dimanche 4 juillet 2010

Le voyage extérieur

Au milieu de la ville nous nous demandons avec Juliette ce que les gens font en temps normal quand ils sont en vacances, nous avons oublié le sens des vacances. Qu'est-ce que l'on fait dans une nouvelle ville, comment se manipule le neuf? Le voyage ressemble de plus en plus à du surplace, vous faites un certain trajet pour vous retrouver devant un Starbucks et un centre commercial. Le monde est finalement un peu triste et c'est en sortant de la gare de Vevey (Suisse) que je fais le constat d'une éternelle répétition qui moralement me fatigue.
Si la ville ne m'offre rien de nouveau je ne peux rien espérer de nouveau de moi-même, en moi-même, je cherche avidement de nouveaux affects, j'essaye de me déprendre de ce que je connais et que j'aime (ma vie quotidienne), j'ai le mot "ouverture d'esprit" en tête, je cherche des paysages beaux et factices comme des fonds d'écran Windows, je fais cet effort qui de ma part relève du surhumain car je suis celle qui peut et aime rester au calme dans ma chambre. Ne pas croire à ce que Pessoa dit: "le voyage est intérieur" et il s'agit toujours de se transporter soi-même, toujours le même, d'un endroit à un autre mais essayons en toute naïveté de voir si la condition d'un voyage intérieur serait le voyage extérieur.

Nous nous cherchons des activités, nous travaillons beaucoup à lire les programmes, les brochures des activités culturelles, des trucs à visiter, à voir, mais elles nous laissent toujours ce goût de simili-activités, des "pourquoi pas ça puisqu'il n'y a que ça", des expositions qui ne nous intéressent pas d'emblée et qui suppose un certain effort, nous revoyons nos exigences au rabais et transformons nos "non" catégoriques en "peut-être". De toute façon nous ne ferons rien en dehors d'une grande exposition à Lausanne d'Edward Hopper qui vaut le déplacement en bateau. Il y a des concerts gratuits, des activités nécessaires qu'à la ville elle-même pour se prouver qu'elle n'est pas "morte" comme on dit parfois. Le risque de la léthargie existe même à l'échelle de la ville, elle doit se maintenir dans un certain état d'activité, se pincer le bras pour ne pas s'endormir, ne serait-ce que pour permettre la présence de touristes.
Il est très facile pour une ville de sombrer, nous en connaissons tous qui ont renoncé ou qui n'ont jamais commencé à se bouger, et c'est en cherchant ce qu'il y a faire que l'on se rend compte que les gens redoublent d'efforts pour maintenir ce semblant de dynamisme. Au fond je pardonne aux villes leur ennui mortel, car je me rends compte qu'il est la condition d'existence de métropoles excitantes, ne serait-ce que par contraste avec elles, tout ne peut pas briller.

On ne veut pas tuer le temps, on veut ressentir des choses, éprouver le vertige du dépaysement, on veut déborder, mais le dépaysement n'existe plus, en tout cas plus dans certaines villes occidentales (et même, quand je pense au Liban), il faut partir de plus en plus loin et les grands voyages sont encore trop chers, trop éprouvants, nous les craignons encore mais le vrai voyage est certainement celui qu'on craint.


Je remarque la constante inconséquence des hommes, leur imprudence, leur maladresse. Ils ne savent plus penser l'agencement de la ville et construisent n'importe quoi à côté de n'importe quoi sans penser la ville dans une vue d'ensemble. L'ensemble est hideux, pauvre et disharmonieux, ceci me frappe au Liban et me frappe encore en Suisse même si ce n'est pas si choquant. Nous avons en bas de notre hôtel une fête foraine au milieu d'un parking, gravitent autour des commerces en vrac.

La nature est sublime sans efforts d'émerveillement de notre part, de "oh le lac, la montagne, le cygne". Nous sommes par saccades conscientes d'être dans un endroit proche du divin, sans contours nets mais dilués dans un doux camaieu. Le bleu domine, des cygnes magnifiques nous apprennent l'immobilité, se laissent contempler, la torsion de leur cou nous interrogeant. Le lac Léman est d'un bleu différent mais relié par ce camaieu à la montagne qui est elle même reliée au ciel, logiquement le lac est céleste et le ciel aquatique. C'est très fleuri, la ville mériterait sa pancarte jaune "Ville fleurie", la modestie des fleurs, leur petite surface ponctuellement très colorée comme de petits points en bas du champ de vision contraste avec l'imposant bleu-total de l'horizon
. Les fleurs sont un juste milieu, une sorte d'amicale coproduction entre l'homme et la nature. Le ciel est vaste, la vue est panoramique, non fragmentée, achurée comme elle peut l'être en ville. La nature mérite un plan séquence, la ville, une succession de plans, presque stroboscopiques, c'est ce que je retrouve dans le mouvement de mon regard.

Il y a une statue de Charlie Chaplin habillé en vagabond en face du lac, il a vécut à Vevey une vingtaine d'années, statue qui n'émeut que moi et qui ne ressemble même pas à Chaplin mais qui est un monstre méconnaissable, comme si l'habit faisait déjà l'homme, peu importe le visage. J'aimerais visiter son manoir s'il est visitable, ou seulement passer devant pour le saluer mais Juliette me rappelle à la raison en disant qu'au fond ce ne sera pas grand-chose, elle a peut-être raison. Des touristes se prennent en photo avec la statue en rigolant, alors que le propos de Chaplin est ailleurs, ce n'est pas seulement lui et son personnage de vagabond rigolo, ça se passe ailleurs mais les gens s'en fichent, ils aiment son côté benêt, amical, ils pensent que Chaplin est gentil alors qu'il est redoutable. Je remarque qu'il ne nous vient jamais à l'idée de poser pour une photo, nous ne faisons que prendre des photos sans hommes, nous savoir derrière l'appareil suffit. Il y a un Chaplin vulgaire comme il y a plus loin dans la fête foraine une Marylin Monroe vulgaire et horrible planté au milieu d'une attraction, retenant avec la paume de ses mains sa robe qui s'envole toujours trop comparé à la scène de "Sept ans de réflexion". Paradoxalement, si le dépaysement est possible il ne l'est plus dans ce que les hommes dans leur liberté ont su faire de la ville, de l'espace et de leur progrès mais dans ce que la nature nous rappelle dans sa sereine et indémodable constance.

Aucun commentaire: