mercredi 28 juillet 2010


A C. qui m'écrit pour me dire d'écrire plus souvent, car elle s'ennuie pendant son travail d'été.

"Je formai là-dessus, d'avance, un système de vie paisible et solitaire. J'y faisais entrer une maison écartée, avec un petit bois et un ruisseau d'eau douce au bout du jardin, une bibliothèque composée de livres choisis, un petit nombre d'amis vertueux et de bon sens, une table propre, mais frugale et modérée. J'y joignais un commerce de lettres avec un ami qui ferait son séjour à Paris et qui m'informerait des nouvelles publiques, moins pour satisfaire ma curiosité que pour me faire un divertissement des folles agitations des hommes. Ne serai-je pas heureux? ajoutais-je; toutes mes prétentions ne seront-elles point remplies? Il est certain que ce projet flattait extrêmement mes inclinations. Mais, à la fin d'un si sage arrangement, je sentais que mon coeur attendait quelque chose, et que, pour n'avoir rien à désirer dans la plus charmante solitude, il y fallait être avec Manon."
Manon Lescaut - L'Abbé Prévost

Regardant ce qu'il y a à faire à Malte, où ma mère me traîne mi-août, je me disais que les pays manquaient d'un discours non-touristico-hystériques sur eux-mêmes, et qu'on peut trouver dans les livres, quand les écrivains parlent parfois sobrement de leurs voyages.
Un pays sans Office du tourisme et qui vendrait calmement sa marchandise, exemple improvisé :
"A Paris il y a des rues, des feux tricolores, des boulangeries, un métro étouffant qui sent mauvais, mais d'un mauvais qui diffère selon les lignes (détails des odeurs cf p. 130). La plupart du temps le cadre est gâché par les hordes de touristes, parfois inhumains, parfois discrets quand ils sont moins de soixante dix, d'ailleurs on ne vous le dira jamais assez : évitez les monuments, les cartes postales ont déjà tout dit. Essayez de ne pas venir dans cette ville pour manger au Mcdo et finir au Starbucks, ce serait dommage. On ne peut pas trop vous dictez vos activités, tout ceci dépend de vos humeurs, si vous êtes plutôt dépressif et toujours fatigué n'hésitez pas à vous attardez dans votre lit jusqu'à midi, n'oubliez pas que rien ne vaut qu'on se lève de son lit, pas même Paris. Si vous n'êtes pas convaincu, levez vous quand même, nos musées ont la grande classe et ferment assez tôt". [...] Paris est une ville normale pour les parisiens, par sursaut ils se rendent compte de leur "chance", disons ce n'est que comparativement à des bleds pourris sans tabac ouvert après minuit que celle-ci se pare de mille avantages."
------------------------------------------------------------------------------------------------------

"Un couple, ça a le goût du riz au thé vert", in Le goût du riz au thé vert d'Ozu.
------------------------------------------------------------------------------------
Il faut aimer les cinémas pour de multiples raisons dont la plus importante est qu'ils restent ouverts les jours où rien ne l'est.
--------------------------------------------------------------------
Conversation ignoble d'un type (terme péjoratif) dans le train dans son costume marron avec des rayures tennis, j'aurais pu l'assommer avec mon livre
"fonctionnaire des impôts, fonctionnaire au Ministère de la justice, elle elle est fonctionnaire, lui aussi....plan plan-tranquille-pépère, ils sont pas stressés de la vie......mais elle elle me le dit, si on savait combien on était payés pour ce qu'on doit faire, c'est scandaleux...(rires)"

ajoutez à ça une voix de demeuré profond, l'ensemble était beaucoup plus provocant que la retranscription que j'en fais, j'ai sacrifié la première page de mon livre pour noter vite fait son sale langage.
------------------------------------------------------

Ma mère est rentrée, elle a fait les courses, j'avais fait une petite liste dont 'barres de céréales, fruits rouges", elle m'en a pris deux boîtes, je les ai vues dans le placard. Je me suis dit qu'elle savait faire les gestes qui rassurent, faire naître le sentiment du "manque de rien". Une mère, parfois, est investie de cette mission.
-----------------------------------------

Quand on lit et que progressivement on a plus de pages à gauche, qu'à droite du livre ouvert. Le meilleur moment étant quand on en a presque autant dans les deux, que c'est équilibré.
-------------------------------

Un peu bêtement, au milieu d'un film, je me suis dit que tout pouvait devenir habituel: tel restaurant d'abord très nouveau, telle personne d'abord intimidante, tel trajet d'abord dur à retenir. Il y a l'habituel-ennuyeux et l'habituel sans conséquences, exemple : avoir huit heures de philosophie par semaine avec MF, (ajout:) j'aurais pu en redemander, c'était à chaque instant brillant et très important, l'habitude est une disposition d'esprit.
-----------------

L'enquiquiné/l'enquiquineur
On a tous quelqu'un qu'on aimerait toujours voir, tout le temps embêter, quelque soit nos humeurs. "Je ne veux voir personne" signifiera toujours "personne sauf lui". On est toujours l'enquiquineur de quelqu'un, et l'enquiquiné par quelqu'un. Après, tout dépend de notre façon de nous arranger avec cette personne, soit on la harcèle, soit on se tait et on s'impatiente en silence, on pense à des scènes avec elle en attendant, on accepte de la voir rarement ou même jamais, faute de pouvoir accepter autre chose.
A l'inverse, quand on joue le rôle de l'enquiquiné, on n'hésite pas à être ferme, cruel et catégorique, sans faire le lien une seule fois entre cette personne qui veut toujours nous voir et notre statut à temps partiel d'enquiquineur. Cela nous rendrait plus indulgent et compréhensif, on y retrouverait ce qu'on vit dans une autre dimension de notre vie, et on céderait à tous ses désirs, à toutes ses propositions de sorties jusqu'à que indigestion s'ensuive, sauf que s'il y a bien un luxe qu'on se permet dans la vie, c'est celui de ne pas se forcer avec les gens.
Au fond on ne se voit qu'enquiquiné. "je comprends ce que je provoque chez les autres, je suis digne de convoitise"
Il y a je crois deux dimensions dans une vie, celle des désirs, des manques et qui est à l'origine de cette souffrance masquée qu'est l'ambition, et l'autre comme celle où l'on est soi-même objet de désir et de manque. S'attarder dans l'une ou dans l'autre est nocif, idéalement il faudrait savoir ce que l'on vaut (la bonne réponse sera toujours : peu de choses) et l'accepter non sans souffrance tout en voulant se modifier soi-même, en évitant de vouloir se distraire de soi-même. L'ambition étant ce qu'elle est, il s'agira de la masquer du mieux qu'on peut.

+ 3 nouvelles photos d'une bibliothèque dans "Une chambre à soi"

1 commentaire:

Pradoc a dit…

On peut même dire que "je ne veux voir personne" signifie presque "je ne veux voir personne sauf celui qui a refusé de me voir", tant cette phrase ne se prononce jamais que par dépit.

On ne veut voir personne car celui qu'on veut voir s'est enfui. C'est alors son deuil que l'on porte, et la communication avec les autres en est entachée. Ce qui permet de cultiver l'absence...

En tout cas, jolie idée.