jeudi je vois Gabriel, cela va faire plus d'un an que je ne l'ai pas vu et j'ai peur, comme à chaque fois. Un jour qu'il me restait du temps après un bac blanc j'ai établi la liste exhaustive des gens rencontrés par internet, elle était immense, il y en avait 50. Je pourrais parler comme un comédien qui à chaque fois qui monte sur scène n'en finit jamais d'avoir le trac. J'ai toujours peur et toujours envie de reculer devant l'idée d'une rencontre imminente.
Le désir de rencontrer l'autre est toujours déséquilibré, il y en a toujours un qui désire plus que l'autre de faire cette rencontre, et quand c'est moi qui désire un peu plus il s'avère alors que j'ai peur de décevoir, que j'ai peur de rater ce que je considère comme un examen. Quand c'est l'autre qui désire un peu plus que moi alors je flippe qu'il ne soit pas à la hauteur, j'ai peur de la déception, de la discussion qui ne va nulle part, d'une discussion qui aurait pu ne pas exister. Pourtant ça ne s'est jamais mal passé, à force d'expérience on a très tôt l'intuition de ces choses-là, dès le moment où l'on se frotte virtuellement à la personne, dans sa façon de s'exprimer sur internet, dans la tournure que prenne ses idées, dans ses goûts autant littéraires que musicaux, dans sa façon de se mettre ou pas en scène, d'agencer, d'organiser le dévoilement de sa personnalité; on devine tout. Il y a une première "sélection" qui se fait sur internet : décider de parler à la personne ou l'ignorer, la rejeter ou vouloir atteindre une sorte d'amitié pure avec elle.

J'ai déjà vu Gabriel mais cela remonte à trop longtemps. Je ne me souviens que partiellement de son visage : yeux clairs, cheveux très bruns, j'ai tout oublié de sa voix mais je sais qu'il n'était pas timide et que je ne l'étais pas non plus malgré la sorte de pression constante de son amour pour moi. Je ne peux éviter de parler de ça sans le sentiment de le trahir, comme si en disant "son amour pour moi" j'affirmais ma supériorité sur lui.

Impression qui se confirme de jour en jour que je vais me confronter à une annulation de la part de A. Envie de dire "je le sens gros comme un camion". Je vois déjà la scène, au téléphone ou par mail : A. qui a une excuse forcément valable et moi qui lui affirme bêtement que je comprends, qui accepte jusqu'au bout, qui n'a même pas à accepter mais plutôt à subir, à encaisser mais qui préfère penser qu'elle accepte, que la volonté y est pour quelque chose.
[toujours ce sentiment de m'imposer à lui, de le gêner, que mon affection le colle et le dégoûte.] Je mimerai le détachement, l'indifférence devant la perspective de cette soirée et encore plus devant son annulation alors que mon imagination malade semble avoir déjà tout vécu de cette soirée, tout créé dans les moindres détails.
Penser à remercier les gens comme lui qui sur quelques jours nous font vivre de délicieux moments d'imaginaire, peut-être que finalement cela suffit.
Je retrouve cette idée chez Guibert qui dans sa première note écrit :
"Coin de fenêtre : emplacement vide où je vais mettre ce mannequin d'enfant si je l'achète. Mais il me semble déjà le voir, à cet emplacement vide, puisque je le désire. Je pourrais ainsi vivre dans un décor dénué, contrairement au mien, entouré seulement de désirs et de suggestions d'objets (je refuse toujours de constituer une collection)."

Lien étroit entre cette façon quotidienne d'écrire et le rapport que j'entretiens avec ma vie. Plus qu'une vie qui influence et dirige directement mes propos il semblerait qu'à force d'écrire et de faire de sa vie un moment quotidien de littérature j'en arrive à vivre ma vie comme une création de chaque instant, profondément excitante, comme une source inépuisable d'inspiration. Interpénétration des deux dans laquelle je trouve mon compte, dans laquelle je suis heureuse, je pense ne jamais arrêter et je regrette d'avoir passé tant de mois à n'écrire qu'une fois par semaine, à me sentir engloutie dans le réel. Il y a une manière d'alléger le poids du réel par l'écriture, de vivre à cheval sur les deux, c'est du 50/50. L'écriture n'est pas quelque chose d'abstrait, d'idéal, ce n'est pas un truc de lâche ou de frustré, c'est très concret. [Soulagement devant cette idée pour laquelle il n'y a pas à se persuader puisque je la vis et la constate.]

Aucun commentaire: