jeudi 1 mai 2008

elle ne porte pas de sac, elle m'a dit qu'elle comptait sur mon sac pour mettre ses affaires, que quand elle va à un concert elle s'arrange pour ne rien porter mais finalement je n'ai porté que sa place de concert et c'était très léger, une rectangle de papier légèrement cartonné. j'ai besoin d'avoir un sac, il y a mon livre, mes clés, mon carnet, mon portefeuille, ma pochette avec des trucs, mes lunettes de soleil, mon portable, mon appareil photo.
parfois je vais sur le site le sac des filles et j'ai honte pour nous, j'ai honte de ces meufs qui trimballent au bout de leur bras tout un tas de conneries, de gadget fétiches dont elles ne s'imaginent pas séparée, des sacs lourds, remplis de merde, pas même un livre, ou si, parfois un guillaume musso, parfois on peut en distinguer une plus classe que les autres, qui a compris ce qu'était un sac, et là le site devient agréable, a un intérêt, même si on se rend vite compte que le mystère des sacs des filles fait finalement place à une extrême banalité. on se rend aussi vite compte que dans les poches des garçons ça se passe mieux, ils savent où se trouve l'essentiel, ils savent de quoi ils auront besoin une fois dehors sans forcément anticiper les pires situations, ils savent que le prévisible arrive plus souvent que l'imprévisible.

_

on arrive à Bastille, je lui dis que quand je faisais mon stage chez Technikart je prenais tous les jours le métro ici, je lui montre où se trouve les locaux du magazine, c'est juste à la sortie, passage du cheval blanc, dans une petite impasse. Bastille ce n'est que ça pour moi, mon stage chez technikart. on demande à un garçon de café qui fume une cigarette où se trouve le café de la danse, il me dit très précisément "première à droite, première à gauche". en traversant les rues je me souviens que Bastille c'est aussi ma première rencontre avec nicolas ker, assis autour d'une table au café de la plage, nous étions à côté, je lui adresse la parole, il pouvait encore fumer à l'intérieur, il ressemblait à un sorcier avec toutes ces volutes de fumée autour de son visage, le souvenir peut-être faussé par le temps d'un sourire ironique, un peu amer qui laisse découvrir des canines pointues, son ras du cou qui m'obsédait. de tout ça il doit ne plus s'en souvenir, il ne va plus jamais y penser pendant que j'y repense devant vous.

_

on est appuyé contre un mur en face du café de la plage, julie fume une cigarette, comme nicolas ker, comme tout les fumeurs. au moment de l'écriture je me souviens vaguement d'une phrase que je peine à retrouver dans "La Chute" de camus, "celui qui est là est toujours le premier", dans le contexte ça voulait dire que celui qui était là, près de nous, tout de suite, était le gagnant, était celui qui avait survécu à tous les autres, qui avait fait en sorte de ne pas venir trop tôt, de ne pas appartenir tout de suite au passé, qui durait près de nous et j'ai cette image de julie qui est à côté de moi, avec moi, et les autres ne sont plus là, nicolas ker n'est plus là, baptiste n'est plus là, le passé est perdant, en pensant à eux ils n'ont pas assez d'incidence dans ma vie alors que julie peut me mettre une claque ou m'arranger ma chemise, pour moi elle a en quelque sorte gagné, c'est la première, et inversement j'ai gagné pour elle.

