vendredi 23 juillet 2010



Maman est partie en voyage pendant quatre jours
je suis toute seule à la maison, il était dans les quatorze heures,
elle essayait de me dire des choses importantes que je finirai par regretter de ne pas avoir écouter,
mais c'est vrai que je l'écoute jamais
elle me disait, ferme bien la porte, bois surtout pas du café au salon, interdit, interdit, tu peux faire des courses mais tu me laisses les tickets de caisse, etc.
elle m'a demandé si j'étais malade parce que j'étais encore au lit
je lui ai dit "un peu, j'ai des glaires", on peut dire ça à sa famille
alors elle est venue me donner des comprimés pour la gorge
elle m'a fait un bisou d'au revoir
j'ai essayé d'équilibrer la discussion en lui donnant des conseils
j'ai trouvé que "amuse toi bien"
je crois m'être rendormie, je n'étais pas triste de me rendormir, je n'avais rien à faire, c'est les vacances et je fais plein de choses le soir et la nuit jusqu'au matin
je me souviens avoir entendu plein de choses à la radio durant la matinée
un jour comme ça j'ai totalement arrêté d'écouter france inter, c'est un boycott mou
maintenant j'écoute france culture, j'aurais dû l'écouter plus tôt, on apprend au moins dix choses par jour, on note des noms de livres,
c'est fabuleux
je laisse la radio allumée toute la nuit jusqu'à mon réveil et j'écoute sans le savoir et l'après midi je fais un bilan mental de tout ce que j'ai appris
une émission sur le courage je crois, une autre sur la démocratie, mais c'était nul, je m'en suis bien rendue compte, j'étais contente d'avoir un esprit critique, même en bavant sur mon oreiller
la fille disait, on doit autoriser la pornographie et les injures racistes et sexistes dans l'espace public, parce que les rendre publiques ça permet de les invalider
comme si les interdire ça les invalidait déjà pas assez,
maintenant on devra faire de la pédagogie à des connards
idiote
émission sur le courage, la fille dit que chez Fayard les agents commerciaux avaient un peu gueuler à l'idée de vendre un livre qui s'appelle "la fin du courage"
n'importe quoi
en me levant à quinze heures je me sentais courbaturée de partout
j'ai fait du café, j'ai pris ma douche tout de suite, normalement je laisse traîner jusqu'au moment où je dois m'habiller mais je me sentais trop endolorie
j'ai dû manger des céréales,
puis je suis retournée dans ma chambre et je suis retournée dans mon lit, ma première séance de cinéma n'était qu'à 19 heures
j'ai lu Trois Guinées de Virginia Woolf
j'ai continué Valéry qui est resté ouvert sur le bord du sèche linge

Quand même, le fait que maman soit partie, ça change tout, pourtant je passe mes vacances et ma vie dans une relative liberté de mouvement,
je fais ce que je veux
mes parents ne me demandent rien, même pas un vague "mais sinon tu travailles? ça va la fac?"
mais il y a quand même ces présences qui bourdonnent autour de moi, même en hors champ,
je sais qu'ils sont là, que le soir, ils seront là
et là je savais que pendant 4 jours j'allais être toute seule à la maison, ce qui ne m'est jamais arrivée.
j'ai cherché des trucs fous à faire, qui inviter. comment en profiter à fond et tout
dans ces cas-là les gens normaux font des fêtes
et les invités font des tâches de vin sur le canapé
et celui qui invite dit "ma mère va me tuer"
et il dit aussi "non pas dans la chambre de mes parents"
mais j'ai pas trop d'amis, et les fêtes ne sont pas des besoins chez moi
et je serai trop stressée à l'idée de faire une fête ratée que je préfère ne rien faire et plutôt faire la fête avec moi-même, parce que si je m'ennuie, je ne pourrais m'en prendre qu'à moi-même mais je m'aime trop pour ça alors je laisse couler
j'aime sentir mon corps engourdi, j'aime me rendormir, et en 4 mois de vacances,
je ne vois pas pourquoi je n'en profiterai pas, voilà ce que je me dis
j'ai écouté de la musique, Horses de Patti Smith, puis ensuite la radio,
une émission sur des gens qui vivent dans des containers aménagés,
le plasticien à l'origine du projet en parle, une fille aussi, elle dit "si les gens doivent habiter dans des containers ça ne doit pas être par nécessité, je refuse de faire des logements sociaux ou alors on en discute, parce que c'est trop connoté "avant ça contenait n'importe quoi et maintenant ça contient des hommes, si on doit habiter là-dedans ça doit être voulu, pour s'amuser ou pour suivre une mode",
le plasticien disait de bonnes choses malgré le fait qu'il soit plasticien. je n'aime pas ce mot, il ne renvoie à rien à part à un mec aux lunettes à monture carrée à un vernissage.
j
e suis allée au cinéma voir "flamme de mon amour" de kenji mizogushi,
il y a un cycle "histoire du cinéma japonais" au 3 Luxembourg,
et c'est très drôle parce que si vous y allez au moins deux fois vous croiserez toujours les mêmes personnes : un petit mec en t-shirt qui assiste à toutes les séances, un couple habillé en noir, parfois la fille n'est pas là, le mec est pas mal, surtout quand la fille n'est pas là. C'est un sosie de Monsieur Delmas.
Il y a aussi moi. Et puis mon amoureux japonais qui ne m'a jamais parlé et qui se met toujours au premier rang et que j'ai croisé plus d'une dizaine de fois dans des cinémas très différents
je n'ai jamais vu son visage, que son profil, il s'immisce de justesse dans la salle, rate les "10 minutes après la séance" et part tout de suite après la fin du film ou alors pendant le générique de fin. Il est très grand, très pâle, porte de belles chemises avec parfois une veste, il y a des cheveux très noirs en bataille, quand il lui arrive d'arriver en avance il lit un livre.
c'était un film féministe,
en ce moment je tombe que sur des films féministes.
je pense que les mecs se sont ennuyés, ou disons que la revendication est trop datée, ça vieillit mal.
Mon japonais est resté dans la salle, il a dû prendre un ticket pour la séance d'après, mais moi je ne voulais pas voir le film, "Eros + Massacre", j'avais d'autres choses à voir.
j'aime pas les films subversifs japonais de trois heures
mais ma séance était à 22h15, j'avais une heure,
j'ai marché rue des écoles
la terrasse de la trattoria
un homme chic qui mange tout seul, son verre qui brille un peu, sa nourriture colorée, l'assiette blanche qui se dévoile peu à peu, la nappe, un livre posé à côté de lui, je n'arrive pas à en lire le titre
il est tellement rassurant
je me suis assise à une table de café un peu isolée pour ne pas me retrouver avec le monde de la terrasse, je n'aime pas m'afficher seule, et je voulais être seule, mais le prix a payé c'est que j'ai dû attendre longtemps avant qu'on me serve, je me disais "voilà, on m'ignore, merci, ils savent qu'ils ont des tables ici, isolées et qu'il y a toujours un risque de faire attendre les clients, pourquoi ils ne vérifient pas?"
je retardais le moment où j'allais me lever en soupirant
mais pour aller où?
la rue des écoles est devenue infréquentable, on y est trop connues avec Juliette
et je mets trop de temps avant de choisir un café
j'ai pris un coca light, c'est un homme qui a pris ma commande, je crois le connaître, il est exubérant, c'est assez gênant, on finit par croire qu'on vient boire chez lui
c'est une fille qui m'a servie, ça voulait bien dire de la part du serveur "je n'ai pas le temps pour toi"
j'ai demandé à régler tout de suite parce que personne ne passera plus par ici après et ça allait me travailler "je paye à l'intérieur? non ils n'aiment pas ça, bon je pars sans payer?"
la fille m'a agréablement surprise, elle a dit
C'est bizarre cette lumière
ah vous trouvez?
je travaille au bar et quand je sors je vois ça, c'est bizarre
elle est comment?
elle est jaune, il va pleuvoir
oui peut-être (je ne pensais pas)
mais c'est bizarre
MAIS C'EST BEAU
OUI
elle avait un accent, elle m'a beaucoup plu, j'étais de bonne humeur grâce à elle, je sentais vraiment qu'il fallait qu'elle se confie, qu'elle le dise à quelqu'un, c'était spontané, j'espère qu'elle m'aimait bien
je lisais
j'avais bien fait de prendre ma veste
je regardais la rue, une rue sans importance, parallèle à la rue des Ecoles, je me sentais bizarre, un peu délaissée, comme si j'avais mon propre appartement et que je voyais rarement mes parents, comme si j'avais longtemps attendu cette "liberté" et que maintenant ça ne me faisait absolument rien
c'était le goût d'une solitude un peu plus inquiétante que d'habitude, et puis j'étais triste de ne pas pouvoir faire des trucs fous, je pourrais rentrer tard, "me saouler la gueule", faire vraiment beaucoup de choses, beaucoup n'importe quoi, mais je n'y arrivais pas, je vais au café et je pense à faire des courses, c'est tout, j'aimerais des mangues alors je pense à des mangues, il faut toujours attendre un peu pour qu'elles soient bonnes, j'avais peur qu'il m'arrive quelque chose alors que je suis toute seule, je fais attention en traversant
vu mes activités, si ma mère me voyait elle ne s'inquiéterait jamais pour moi, au mieux je peux faire une promenade nocturne à vélo, mais qui a envie de faire ça? ça ne me donne même pas envie.
je vais à ma séance, en marchant j'écoute une fille au téléphone qui tient sa mère par le bras
"TU SAIS PAS SKI M'EST ARRIVE???
je tends l'oreille, intéressée :
ce matin y'a mon réveil qui sonne...
je l'éteins...
et je me rendors."
c'était trop triste, c'est quoi cette histoire
l'espace saint michel est un cinéma miteux, ça pourrait facilement devenir un cinéma porno si c'était pas aussi bien placé, les sièges sont pourris, les accoudoirs élimés, la plupart du temps je suis la seule fille de la séance,
avec trois hommes dispersés dans la salle
la dernière fois j'ai ramassé sur un siège une lettre adressé à qui la trouverait, c'était un artiste qui demandait à entamer une correspondance avec un inconnu, on pouvait l'interrompre n'importe quand
pourtant la programmation est bonne, mais c'est très mal placé
juste à côté de la fontaine saint michel, ça fait encore plus contraste, on sent presque la ville en regardant le film
j'ai vu "ce vieux rêve qui bouge" d'Alain Guiraudie
la caissière est une petite chinoise, elle me connaît parce que j'ai fait tout un foin la dernière fois
je ne trouvais pas mon portable, c'est très risqué un cinéma, ça peut tomber derrière le siège, on ne voit rien
le projectionniste est venu avec sa lampe de poche
la caissière avec son portable pour bipper le mien
elle avait mon numéro
ça créer des liens
la machine à ticket ne marchait pas, donc j'y suis allée sans ticket, pourtant j'aime avoir le ticket de ma séance, je les collectionne, enfin plutôt je ne les jette pas, c'est rassurant de les avoir
je suis sortie de la séance bouleversée
mais heureuse
c'était magnifique
j'ai pris le bus pour rentrer, j'avais une buée devant les yeux, c'est à dire que je me fichais un peu de tout, j'étais dans mes pensées, dans ma joie, je savais que j'allais rentrer dîner, que la nuit serait longue, que j'allais regarder un film, me faire à manger, prendre du thé, écouter la radio, m'amuser avec moi-même, ça allait être une nuit électrique
je pourrais même dormir au salon
avec la grande télé.
j'ai mangé un reste de gratin d'aubergines, un reste de salades de pâtes, du melon
en écoutant un mec à la radio qui parlait de l'humiliation de vieillir
j'ai tapé son nom sur amazon
j'ai regardé Amarcord de Fellini,
ça m'a rappelé ma famille, c'était comme un rêve
j'ai traîné devant LCI
un père de famille avait reçu une amende parce que sa fille de trois ans avait fait pipi dans un parc
il était très beau, avec des béquilles, LCI disait que c'était à cause de ses béquilles qu'il pouvait pas trop faire le chemin jusqu'aux toilettes
on l'écoute parler, trop d'énergie épuisée pour une histoire de merde
"il m'a dit "je trouve insupportable un tel comportement et moi je lui ai répondu je trouve insupportable le ton avec lequel vous me parlez, et puis on s'est disputés, on a échangé des palabres..."
ça fera un bon souvenir à la petite je pense

j'ai écouté la radio,
j'ai regardé "des mots de minuit",
florence aubenas parlait, émilie dequenne, "je viens d'une famille modeste, mon père était ouvrier, alors ça m'émeut"
puis le live de fin d'émission, "Carry on de Dez Mona" je me dis "comme s'il s'y connaissait en musique dans des mots de minuit, et c'est quoi ce nom de groupe", et la chanson était en fait très belle, dès la première écoute
je l'ai écoutée au moins cinq fois
mais je connais ce genre de groupes, le genre à réussir une chanson et à s'en servir de prétexte pour faire un album raté
il y en a des millions comme ça
il faut assumer le fait d'être le groupe d'une seule chanson
c'est déjà énorme une chanson
la nuit à la radio il y a des archives qui passent, elles sont souvent très bien, on entend de vieilles voix, des voix d'un autre monde, et qui parle de philosophie
j'ai pris une douche vers les quatre heures du matin,
quand on a rien à faire on prend des douches
j'ai bossé la Critique de la faculté de juger
je parlais toute seule, je parle beaucoup toute seule, je suis capable de dire
"je crois que j'ai trop mangé" au milieu de la cuisine, en me touchant le bidon
je me suis endormie vers huit heures de matin sur une émission sur les gaulois
le présentateur disait "c'est incroyable" quand l'archéologue disait que les gaulois maitrisaient mieux la terre que nous
"il y avait moins de forêt qu'aujourd'hui"
l'archéologue parlait de son parcours "j'ai fait des études de philosophie et de sociologie", give me five
ils parlent tout le temps de leur parcours sur france culture
ah non je me suis pas endormie puisque je me rappelle avoir écouté un chroniqueur faisant ses aux revoirs à france culture
il allait rejoindre son ami Nicolas Demorand sur une autre fréquence.
il a pris trop de temps pour faire ses aux revoirs
et moi pour m'endormir
:-(

Fat City - John Huston
Carry On - Dez Mona

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