samedi 17 mai 2008

une histoire sur ma mère et une autre sur mon père

c'était le matin, je fais toujours en sorte de ne pas manger avec mon père, j'y vais avant ou alors après lui, en pyjama ou toute habillée. je le guette un peu, parfois il prépare son petit-déjeuner et il repart dans sa chambre. il mange toujours la même chose curieuse depuis des années : deux pains au lait avec du fromage, sûrement du gouda, et une tasse de thé noire lipton, même la tasse hideuse gagnée il y a plus de 10 ans dans une station service n'a pas changé. un petit-déjeuner finalement très libanais, une tradition parallèle découlant des besoins de la vie quotidienne et qui laisse les plats traditionnels pour les jours de célébrations.
je me souviens en hiver de nos tartines de pain libanais qu'on trempait dans le thé, la feta qui se désintégrait, le pain mouillé, le vrai sucre vite remplacé par l'aspartame. on faisait ça le dimanche, la famille au complet comme ça ne se fait plus. on faisait chauffer les tasses remplies d'eau dans le micro-ondes une par une ou deux par deux quand on était pressé. c'était une des rares choses intéréssantes de mon enfance.

ce matin-là j'ai mal calculé mon coup et j'ai plus ou moins mangé avec lui. il me fait dos, je suis assise à table avec ma tasse de café toujours trop chaude parce que si une minute et demi c'est trop, une minute quinze me semble n'être pas assez. il prépare ses pains au lait, je l'entends parler, l'évènement date un peu alors je ne me souviens plus exactement de ses paroles, il parlait de la différence entre le pain au lait auchan et le pasquier, il disait le pasquier il est beaucoup mieux, y'a une grande différence, il semblait vraiment irrité, il disait que ma mère achetait le auchan et le lui reprochait, je n'ai pas retenu le nom qu'il donnait à ma mère pour parler d'elle, si c'était "ta mère" ou "christiane", ça m'énerve que ce détail m'échappe. je sais que quand il s'adresse à ma soeur et à moi il dit "votre mère" avec tout ce que ça contient de distance dans le nom, cette femme qui ne lui appartient plus, qu'il ne veut plus posséder, qu'il déteste.
ensuite il se retourne et me dit de regarder, dans chacune de ses mains rugueuses il tient un pain au lait, l'un est frippé et écrasé de nature, tout recroquevillé sur lui-même, l'autre est lisse et brillant, un pain au lait de publicité, avec les petites fentes faites au couteau. je suis d'abord surprise voire choquée par cette idée de m'obliger à comparer des pains au lait, ensuite je réalise que la remarque de mon père n'est pas si bête, qu'il réside une vraie différence presque révoltante entre ces deux pains au lait. mon père s'achète lui-même son pain au lait Pasquier, les losanges jaunes sur fond bleu, lui l'esthète, ma mère l'économe.

un peu plus tard dans la matinée j'en parle à ma soeur qui émerge doucement de son sommeil, j'attends une réaction amusée de sa part, un rire, elle me répond alors "bah ouais le Pasquier il est mille fois mieux". bien.

1 commentaire:

ashorlivs a dit…

« Bien. »
(Petite voix intérieure) « ça, c'est fait... »