"Peut-être qu'au moins dans la journée il faut faire sa page : parce qu'au moins on est content d'avoir fait sa page" Hervé Guibert
"j'ai soudain senti que je m'étais rééduqué moi-même, et justement par le processus du souvenir et de l'écriture" Dostoïevski
"Ce qui est exprimé est résolu, dit sa profession de foi." Thomas Mann
"Règle d'or : laisser une image incomplète de soi..." Cioran
lundi 26 janvier 2009
"J'aimerais dormir, mais tu dois danser"
La dernière fois que nous nous sommes vus avec les Gens du Forum remonte à ce samedi, avant samedi il y a eu ce dernier vendredi des vacances chez F. pour son anniversaire-pendaison de crémaillère. Cela avait été une soirée trop riche de tout et trop longue pour que je puisse convenablement en parler et pour la première fois je semblais être victime d'une incompréhensible insuffisance de langage. On se prépare pour l'écriture mais on ne sait pas par où débuter, ni faire le tri entre l'anecdotique et l'essentiel, ces choses qu'en temps normal on éxécute spontanément sans que la question ne se pose. Alors on se résout à garder cette soirée dans son égoïste boîte à souvenirs sans pour autant douter de la nécessité de la partager un jour. Il aurait fallu éviter à cette soirée de sombrer dans l'oubli et je n'en avais pas été capable. Peut-être qu'un mois après je peux en parler, ça ne ressemblera pas à la fresque nocturne que je m'imaginais mais au moins des choses resteront, des choses qui encore maintenant me laissent un goût doux et sucré en tête, il me semble d'ailleurs que je ne compte pas du tout parler de la soirée.
Je peux dire que je portais une robe noire et que j'ai dû dormir chez Elise, une fille que je voyais pour la première fois et qui habite à l'autre bout de la ligne 1, Château de Vincennes. Inutile de dire que pour une fille de La Défense, l'autre bout de la ligne 1 signifie l'autre bout du monde.
Il était 4h quand nous venions de quitter la soirée, nous étions alors les dernières à partir et les circonstances faisaient que personne ne pouvait nous raccompagner, ni même nous avancer. La meilleure solution avait été d'unir nos billets pour payer un taxi qui nous emmènerait chez Elise. Une fois chez elle, Elise m'a surtout demandé "aucun commentaire", je ne comptais pas le faire, je me disais seulement qu'en entrant chez elle c'était comme si j'avais pointé du doigt n'importe quel fenêtre d'appartement pour ensuite pouvoir le visiter, c'était le hasard suprême, une chance énorme, cela faisait un certain temps que je n'avais pas dormi autre part que chez moi. Je veille chez les autres mais je n'aime pas dormir autre part que dans mon lit, parce que je ne maîtrise pas l'heure de mon levé et que j'ai toujours l'impression d'avoir besoin autour de moi d'une quantité considérable de choses qui m'appartiennent. Cette nuit-là je n'avais eu que le contenu de mon sac, j'étais la seule à pouvoir y plonger aveuglément la main, cette pensée me rassurait.
J'avais insisté pour veiller en attendant le premier métro, mais Elise insistait pour que je dorme et qu'on y aille demain matin. C'était comme si j'avais vraiment craint de dormir chez elle et tant que je le craignais je n'aurai pas pu m'endormir, j'avais alors écrit un peu dans les brouillons de mon blog avant d'aller m'effondrer sur le matelas qu'elle venait de déplier.
"Lentement, je commence à me déchausser et à accepter le fait que je vais dormir chez une autre. Une fille que j'ai vu pour la première fois aujourd'hui chez F., que je connais du forum et qui par un malheureux concours de circonstances et parce que je ne comptais pas rentrer avec le dernier métro, a finit par m'inviter à dormir chez elle à Vincennes. Je n'ai pas vu grand chose de son appartement, j'y ai deviné quelques meubles dans l'absence de lumière que sollicite un appartement qui dort, vers les 4h du matin. J'ai vu sa chambre et la "salle internet", d'ailleurs c'est dans cette pièce que j'y tape ses premiers mots parce que mes activités y sont restreintes et m'aventurer en dehors de cette pièce me fait peur, je commence à m'y habituer. J'ai bien La Nausée dans mon sac et puis je peux aussi farfouiller dans ses Cd et ses livres rangés juste derrière moi, les affaires d'Elise, mais j'écris, non pas pour ne rien oublier mais pour que les choses se racontent comme elles devraient être racontées, avec ce recul tout juste acquis de fin de soirée. Il y a aussi le fait que le souvenir de cette soirée m'enthousiasme plus que de raison et qu'il me fait l'effet d'un secret : j'ai envie de le partager avec tout le monde. Mes cheveux sentent fortement la cigarette et je les éloigne du visage, je tente de ne pas penser à mon corps, froid, sale et fatigué, je pense juste au clavier, à ce moment un peu irréel de fin de vacances, chez une étrangère. Je porte encore ma robe noire et mon eye-liner, je compte dormir comme ça, j'ai même un léger trou dans mon collant et j'ignore pourquoi mais A. avait du vernis transparent sur lui, dans son énorme sac Beijing 2008.
[...]
J'ai fait ce qu'on peut appeler un "brin de toilettes", c'est à dire que je me suis lavé méticuleusement le visage avec de l'eau, jusqu'aux oreilles, et que j'ai bu et recraché une gorgée pour compenser le manque de brossage. Les produits d'hygiène d'Elise me conviennent totalement mais ce ne sont pas les miens et il y a des choses qu'on ne souhaite pas emprunter. Je me suis postée devant le miroir : voilà à quoi j'avais pu ressembler pendant la soirée. Pas trop mal mais un épiderme proche de la surface lunaire , avec ses crevasses et ses irrégularités, une chevelure étonnamment sombre, et même noire ,comme la robe. La robe qui me va, première fois que je la porte, achetée à prix cassée, c'était vraiment elle ma complice ce soir : l'assurance, le sentiment d'une certaine élégance, la confiance en moi, elle m'a tout apporté. Cette nuit elle n'était plus qu'un morceau de tissu froid et noir, sentant fortement plusieurs arômes de cigarettes. Les cigarettes de A. et celle d'Elise, celle de B. aussi, tout ces gens qui à un moment de la soirée sont venus les uns après les autres et très naturellement me parler en tête à tête. Ça tournait, c'était émouvant, c'était spontané. Plus qu'en l'amitié, je crois en la sympathie, au peu de choses que l'on sait des gens qui étaient là. Je me suis endormie vers les 6 heures du matin, j'ai déplié le matelas et j'ai pensé à lui comme au "matelas des filles perdues" sur lequel Elise fait dormir toutes les copines qui ont subit le même traitement que moi, les mêmes soins, la même petite attention."
Pour accompagner mon sommeil et afin d'oublier le caractère étranger de la pièce je m'étais endormi avec la radio de mon portable, sur un débat à propos des réseaux communautaires genre Facebook. Vers 10h j'avais passé une partie de la matinée à somnoler sur une émission parlant de la solidarité et de l'amour du prochain, il me semblait que tout les termes et toutes les voix me pénétraient agréablement le crâne, je sentais que je venais de "très bien dormir".
On dort bien quand le plaisir procuré par le sommeil déteint sur nos premières perceptions de la réalité, qui nous paraît alors plus douce. Une fois réveillée, je n'ai pas osé bouger et j'ai attendu qu'Elise vienne me chercher pour m'autoriser à sortir de la chambre. Son visage doux apparut, elle m'avait fait du thé et du jus d'orange. Sur la table de la salle à manger m'attendaient une orange pressée, leur dernière part de gâteau au chocolat et deux madeleines sous plastique. Le salon tout petit tout mignon semblait inusité, les salons ont toujours été les pièces les plus immobiles du monde et dont la moitié des objets présents ne servent à rien. Sur le mur, les tableaux et les coussins on pouvait voir des motifs floraux façon chromo, gentiment désuets et très émouvants sous les froids rayons de soleil. Sur la table, trois assiettes, j'allais mangé avec son père qui n'allait pas tarder à sortir de sa chambre. Face à lui je m'étais senti forcément mal à l'aise, j'avais pénétré et dormi chez lui sans son autorisation, et malgré le consentement de sa fille c'était surtout le sien qui comptait. Je devais passer pour une fille salement perdue, encore en tenue de soirée et qui avait fait des bêtises toute la nuit, mais très vite ce sentiment s'est dissipée, parce qu'il faisait en sorte d'avoir des choses à me dire et qui me conseillait de goûter la confiture de figue.
En attendant que son père vienne s'installer j'avais pensé au côté absolument rassurant de la nourriture, qui donne de la douceur aux situations un peu délicates, nous ne sommes pas chez nous, nous ne reconnaissons rien en dehors des formes que prend la nourriture. Le jus est là, on connaît le jus, on connaît les madeleines. J'avais poliment débarrassé, comme je l'avais fait un peu plus tôt chez F. Secouer les canettes de bière pour juger de leur contenu, vider les cendriers, jeter les assiettes en plastique pleine de miettes de galette, les paquets de cigarette vides. Ici débarrasser les tasses de café et les verres de jus, les assiettes et les emballages de madeleine. Elle m'avait accompagnée jusqu'au métro, il faisait froid mais du soleil existait et nous avons traversé le Bois de Vincennes avec ses arbres nus et vrais comme des corps d'hommes. Elise fumait lentement en me parlant de son passé et je prenais des photos, très contente de la situation. Le temps du retour j'avais eu besoin de ce soleil pour adoucir la brutalité de mes souvenirs et l'appréhension quant à justifier mon découchage auprès de mes parents qui n'avaient pu que me laisser faire. En temps normal je m'arrange pour revenir avec le premier métro et à 7h du matin je suis là, je me déshabille, je range mes affaires dans l'obscurité et je me couche.
Il n'y avait personne à la maison en dehors d'Emile qui dormait entre mon lit et celui de ma soeur, je ne pensais plus qu'à une chose, prendre ma douche, mettre toutes mes fringues au sale, me brosser les dents, me démaquiller, puis retrouver les repères de mes samedis habituels.
Ma mère ne m'a pas engueulée, l'histoire que je lui proposais semblait tenir debout. Elle nous a préparé à déjeuner de la salade, de la viande et du gâteau au chocolat, mes cheveux étaient mouillés et sentaient encore la cigarette malgré la force mobilisée pendant le shampooinage. Je m'étais ensuite habillée puis promenée aux Tuileries les mains gelées dans mes gants. Ensuite j'étais allée voir le Cuirassé Potemkine au cinéma. A côté de moi, une mère venait de sortir une tablette de chocolat et en cassait des carrés qu'elle distribuait à ses deux fils qui lisait des comics en attendant la séance. Dans le métro du retour une américaine me demanda poliment de l'argent, "it's a difficult time for me...". Je me remémorais les choses, je mesurais le décalage : la matinée chez Elise n'avait pas pu exister.
Lundi
Quand il s'agit de communiquer ce qui se passe lors d'une fête, tout devient plus dur, c'est comme raconter un film, la description sinon le compte-rendu de ce que l'on vient de voir est toujours insatisfaisant, ajoutez à cela le fait qu'on a toujours le sentiment légitime de vouloir faire son intéréssant, sinon de se justifier de quelque chose. Je m'en rendais bien compte ce matin chez Hubert, je mangeais mon chausson aux pommes qui tombait en miettes sur mon écharpe, Cécilia et Charlette buvaient leurs chocolats chauds, Julie s'était acheté une sorte de brioche après son pain au chocolat. C'était pendant l'heure de trou du lundi matin, quelque chose était retombé, comme on tire un rideau, comme on fait tomber un couperet, il n'était plus question des aventures pailletées du samedi mais d'un lundi matin simple comme un verre d'eau, où l'on se débrouille pour ne pas s'évanouir sous le coup de l'ennui, où l'on est pris de vertige lorsque l'on pense au mot "routine", et l'on discute pour se serrer les coudes. J'essayais de leur raconter ce que j'avais fait, ce qui s'était passé, je racontais la vingtaine de personnes présentes, dans ma tête les scènes passaient en boucle, tout me revenait en détails, projeté sur les parois de ma mémoire, il ne fallait plus que trouver les mots et communiquer.
Les filles se demandaient "mais vous faites quoi ?" vous faites quoi pendant ces soirées, vous faites quoi sur le forum. Je trouve que c'est une bonne question, je me la pose à moi-même, qu'est-ce qu'on fait ? Je sais que quand je regarde un film je dis "j'ai vu un film" et quand je vais toute la journée sur le forum je dis "j'ai rien fait". Ça montre que ce que je fais dessus, tout ce temps, ça ne va nulle part, le temps est gâché ou alors n'existe plus. J'ai dit à P. "quand tu reviens des cours, enfin quand je reviens de cours au lieu d'aller discuter au bar tu vas sur le forum", je parle à la copine de Nicolas, de ce qui fait qu'on est étrangement réunis ce soir, ce mélange bizarre d'âges, de coupes de cheveux et de professions. Il n'y a qu'internet pour justifier l'inexplicable. J'arrive à 21h30 en jupe avec un gâteau à la main, je repars à 5h30 avec une assiette lavée, j'ai troqué ma jupe contre mon pantalon, l'eye-liner me faisant des yeux de panda, qu'est-ce qui s'est passé ? Dans le métro je pense : c'était une fête comme un monde tout brillant tout neuf. Je suis profondément heureuse de fréquenter ces gens, je les aime sans les connaître, je les aime assez fort pour que ça en devienne ridicule. S'ils savaient ils me diraient "tu exagères", je garde cette amour pour moi, au fond de mes poches comme un vieux mouchoir humide, il n'a besoin de rien pour exister, il est là, comme un nuage rose et bienveillant au-dessus de chaque personne présente. Tout à l'heure j'étais près de la chaîne hi-fi et les gens mangeaient mon gâteau, il me semblait que le réel me faisait plus l'effet d'un souvenir que de la réalité. Je suis là, je pense aux gens comme à des souvenirs alors qu'ils sont bien présents, qu'ils me parlent et me touchent. J'apprécie trop ces moments pour les penser réels et je finis par y superposer ma nostalgie future, j'ai le recul que je devrais avoir dans un mois sur le moment que je suis en train de vivre. Ça ne me fait jamais ça, en temps normal je me sens les deux pieds englués dans la réalité, les bruits, les formes et les couleurs me brutalisant les sens. J'aurai voulu l'expliquer aux filles mais il faut aussi que j'arrive à faire la part des choses entre ce qui intéresse et parle aux autres et ce qui mérite de n'appartenir qu'à moi. On débarrasse les plateaux, j'enfile mon sac à dos, je boutonne mon caban, c'est l'heure de l'histoire géo.
Girl Talk - Still Here
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2 commentaires:
salut murielle.
de quel forum parles tu ?
peux tu me donner l'adresse ?
à+
denis
Nevroteen.com
faut suivre un peu
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