dimanche 25 mai 2008

II
appuyée contre un mur aussi immobile qu'une échelle, je regarde les gens sortirent, certains arrivent à pousser la lourde porte et d'autres ont besoin d'aide, aide que je leur donne.
un homme entre, c'est R.T, il porte une veste en cuir et je l'observe en sirotant lentement mon coca light, je me souviens de lui, on était allé ensemble au café parce qu'il avait faim et voulait que quelqu'un l'accompagne, il avait mangé des tartines beurrées et moi j'avais pris de l'eau, j'avais un peu mal compris ce que le garçon de café me proposait, j'étais toute confuse, je m'en souviens encore.
Dans un face à face il m'avait alors dit qu'il me lisait, il m'avait comparé à deux écrivains, une que je ne connaissais pas et l'autre qui était héléna villovitch, il m'avait aussi parlé avec l'enthousiasme d'un gamin des boots en python qu'il portait et qu'il avait eu pour trois fois rien. je devais être bizarre et apeurée par cette soudaine proximité, à l'époque je vivais ma pré-adolescence un peu n'importe comment et dans une extrême solitude qui ne me dérangeait pas, je ne savais pas encore comment user du monde et de la vie. l'amour, l'amitié, les soirées, je n'en avais pas le mode d'emploi, ma vie était un terrain en friche où les choses poussaient anarchiquement, sans modèle, sans exemple.
Si à l'époque j'avais été un peu plus vieille j'aurai pu répondre à ces questions avec un peu plus de talent, mais voilà, j'ai provoqué un peu trop tôt certaines occasions dans ma vie, et je pense qu'étant donné mon âge il avait dû tout me pardonner, enfin j'espère. Aujourd'hui il était là, représentant d'un temps révolu, n'ayant pas vieilli, toujours le même, brun aux yeux bleus, et la petite barbe. j'imagine qu'à partir d'un certain âge on arrête les transformations, on est enfin physiquement soi-même pour de bon et jusqu'à la fin.
il n'arrive pas à ouvrir la porte, je lui dis "il faut pousser", il me remercie sans me regarder tandis que je continue de siroter.

L.R m'appelle au moment où j'allais m'en aller, il me demande si je suis partie, je lui dis que je suis à l'intérieur, je crois lui avoir signifié que je m'emmerdais, il me dit qu'il est dehors devant l'entrée, je lui dis que j'arrive. je marche en enfilant mon gilet.
j'y vais sans appréhension, la soirée a calmé mes hardeurs et mes excitations, j'ai passé plus d'une heure totalement silencieuse au milieu du bruit. Je pense pouvoir dire que j'étais vraiment contente de le voir, il annonçait un tournant dans la soirée. Il portait une moustache et des petites lunettes de soleil carrées comme un mec des Byrds mais je sais plus lequel.
je lui fais la bise et il me présente à l'homme avec qui il parle, il est dans les 23h20 et disons que je dois être partie pour 23h50.

je pense diverses choses de L.R, la première fois que je l'ai vu c'était encore dans les locaux de Technikart, il était calme, parlait lentement et passait devant moi sans me remarquer, c'était un homme pressé qui m'avait laissé mille impressions dans la tête, je sentais qu'une personne comme lui n'allait jamais avoir de temps pour moi, c'était un peu complexant et déprimant, j'étais jeune et j'avais et j'ai encore besoin d'énormément d'attention, qu'on s'intéresse à moi.
Quelque chose, j'ignore quoi, ma naïveté ou le courage aveugle dont je faisais preuve avant et qui me faisait faire n'importe quoi, des lettres d'amour à l'étalage de ma vie privée sur mon blog, a fait que je lui ai écrit un mail pour lui proposer de m'accompagner à la black session des CYHSY, souvent alors mon inconscience se voyait récompenser. il a donc accepté et je nous revois, c'était un lundi soir, un noir soir d'hiver, dans le hall de Radio France, j'avais un manteau H&M d'un beau bleu avec le col plein de fourrure, je repense à ce manteau que je possède encore et j'ai soudainement très envie de le remettre. à l'époque mon style était encore un peu maladroit et j'essayais de tout donner et de tout montrer en une seule tenue.
Reste que je n'ai jamais pu comprendre ce qui l'avait poussé à accepter mon invitation et à plusieurs reprises je l'ai soupçonné d'une trop grande ouverture d'esprit qui m'effrayait et qui me laissait croire qu'elle était valable avec tout le monde et que je n'y étais pour rien. j'ai beaucoup pensé et beaucoup réfléchi à lui, à ce qu'il fait et laisse paraître de sa vie, au calme qui caractérise chacun de ses actes, à mon incapacité à ne pouvoir ni le cerner ni le classer, j'aimerais savoir ce qu'il pense de lui-même et des autres.
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j'ai remarqué avec étonnement comment la présence d'une personne pouvait faire la différence et comment avec L.R près de moi je me retrouvais à parler aux gens que j'observais attentivement tout à l'heure. c'était une autre facette de la soirée, la facette post-coca light où je me retrouvais à parler avec thierry théolier qui me pose des questions, à écouter L.R me parler de choses qui correspondait à quelques phrases sur mon blog, des choses que j'écris avec la molle ambition d'être lue, il en parlait très briévement mais avec une précision qui traduisait une lecture attentive, cela dépassait complétement ma capacité à pouvoir imaginer ma place dans la vie des autres que finalement je minimise un peu trop. j'essayais aussi de minimiser l'impact de cette nouvelle sur mon amour-propre, je tentais tant bien que mal de ne pas succomber à cet enthousiasme bête et méchant que je critique souvent ici mais disons qu'à ce moment-là j'en avais envie et besoin et tout mon corps n'était plus que sourire éclatant.
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des gens apparaissent et disparaissent dans ce qui constitue notre petit cercle de discussion. les gens ici sont tous comme ça, positionnés en anneaux de discussion qu'il faut tout de suite refermer avec un nouvel arrivant. Apparait Ph.N., comme d'habitude les présentations, et en trois phrases je lui fais se souvenir de moi. il a ses cheveux longs, bouclés et plaqués en arrière, le sourire légèrement ironique, il fume avec ses petits doigts et l'immense parka de la dernière fois à fait place à une petite veste beige sur un polo bleu marine. la discussion porte sur l'article sur julien doré, des quelques trucs écrits pour leur site et si j'ai fait des choses après, Ph.N. me prenait pour une freelance qui galère alors que mon statut est beaucoup moins glamour. je reste quelques minutes seule avec lui, dans le silence ou dans la discussion, il m'explique comment il voit les gens comme julien doré, qu'il s'imagine faire ses courses au Monoprix et qu'il préfère entendre julien doré plutôt que céline dion, que c'est la nouvelle variété. je lui dis "tu veux peut-être entrer dans le bar" et il me dit "oui je vais rentrer, je finis juste ma cigarette", je suis contente qu'il reste dehors, on continue de parler.

mon temps devient compté, je m'avance vers L.R pour lui dire au revoir, des amis essayent de lui vendre leur revue "Bordel" que je feuillette un peu, il leurs dit qu'il ne lit plus en français depuis très longtemps. je lui demande ce qu'il lit en ce moment, il me répond "Muriel Spark", je lui demande comment il a fait pour parler aussi bien français, j'essaye de le cerner, vous voyez bien , il me répond "en travaillant" et ajoute "puis mon père est français", ma question me paraît alors ridicule. je jette un coup d'oeil à Ph.N. qui me regarde appuyé contre une voiture, la cigarette entre les doigts puis entre les lèvres.

"au revoir laurence, à bientôt, on se reverra"
"bah ouais, au prochain concert d'Alister"
"voilà, bonne soirée"
"j'y vais philippe", je lui fais la bise,
"d'accord, rentre bien",
je pars à contrecoeur, laissant une soirée de plus se faire sans moi.

dans l'interminable métro du retour je pense à l'élégance flegmatique de L.R. et de Ph.N., à cette tranquilité vers laquelle je tends et qui remplacerait ce tempérament sanguin et hypersensible qui dans certaines situations peut se révéler invivable.
un mec en trench et en Nike s'asseoit et sort un livre, j'arrive à en discerner le titre "Portnoy et son complexe" de Philip Roth, j'étais à deux doigts de m'asseoir à côté de lui et de lui en parler, c'était une nuit fédératrice où j'avais le coeur à me permettre n'importe quoi, encore ce courage inconscient qui ne mesure pas les risques, mais il est descendu.

J'ai mis longtemps à rentrer chez moi, dans la rue je m'arrêtais parfois devant des miroirs où je pouvais me voir presque entièrement, je me rendais alors compte de la place que pouvait prendre mon corps dans la ville, ce que j'étais quand on me croisait.
dans l'ascenseur j'ai enlevé mes chaussures pour ne pas faire de bruit en rentrant, j'ai nettoyé ma peau, coiffé mes cheveux pour réduire les dégâts du lendemain matin, je ne me souviens pas avoir mangé quelque chose mais je sais que je n'ai pas tout de suite dormi, à cause de l'excitation et du devoir d'écriture, cette nécessité d'écrire autant que de vivre, d'équilibrer sans cesse la balance, de ne pas prendre de retard. Ma prof de français nous parle des insuffisances de la mémoire au moment d'écrire son autobiographie, je pense avoir réussi à y remédier en écrivant au jour le jour.
Je m'endors vers les 3 heures du matin, c'était donc la vie et ses surprises "rarement mauvaises". Demain est malheureusement un autre jour.

3 commentaires:

Juliette a dit…

J'aime, comme d'habitude, mais je n'ai rien à (re)dire. Enfin, tu me diras, ça fait déjà quelque chose. Dans ma vie tu occupes deux des onze onglets de mes favoris mozilla, tu occupes des pensées, parfois, quelques minutes de conversation, de temps en temps, pas mal de phrases sur msn, aussi. En somme, toute proportion gardée, c'est une place considérable.

Pierre a dit…

Murielle, c'est:

-des bouquins
-des concerts de Alister (le mec de sa vie on dirait)
-des concerts de gens dont elle connait le profil myspace
-des rencontres
-celle qui m'a fait découvrir crystal castle (<3)
-de l'analyse de ses relations avec les autres
-de la mélancolie
-des petits rien de tous les jours, un peu façon Gavalda (même si elle aime pas)
-des onglets Firefox pr certains (chuis dedans)
-une radio
-deux blogs
-des milliards de caractères de tapés sur ces derniers
-des amies
-des soirées
-tout ses billets de blogs sur la page d'accueil, et pourtant c'est rapide à charger vu que ya que du texte
-des mags culturels
-des expos

=)

Murielle Joudet a dit…

tout ça est beaucoup trop.
:-)