_

Matthieu arrive, c'est un proche ami de baptiste, il annonce la venue de ce dernier et je suis un peu excitée, comme par réflexe je peux pas m'empêcher de changer de place, de me mettre dos à lui mais il vient vers moi et je lui fais la bise, je regrette immédiatement mon geste, je n'ai toujours pas cessé d'y penser, je vais encore y penser longtemps. ça ne voulait rien dire, je ne voulais pas l'éviter, juste éviter de faire un choix entre aller lui parler et rester contre le mur, je trouvais la situation délicate.
il me dit que baptiste ne vient pas.
cette annonce me choque un peu mais j'ai vite appris que dans la vie c'était comme pour les sacs, il fallait tout prévoir, le pire du pire comme le meilleur. le pire ç'aurait été qu'il ne vienne pas, le pire c'était ça et il est arrivé. j'étais à moitié préparée, sur le coup j'ai aimé ma prudence, mon expérience de ces choses-là, je ne connais plus du tout l'enthousiasme, l'excitation aveugle, mon impatience de le revoir a été sage et non satisfaite.
avec matthieu on parle d'autre chose, on parle très vite pendant, oh je sais pas, 10 minutes, un peu moins, on est très à l'aise, on a des choses à se dire, d'abord nos acouphènes, puis l'amour, puis la première partie du concert, puis sauce blanche et les projets pour le temps qui nous reste.
on rentre dans la salle, c'est obscur et le bruit est violent, des sortes de râles. c'est le groupe Evangelista, je me suis renseignée, dans le myspace il y avait écrit "gothic", sur les photos on pouvait voir une meuf qui faisait son show, son intéressante comme ça ne se fait plus. je l'ai regardé faire et j'ai pensé que derrière la musique il n'y a que des instruments, des hommes et des sentiments, il n'y a pas satan, il n'y a pas de mystère, il n'y a pas de théâtre, il faut être soi-même, penser au public, arrêter les affectations. ce groupe c'était tout ça, 4 membres totalement tournés vers eux-même, qui daignaient jouer pour nous du bruit que personne ne réclamait. avec Julie on vanne et on ricane comme jamais depuis le balcon.

_

dans les toilettes l'eau des robinets est chaude, julie m'apprend que c'est fait exprès, que c'est pour qu'on la boive pas et qu'on aille au bar.

_

l'interdiction de fumer dans les lieux publics fait que nous avons le droit de sortir dehors quand on a envie. je me souviens du sévère "toute sortie est définitive" qui était collé près des portes.
nous sortons, j'ai un peu faim alors je sors mon hot-dog fait maison qui est vraiment très bon, je lui passe celui que je lui ai préparé, j'ai glissé un mot dedans "le bonheur existe, amicalement.
Murielle",
c'est vraiment très bête mais ça nous fait doucement rire je crois, j'aime bien faire n'importe quoi.

Nous parlons, toujours contre le mur, on parle de tout, on a jamais autant parlé de tout que pendant cette soirée, on parle de tout tout le temps et ça nous fait du bien. je vis dans le silence, je vis la bouche fermée alors parler à Julie me fait plaisir. on rigole tout le temps, nous sommes très proches. quand je pense à notre relation à deux je la trouve drôle, je n'ai jamais compris l'amitié, l'amitié en primaire et au collège, les meilleurs amis, maintenant je la comprends, je trouve que c'est un truc finalement assez naturel, c'est ce qui doit se passer quand il n'y a ni la haine ni l'émulation, quand il y a la bienveillance et l'oubli de soi, c'est le partage le plus pur, c'est vraiment très noble et très beau.

sur nos portables nous avons le même fond d'écran, on rigolait un peu en le mettant mais finalement il m'attendrit toujours autant, c'est une photo qu'on devine prise à notre insu, ce sont d'ailleurs les meilleures photos. on dirait deux petits chats. je voulais faire une sieste et finalement je la regarde écrire dans mon agenda.



_

après les hot-dog on remonte au bar, on attend que cette mascarade gothique finisse, je lui demande si elle veut boire un truc, les boissons sont vraiment abordables, ça dépasse pas 3,50€, ça me donne envie de casser mon billet de 10 euros. je lui paye une bière et moi un coca light.
la première partie finie on cherche et trouve deux places au fin fond de la salle, tout à fait dans l'angle, le truc dont personne ne veut, franchement on s'en fout et on voit plutôt bien à partir du moment où tout le monde est assis.

_

le concert se passe bien, en une heure et demi, immobile et debout, on domine tout le monde et personne ne le sait, il y a ma soeur dans la salle, il y a matthieu, il y a plus que mecs que de nanas, les mecs sont beaux, avec des sweat à capuche et de beaux habits, de belles baskets, les quelques filles sont classes, tout le monde se tient bien.
Yoni le chanteur fait remarquer que la salle est très bien, c'est la première fois que j'ai aussi envie de dire qu'une salle est parfaite, derrière le groupe il y a un mur de pierre immense, le public est installé comme dans une salle de cinéma avec une petite fosse au pied de la scène. l'endroit idéal.

_

on sort de la salle, dehors je croise Yann, c'est un mec que j'ai connu sur le t'chat #musique de voila il y a plus de 4 ans, c'est le contact msn éternel, je le vois me parler encore de sigur ros et de mum. je l'ai jamais vu, hier encore il me disait qu'il n'allait pas venir, aucune idée de comment il a fait pour me reconnaître, je sais qu'il n'a pas de photos récentes de moi et je sais que j'ai énormément changé, comme c'est pas permis. je lui fais la bise, je trouve que c'est une bonne surprise, je suis dans un jour où c'est le moment de me croiser par hasard mais je n'aime pas imposer mes discussions à Julie alors j'écourte la scène, je lui dis "bonne soirée", je ne le reverrais probablement jamais.

_

on marche on marche, les lumières des restaurants qui se font face s'entrechoquent, se répondent, on passe sous elles et on dirait qu'il fait jour, c'est vraiment trop animé, ça nous met en joie, après je dis "ah mais demain c'est férié c'est pour ça" alors on traite un peu les gens.
On va au café Bastille, dehors près du chauffage, moment parfait, on regarde ce qu'on nous donne a regarder, les beaux gosses du concert qui prennent le métro, les couples et les minettes. Ici le café est à 3,90€, le coca dépasse la barre des 6€, ça nous rend euphorique. je sors mes pièces, je ne sais pas combien j'ai, combien je dépense, je pose les pièces sur la table ronde, je donne l'argent de poche au monsieur. je sais qu'un jour j'aurai besoin de cet argent mais je décide de ne pas y penser.
elle me dit qu'il y a un match de foot important, je lui répond que ça doit être pour ça que baptiste n'est pas venu, je lui dis qu'il aime le foot. j'ai repensé à son absence, j'ai repensé à son mail d'une phrase qui répondait au mien qui constatait qu'on serait au même concert , de son "j'ai ma place", je sentais que c'était un mensonge.
pendant qu'elle se rend aux toilettes j'en profite pour penser à A.. je vais bientôt lui faire signe, lui dire qu'on doit se revoir parce qu'il reste une image du bonheur, la moins éloignée de mon présent et que de façon assez naïve je vais tenter de revivre la journée que nous avions passé ensemble et dont je ne pense pas avoir parlé.

elle revient et elle se rasseoit, je lui montre ma lecture du moment "Generation Chaos" une histoire romancée du punk et de la new wave, un truc qui m'intéresse plus que mai 68 qui commence un peu à m'exaspérer. je vois bien les débats, je vois bien comment on exploite le filon mais même les acteurs de mai 68 commencent à trop se montrer, à trop s'attribuer les mérites, je revois le mec d'lci gueuler "ils se prennent pour les poilus de 68", je me revois sourire devant la télé.
elle me dit que quand elle a parlé de mon anniversaire à son père il lui a dit"elle aime la musique, tu devrais lui acheter un livre sur le punk qui vient de sortir", elle réalise que c'était celui-là. on hallucine trop.

ensuite, ensuite on fait des blagues sur l'addition, julie dit un truc drôle, elle dit "j'comprends qu'y'est pas la carte", on parle de l'amant de Duras, elle n'a pas aimé, je pensais pas l'aimer autant. on parle et on se répond commes les gens tout autour de nous, c'est le jeu des adultes, je me revois regarder mes parents discuter avec des amis au salon sur le canapé et les fauteuils en cuir rouge, ils parlent libanais, les jambes croisées, tantôt détendus, tantôt graves, je les trouve ennuyeux à mourir, je sais alors que je me sentais incapable de faire comme eux, ni à mon âge ni maintenant.

je me relis, je vois la place que ça prend et le temps que ça prend aussi, environ 3h30, je ne n'ai jamais consacré autant de temps à une activité, je me prends la tête dans la main, je me dis que j'écris trop, ça me choque.

Aucun commentaire: