vendredi 23 mai 2008

I
"Non. Dedans, sans heure fixe. Il faut affronter la vie, ses surprises sont rarement mauvaises."

Les sms devraient tous être comme celui-ci, proches de l'aphorisme.
j'ai reçu ce sms de L.R. au moment où je lui disais que je l'attendrai à partir de 22h devant les Disquaires pour assister au concert piano-voix d'Alister.
Tout a commencé quelques jours plus tôt, je cherchais quelqu'un sur myspace pour venir avec moi voir Crystal Castles, justement il comptait y aller et puis finalement ni lui ni moi n'y sommes allés, la grève des transports, le billet à 22 euros et mes acouphènes, tout ça méritait que j'en sois dissuadée.
hier soir j'étais donc toute seule dans Bastille, appuyée à ce qui devait être une Clio blanche, à attendre silencieusement un homme que je n'ai pas vu depuis environ un an et demi, deux ans mais dont je lis les articles tous les mois, de ces relations indéfinissables que je finis par accumuler, un enfant mort-né de l'amitié, une douce sympathie qui se renouvelle une fois par an de manière imprévisible.
malgré son sms je l'attends dehors, les mains jointes, rien d'autre à faire que de vérifier le ciel et le look des gens qui fument. je n'ose pas rentrer, je n'ai jamais été à l'aise toute seule dans la rue, encore moins dans les bars, je sens le regard des autres peser atrocement sur moi, ma solitude semble alors suspecte, mes mains inoccupées également, reste à trouver un moyen de se donner de la consistance, avant je triturais mon téléphone portable maintenant j'ai appris à m'ennuyer devant les autres sans en avoir honte.

Sur le trajet qui menait aux disquaires j'ai croisé deux fois de suite Alister, je l'ai reconnu tout de suite, habillé tout de noir, les cheveux longs, fins, lisses mais pas raides, la barbe, les stan smith neuves, beau comme un enfant, ce mec ne peut être que gentil, pourquoi pas innocent. la première fois il marchait les mains vides, la deuxième fois il avait du Quick dans les bras et mordait dans un hamburger, moi-même je me promenais dans Bastille, c'était une manière de tuer le temps en attendant 22h et de voir un peu comment était foutu ce quartier, je pensais à des choses, notamment à ce sentiment d'un monde qui se faisait sans moi quand je voyais les gens sur les terrasses des cafés, discutant, buvant, fumant, posant un regard distrait sur la passante que je représentais ou n'en posant pas. je me suis dit alors que quand je suis accompagnée je ne pense pas à ça, une personne marchant à côté de moi et m'adressant la parole suffit à m'ôter ce sentiment et je ne regarde pas les gens autour, je suis comme eux et je ne souffre pas.
la journée a été terrible, harassante à en chialer, j'avais dû dormir cinq heures et ça ne pourra jamais suffire pour une journée de cours qui a tendance à vous sucer tout semblant d'énergie dès huit heures. mon père m'avait déposé devant le lycée et je m'étais rendue compte que j'avais oublié mes lunettes de vue, bon prétexte pour retourner chez moi et tuer l'heure d'svt. sur le chemin qui menait au métro j'avais croisé plein de filles de ma classe qui s'étonnaient de me voir marcher dans la direction opposée à la leur, on a le droit de prendre cette direction qu'à 16h, qu'à la fin des cours, normalement.
le
mal de tête pointe le bout de son nez, je tente de me concentrer sur kafka car regarder trop loin me déchire le crâne. chez moi j'ai le sentiment d'avoir fait le trajet toute seule et que ce n'était pas déplaisant, qu'on pouvait échapper au monde avec un simple livre. à midi nous avions trois heures qu'on allait consacrer à la recherche d'un cadeau pour notre amie Anaïs, on est allé chez h&m, pestant sur tout ce qui n'était pas notre style, les filles avaient mangées sur des marches vers l'esplanade, à midi cet endroit devient le lieu de toutes les curiosités, un choc visuel ou des petits hommes d'affaires mangent leur mcdo pas loin de nous, le pantalon qui remonte du fait de leur position assise, cette vision pleine d'une solitude moderne me marque toujours autant, je les regarde de dos sans jamais croiser leur visage.
anaïs adore hello kitty alors je lui ai acheté une chemise de nuit hello kitty, j'ai aussi acheté une casquette bleu marine que j'avais repéré il y a bien longtemps, il en restait une depuis des mois, je crois qu'elle m'attendait, elle n'avait ni prix ni étiquette, j'aurai pu la voler. j'enfonce un peu n'importe comment mes cheveux dedans et je relève la visière, ça me donne un côté mignon que cécilia aime bien.

une fois chez moi j'essayais de ne pas trop penser au concert que j'allais rater ce soir, j'avais envie de manger de la glace au chocolat picard et de dormir jusqu'au lendemain. le problème était que l'ambiance était particulièrement irrespirable à la maison et que je ne me voyais pas passer une soirée ici même endormie alors j'avais décidé d'aller voir l'exposition louise bourgeois à beaubourg et l'idée de continuer la soirée comme laurence voulait la continuer, c'est à dire aux disquaires était trop tentante. je lui ai écrit un sms, ensuite j'ai raté son coup de téléphone et il m'a laissé un message sur mon répondeur : il n'allait pas voir crystal castles mais serait aux disquaires vers les 22h20, sa façon de parler n'avait pas changé, et puis pourquoi aurait-elle changé.
j'ai mangé du caviar d'aubergine, de la tarte à la feta, de la glace au chocolat et du coca light en écoutant "carrefour de l'odéon", l'émission de musique classique sur France Inter, après je me suis préparée.
mon épiderme est abominable, le manque de sommeil y est écrit en toutes lettres sur mon front, j'ai des tâches bleues sous les yeux, vraiment des tâches, et les pores dilatés, et le retour de l'eczéma. je limite les dégâts, je connais les gestes qui sauvent à moitié, avant je me surprenais à ne pas me trouver belle, maintenant je sais que je ne peux pas beaucoup en demander à mon physique, j'accepte mes limites.
je descends de chez moi vers les 20h en même temps que mon père qui va au restaurant avec un collègue, il grogne gentiment à cause de ma sortie en semaine et finit par me signaler un bizarre "et ne perds pas ta casquette" que je prends comme un "fais attention à toi".je n'ai pas le temps d'aller à beaubourg, et à une station le métro n'arrive plus à fermer ses portes alors on est obligé de descendre et d'attendre l'autre, on est très serré mais je suis assise, à côté de moi une fille tient un gros livre, le bord de la couverture est rouge, je reconnais alors l'inévitable "consolante" qui a tendance à ne pas me consoler.

ensuite on se retrouve donc à Bastille, là où l'histoire a commencé, on reprend au moment où je suis appuyée contre la Clio, j'écoute deux nanas toutes féminines parler et fumer. je porte une chemise bleu clair, un épais gilet façon caban bleu marine, un jean foncé, mes springcourt blanches et mon sac hervé chapelier bleu marine et vert, je pense à mon obsession du bleu marine. Assez tard, vers les 22h40 je me décide à rentrer dans le bar. je vais aux toilettes, ensuite je commande un coca light, je tends mon billet de 10 euros au petit mec et lui demande une paille, il reprend le verre quand il voit que je bois à même la bouteille et me tend des pièces et un billet que je ne regarde pas, aucune idée de combien coûte ce truc, ce n'est qu'en regardant un peu plus tard les murs du bar que j'ai su que j'avais payé 3 euros 50. je sirote ma bouteille accoudée au bar, frôlant thierry théolier que je reconnais à sa casquette, ses cheveux, sa veste en jean et ses lunettes.je suis un peu plus à l'aise, j'arrive à fixer les gens plus longtemps, je commence à reconnaître de ces visages récurrents qui marquent une soirée, dont on croise à plusieurs reprise le regard, j'ai l'impression d'être restée trop longtemps appuyée à cette Clio.
je circule un peu, j'ai enlevé mon gilet, il y a un mec qui chante accompagné au piano, il précède un autre mec en noeud pap qui chante "ma ville est un café, ma ville est une chanson, ma ville est..." inlassablement tout en jouant de la guitare. un concert très ennuyeux, je détourne mes yeux et regarde la petite foule attentive, je remarque un homme aux cheveux à la Alister mais un peu plus clair, la paire de lunettes carrée, c'est Pierre Mikailoff, une sorte de journaliste rock. Impossible de vous dire ce que ce mec fait de ses journées, je l'ai juste croisé et salué il y a là encore deux ans, c'était une fille qui s'appelle Violaine, une amie de L.R, qui m'avait présenté sous le nom de "vernis rouge" et il semblait me connaître "vernis rouge ah oui", sûrement qu'il mentait, personne ne me connait.après je l'ai vu chez taddéi. je suis très attentive à ce que sortent les éditions Scali et je sais que son dernier livre est une biographie de Taxi Girl. Pour une raison qui m'échappe je n'arrive pas à l'apprécier, je n'aime pas ce qu'il représente, cette connaissance encyclopédique qui me fait défaut et qu'il semble posséder, son trop grand sérieux lors de ses interventions, comme si le rock était une science, le genre de mec a t'expliquer le monde à travers le parcours d'un groupe comme Taxi Girl. j'ai trop tendance à partir d'un mauvais préjugé avec les gens que je ne connais pas et à me laisser convaincre si l'occasion s'en présente, certaines personnes ont au contraire des préjugés favorables avec tout le monde, c'est une sorte de présomption d'innocence, pour eux tout le monde part innocent, pour moi tout est nul jusqu'à preuve du contraire. je dis ça mais en même temps je n'ai jamais eu autant conscience du passé des uns et des autres, quand un adulte se tient devant moi j'ai toujours cette même impression qu'il revient de très loin, qu'il revient d'amours déçus, d'études chaotiques, de gloire et d'échec. je l'observe assez longtemps, lui aussi regarde autour de lui, personne n'est vraiment intéréssé par ce concert, j'imagine que chacun vient juste chercher sa dose quotidienne de légèreté, de "mondanités", y compris moi. les adultes se consolent entre eux. c'est juste impossible de se passer de soirées pareilles, chacun à besoin de se voir un verre à la main, évoluer dans l'obscurité, entre les hommes.

3 commentaires:

Juliette a dit…

En plus son respect des majuscules est très respectable

Pierre M a dit…
Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.
Pierre M a dit…

ça, par exemple ! En fait, je dois bien avouer que je ne sais pas très bien moi-même ce que je fais de mes journées...