jeudi 25 février 2010

De la paranoïa fondée

Reprenons point par point un passage de mon blog et faisons le parallèle avec les propos de Popo, prof de méthodologie idéale, lors de son dernier cours :

"En face de moi Karine se connecte à Gmail. Cours chiant sur une dissertation sur l'irrationnel, trop dur, désespérant,
il y a une rumeur qui court comme quoi le cours sur l'irrationnel de la semaine dernière était trop dur
j'hésite à lever le doigt et à dire "mais madame, vous êtes sur qu'on est capable d'en arriver à là par nos propres moyens ?"
ne vous inquiètez pas, ce qu'on a fait lors du cours dernier je vous demande pas de savoir le faire en fin de L1 mais au moins en fin de Licence 3.
mais j'ai d'emblée adopté une telle attitude pendant ce cours que j'ai décidé de ne plus jamais participer pour rester cohérente."
J'aimerais que l'un d'entre vous, avec ces éléments, me trouve une problématique...Florian quelque chose ? Votre voisine peut-être ?"


En sachant qu'elle n'a jamais interrogé quelqu'un qui ne levait pas le doigt.


lundi 22 février 2010

Jeudi matin, cours de sociologie et psychologie sociale, j'ai changé de TD uniquement pour être avec un chargé de TD qui s'avère être (après quelques recherches) gros cinéphile et qui a écrit un mémoire très intéressant sur "le spectateur engagé"; uniquement pour ça et pour aucune autre raison. Ce changement par amour ne s'est pas fait sans son lot de sacrifices : au lieu de me lever à midi pour aller en cours de statistiques à 14 heures je dois maintenant me lever à 9 heures pour arriver à 11 heures.
Peu au courant de la démarche à suivre j'avais envoyé comme une bouteille à la mer un mail demandant s'il pouvait m'accueillir dans son TD et il m'a dit que j'étais la bienvenue. Premier contact et déjà "la bienvenue", oh my.
Toute la semaine je n'avais d'abord eu aucune réponse, ce qui m'attristait mais je tentais d'en voir le bon côté, cela me permettait une glande du mercredi soir au jeudi midi non négligeable, je suis très glande, très insomnie aussi. Mercredi soir quand j'ai reçu le mail je n'étais plus que joie, la situation s'inversait "oh et puis 9h ça reste relativement tard comme heure du lever", voilà comment on fonctionne: on s'arrange de tout ce qui nous arrive, on prend en compte les avantages, on en cherche, on laisse tomber les inconvénients, sinon on ne supporterait rien.
Il avait repris la structure de mon mail pour répondre, avait fini par le même "Bien cordialement", j'étais toute émue.

Je l'ai d'abord aperçu de dos, encore tout affairé à parler avec des élèves du cours précédent, je n'étais pas jalouse, ça allait. J'étais dans cet instant suspendu où tout en prenant place dans la salle je faisais définitivement connaissance avec son visage; personne n'était au courant de rien, toute l'histoire tenait dans ma tête.
Au fur et à mesure du cours je saisissais des bribes de données, des pièces du puzzle. Quelque soit le professeur qui est devant vous il vous est livré dans une relative vulnérabilité, on ne se rend pas compte du pouvoir que l'on a sur lui en le saisissant simplement du regard, en passant le cours à le fixer de ce regard qui dans un va-et-vient juge et pose des questions. Il est là, se portant tout entier devant vous, avec ses mimiques, sa gestuelle, ses vêtements, ses affaires, sa gestion de l'espace, sa voix, ses phrases.
Un rapport observateur/observé s'est installé d'emblée, j'avais honte de mes recherches trop poussées à son sujet, il y avait déséquilibre, j'avais une longueur d'avance qui frisait l'obscène. Il pensait qu'il était le simple chargé de TD au cours d'une heure et demi alors que j'étais pour ma part assez émue d'enfin le rencontrer, à la limite de lui dire "on m'a beaucoup parlé de vous". Il était tout mignon, tout frêle, de fines lèvres, la peau irritée, beaucoup de cheveux, un pull marron sur une chemise bleu clair à la limite du gris, sa parka et sa besace pas loin. Une charmante petite personne qui ne laisse rien deviner de ce qu'elle est et de ce qu'elle aime.
Ce qui me frappe chez les chargés de TD c'est qu'ils sont encore bien jeunes pour la plupart et qu'on les sent comme ayant tout récemment fait leur place dans le monde tandis que nous nous débattons et que nous nous cherchons encore et pendant des années devant leurs yeux. Ils sont calmes, du moins sûrs d'une chose, c'est qu'ils ont ce savoir à nous transmettre, quant à nous, nous ne savons encore rien de nous sinon que nous devons réceptionner ce qui nous arrive, tâcher de donner un sens à tout cela. Nous sommes plein de fureur et d'ambitions contradictoires. Ô étudiant, toi, ta cigarette et ton gobelet de café, tu prends ton absence de vocation pour de l'errance mais un jour tu te plaindras de précisément le contraire, aujourd'hui tu ne sais pas pour quoi tu es fait, demain il sera trop tard pour être autre chose.

Peu d'étudiants participent en cours, on ne sait pas très bien mais il arrive que dans un cours de cinquante personnes aucun d'entre nous ne se manifeste ou alors après plusieurs secondes deux trois doigts se lèvent : pas envie de se mouiller, timidité ou simple ignorance de la réponse, les causes sont multiples. J'avais bien envie de dire mon mot sur Gustave Le Bon et la psychologie des foules, envie de dire que quand même ce truc de conscience collective qui s'impose à soi et qu'on ne peut contourner je n'avais pas l'impression que c'était vrai et que par exemple à un concert j'étais plutôt du genre à considérer que la foule c'est tout les autres sauf moi (des gens rient) que je peux toujours m'abstraire d'elle. Voilà Raphaël ce que je pense. Puis j'ai fini sur des considérations sur internet, "ptêt que les choses changent avec internet, puisqu'il y a foule sauf qu'on est toujours tout seul à réagir". Il avait l'air d'accord, en plus il a répondu à mon "au revoir", je crois qu'il m'aime.

Je me souviens que ma soeur se foutait gentiment de ma gueule parce que je me démenais pour changer de prof de socio, je lui avais alors répondu : "le jour où j'ai réalisé que j'ai failli ne pas connaître Monsieur Franck en changeant de lycée en première, j'ai décidé d'être le hasard, de le forcer." Elle a rigolé.

dimanche 21 février 2010

Une chambre à soi

J'ai déplacé l'ensemble des photos que j'ai reçu dans de nouvelles pages que vous trouverez à droite de l'écran dans la rubrique "Une chambre à soi".
Je remercie les personnes qui m'ont envoyé leurs photos et celles qui y ont pensé sans trouver le temps de le faire mais qui le feront d'ici bientôt.

C'est vraiment trop beau de voir vos petites chambres toutes chaudes dans lesquelles vous évoluez.

J'ouvrirai d'autres rubriques pour Le Bureau et les autres photos et vous tiendrez au courant des mises à jour. Je viens d'ajouter deux bibliothèques et un lit.

Pour l'instant il n'y a pas d'autres buts que celui de la collection mais ces photos m'inspirent franchement.

jeudi 18 février 2010

On (2)

il y avait cette nana au Monoprix, elle parlait toute seule en passant devant les caisses automatiques, elle marmonnait dans une demi-fureur : "ça c'est la mort des caissières, on ferme les usines et on tue les caissières, c'est bien, continuez comme ça."
Après j'ai réfléchi, les caisses automatiques c'est un peu le premier sursaut maladroit du tout-technologique, un truc de merde qui marche mal et énerve tout le monde, qui fait du mal à tout le monde, j'avais envie de lui expliquer que le monde était en train de tester ses limites comme un enfant qui joue avec un briquet, les limites de la souffrance, pour "voir ce que ça fait", et que ça allait durer un moment, toujours. Oui le monde a des bras et des actions autonomes, il y a une conscience mondiale sinon nationale, un "On tue les usines".

Je fais toujours le même gâteau au chocolat auquel j'ajoute ma déco personnelle, il y a déjà eu les étoiles en sucre en forme de T puis les vermicelles multicolores, aujourd'hui les Smarties. Je vise une déco bien précise à chaque fois, un truc un peu spectaculaire et marrant, j'ai le truc en tête et ça finit toujours mal, un peu crado, ce n'est pas lisse, c'est crevassé, raté-touchant.

Je prends ma douche, j'ai cru que j'avais le temps, j'ai trop traîné et là je suis limite. Je me fais propre et je m'arrange, je mets la crème hydratante assortie au parfum, flippant, mais il faut bien les utiliser ces crèmes vendues avec le parfum qu'on m'offre à Noël. En arrière-plan sonore Deezer déploie les nombreuses versions de la musique d'Il était une fois la révolution par Ennio Morricone, d'une beauté insoutenable, je rêve de faire du roller dans une rue déserte sur cette musique, en l'écoutant la vie me paraît limpide, compréhensible, je demande à aimer un homme sur cette musique. Emile fait "chom chom"(il faut l'écouter pour comprendre), [me souvenir lorsque A. m'a fait découvrir cette musique très tard dans la nuit dans son appartement, le son au maximum, pour l'apprécier aussi vite on ne pouvait l'apprécier qu'aussi fort, c'était l'une des plus belles soirées de ma vie] et me demande si on peut regarder un Hitchcock ce soir, je lui dis que moi ce soir je sors, il me demande de rester, je lui dis à demain. Ma soeur dort comme une chenille dans son cocon et insulte Emile parce qu'il la réveille, je ne la connais presque plus que comme ça, en Oblomova, dirigeant le monde depuis son lit. Et quand je pars pour de vrai, enroulée dans mon parfum, mon écharpe, mon manteau, montée sur des talons, avec cet air féminin affairé en retard, cette nana qui débarque dans la cuisine au milieu de sa mère et de sa soeur en chaussettes, toute apprêtée et qui ne fait déjà plus partie du monde chaud, rond et mou du foyer.

F. m'invite chez lui pour inaugurer sa machine à raclette, la table est dressée, on est six, j'appréhende un peu parce qu'il s'agit d'un vrai dîner d'adultes, je suis l'unique jeunette et j'essaye de bien me tenir, trouver un équilibre entre la discrétion et la participation, j'ai l'impression d'émerger d'un isolement (toujours l'impression d'être isolée) et qu'on me fout sous les projecteurs. Il faut un certain moment avant que ça glisse vraiment, avant que l'on s'oublie dans la discussion jusqu'à en oublier nos assiettes. La mienne est peut-être à la hauteur de ma petite appréhension, tout y est déchiqueté, celle de M. très organisée. F. me laisse choisir les vinyles à passer, il m'explique la différence entre les richelieus et les derbys, me sort les modèles, on fume dans l'encadrement de la fenêtre, les sujets de discussion sont variés, tout est absolument tranquille.

Chaque fois que je viens chez eux je m'éclipse du salon et prends un peu de temps pour fureter dans l'immense bibliothèque qui se trouve dans le couloir, les Gallimard tel un peu jaunis, les tranches régulières des Folio, les livres de philo exigeants, les Dennis Cooper rassemblés, quelques Dvd, un coffret Mankiewicz, un coffret Godard avec 25 films (je crois que c'est A. qui a du le lui ramener de Chine).

F. me dit "les classiques tu dois les lire, les adorer pour ensuite pouvoir dire "ah non ça en fait c'est de la merde" et passer à autre chose".
et aussi "t'as de la chance de pouvoir écouter ce genre de musique, t'as de la chance d'être avec des adultes et de manger de la raclette alors que tu pourrais être en train d'écouter de la dance dans une soirée aux Planches."

Je lui demande si leurs livres sont mélangés, il me dit que non et qu'il a lu tous ses livres à elle.
C'est un couple très beau et très calme et à chaque fois que je parle de ce couple à quelqu'un les gens sont doucement admiratifs. On dirait qu'ils tiennent quelque chose, une bonne recette, un juste milieu, une tranquillité, peut-être que je dis ça parce que je les ai vus à l'oeuvre dans leur appartement. Ils ne font même pas couple bobo insupportable. J'essaye de capter comme je peux quelques moments de complicité entre elle et lui, ils se parlent sur un ton cordial et surtout pour des détails pratiques avec un ton qui a ce je ne sais quoi de plus intime que le ton employé avec les autres. Parfois elle fait appel à lui pour se souvenir d'une chose, et lui insiste pour qu'elle se souvienne, il n'y a plus que ce "On", "On est allé", "On est interdit d'écharpes, on en a trop".

Je suis curieuse de savoir si un jour je serais capable d'une telle relation avec une personne, une personne que je ne connais toujours pas et qui n'est même pas encore désignée par un Destin, mais qui arrive doucement vers moi. Au début, quand même, il y a deux parfaits étrangers feignant qu'ils ont tout en commun et finissant par y croire et par nous le faire croire, la relation devient alors nécessaire. Cela suppose, je crois, une certaine forme d'abandon, d'inconscience, on ne peut pas raisonnablement s'observer et être en plein dedans ou alors on alterne entre état de conscience et d'inconscience.
J'en reparlerai peut-être mais là je meurs de sommeil.

Midi (1)




J'arrive en retard au cours de méthodologie, 21ème étage, je sais que depuis cet étage je capte la wifi de l'université. Hop, je rentre discrétos le login de ma carte d'étudiante (combien de fois j'ai fantasmé sur la carte d'étudiant après avoir fantasmé sur la carte Imagine-R, la carte c'est ce qui vous rend membre de, vous êtes du clan) et mon mot de passe, surtout que Popo (c'est comme ça que j'appelle ma prof Pauline) ne le remarque pas, je n'ai pas envie de la contrarier. J'ai l'impression qu'on ne voit pourtant que ça, je culpabilise trop d'aller sur le net pendant ce cours, mais je ne peux pas faire autrement et lui promets intérieurement que ma connexion à internet n'altèrera en rien ma prise de notes du cours. En face de moi Karine se connecte à Gmail. Cours chiant sur une dissertation sur l'irrationnel, trop dur, désespérant, j'hésite à lever le doigt et à dire "mais madame, vous êtes sur qu'on est capable d'en arriver à là par nos propres moyens ?" mais j'ai d'emblée adopté une telle attitude pendant ce cours que j'ai décidé de ne plus jamais participer pour rester cohérente.

Je ne sais plus ce que j'écoutais ce matin, si j'ai écouté la radio, rien ne me revient, je sais seulement qu'avant de partir j'ai mis les Talking Heads et que j'ai dansé. Non pas d'une danse molle, d'un pied qui vit sa vie dans son coin, mais une vraie chorégraphie, vestige de 6-7 ans de modern jazz. Mon corps n'a jamais réclamé que trois choses : du repos, de la douche, de la danse.

Je note le cours sans y croire tout en allant de ma boîte mail au forum de Tech à Twitter à Blogspot à Statcounter. Plusieurs fois. Parce qu'internet est cette chose vivante ou d'une minute à l'autre vous pouvez recevoir un mail. A l'époque (selon les films, les séries plutôt, comme dans Notre belle famille) les gens ne sortaient pas de chez eux quand ils attendaient un coup de fil, aujourd'hui on vérifie frénétiquement sa boîte mail.

J'envoie un message sur le chat de Gmail à Karine qui est juste devant moi, on discute un peu, on ne laisse rien paraître de cette situation cocasse.

Je sèche le grec ancien, je vais voir Le Mécano de la Général au Grand Action, je passe d'abord par le Monoprix et achète
de la pâte à gâteau
du Nutella
des Smarties
pour ce soir
je me prends aussi un sandwich, toujours le même, jambon emmental et un coca light. Toujours le même sandwich par peur d'acheter un truc pas bon, insipide, le poulet dans les sandwichs c'est trop souvent sans goût.
J'ignore si le beurre qui est dans le sandwich glisse insensiblement à l'extrémité tenue vers le bas ou s'il y a d'emblée trop de beurre à l'une des extrémités, je me pose cette question à chaque fois que je l'achète. Le pain est farineux, on s'en prend plein les doigts.
C'est l'heure de manger pour un peu tout le monde et j'aime assister à ce moment de la journée absolument joyeux comme si une multitude de cages à oiseaux s'ouvrait pour laisser s'échapper des êtres humains possédant un certain nombre de minutes pour se restaurer. Certains errent sandwich à la main, d'autres sont bloqués entre deux collègues dans un restaurant, certains dépensent 5€, d'autres 15€. Un homme devant moi achète une petite barquette de céleris et trois Kinder Bueno, une femme, des serviettes hygiéniques. C'est le moment où je ne m'en fais pas pour les restaurants, moi qui normalement m'inquiète de leur survie, qui m'inquiète de les voir vides vers les seize heures alors que c'est normal. A présent ils sont remplis, tout l'est d'ailleurs, les ventres les bouches, et plus aucune question ne se pose, les serveurs s'affairent, l'interaction est à son comble, c'est la ville qui déploie ce dont elle est capable. Tout est possible à midi, seulement les heures passent et les promesses se perdent. Nous ne sommes jamais à la hauteur des midis.

Je suis de Ceux qui errent sandwich à la main, j'ai trente minutes à tuer alors je me promène, prends un long détour, remonte la rue Saint-Jacques, passe par la rue de l'Ecole Polytechnique, les bars à l'étouffante ambiance étudiante, comment je fais pour aller si souvent au Reflet alors que je n'aime que les cafés à l'ambiance neutre, je retombe sur la rue des Ecoles, je scrute précautionneusement les nombreuses vitrines de la librairie La Compagnie, je n'ose pas y rentrer parce que je n'aime pas rentrer dans les "petites" librairies (c'est à dire les librairies où le client est à portée de vue du caissier) sans rien acheter, je me dirige vers le Grand Action. Peu de spectateurs, pour la plupart des grands-mères et grands-pères et leurs petit-enfants. Le cinéma vient d'ouvrir, l'Action Ecoles a son grillage encore abaissé.
Quand je me promène seule j'ai toujours l'impression qu'on me déteste et qu'on me persécute, que je ne dégage pas quelque chose de bien, je ne sais pas à quoi c'est dû, je parle de ça comme ça, comme si je le pensais à moitié alors qu'il s'agit d'exprimer une constante de mon existence, quelque chose de vécu comme une évidence et qui ne se verbalise que maintenant. J'ai l'impression de toujours devoir m'excuser, de ne jamais être à ma place, de devoir me justifier, de dire toujours dans mon attitude "ne vous inquiétez pas ce n'est que temporaire, je m'en vais bientôt". Et si c'est différent quand je suis accompagnée c'est que je suis simplement distraite par autre chose pour y penser.

Tout le monde rigole de bon coeur pendant la séance, d'un rire qui ne prend pas en compte le fait qu'il est entendu, de celui qu'on aurait plutôt chez soi tout seul, ridicule, obscène, presque monstrueux, dont on se dit "j'hallucine ou j'ai bien entendu ça ?", surtout celui de la femme derrière. La musique est à pleurer (orchestration qui date de 2004), l'histoire est trop riche en rebondissements, je n'arrive pas à suivre et puis je n'aime pas les scènes de guerre mais je reste reconnaissante à l'idée qu'elles ont dû coûter un max, mais je m'arrête à la reconnaisance. Quelque chose cloche dans le film, une mauvaise façon de dépeindre l'amour, de le rendre secondaire à cette histoire de locomotive. Et vers la fin, quelque chose que Chaplin ne se serait jamais permis de faire, il n'aurait jamais fonder l'amour de la femme pour l'homme sur la simple preuve de son courage et des apparences, il nous aurait fait pleurer plutôt que de nous laisser sur un dernier gag, gentiment contents.


mardi 16 février 2010



Hier, je me suis endormie sur les JO de Vancouver, j'ai encore cassé ma lampe de chevet alors je m'éclaire à la lumière de la télé. Le patinage c'est trop ringard, voilà ce que je pensais. Ma soeur regardait, je sais plus ce que je disais mais je vomissais mon cynisme à deux balles, le sport c'est nul, tout est nul, c'est souvent le rôle que je joue quand on regarde la télé. Elle me disait
certains développent leur corps et d'autres leur esprit, c'est comme ça
bah faut travailler l'esprit parce qu'on est d'abord ça.
Ensuite elle s'endort et je finis Kerouac et je me mets en position "prête à sombrer" dans mon lit, je jette un oeil à la télé sans pour autant mettre le son et j'agrippe mon regard et mon intérêt sur les figures du couple de patineurs américain. Je crois être par hasard tombée sur un couple très fort, leur chorégraphie est fluide avec ses petits moments de tension où ils s'aventurent à des figures que je n'avais encore jamais vues, des figures où la pesanteur peut bien aller se faire foutre. Même ce sport évolue et d'années en années les patineurs font la nique à ceux des décennies précédentes. Avant j'aimais bien regarder le patinage artistique, de loin les couples sont beaux jusqu'à que la caméra s'approche et que tu vois deux laiderons envoyer des baisers à la foule.
Mais ce couple sans visage, cette Blonde, ce Brun, dans des tenues qui en dehors de cet unique contexte sont ridicules, je me disais, ce couple hé bien il danse l'Amour. Les amoureux qui emmerdent les autres et qui font tout à deux.
Je rigole toute seule tellement ça m'impressionne, je n'arrive pas à décrocher mon regard et je finis par regarder le reste, je regarde la bouille rassurante et abrutie de Philippe Candeloro, égal à lui-même avec sa coupe de merde, je pense à son nom dans ma tête, CAN-DE-LO-RO, tellement étranger et si familier, le genre de célébrité dont on oublie le nom. J'imagine qu'on me demande le nom d'un patineur français et que j'ai Philippe Candeloro au bout de la langue. J'ai eu un fou rire devant une course de ski de fond, puis j'ai tourné le dos à la télé et hop, je sombrais.

Sachez donc que tard dans la nuit, vers les deux heures du matin, vous pouvez compter sur les JO de Vancouver, et que s'y intéresser relève d'une consistante expérience sociologique, un peu kistch, irréelle. Vous en sortirez en comprenant un peu mieux l'une des facettes assumées de votre monde.

Courbatures aux mollets à cause que je cours après le train tous les jours, c'est comme si de la poudre de fatigue venait se loger dans le muscle, et qu'on étirait sans jamais pouvoir le détendre, c'est d'une douleur plaisante.

Cours d'anglais, j'ai dit à la prof que je devais partir cinq minutes plus tôt parce que j'ai un cours à l'autre bout de Paris. Ce qui est en partie vrai/faux : c'est juste à l'autre bout du bâtiment mais c'est comme au cinéma, il faut exagérer pour que ça semble réaliste.
On était plus que la première fois, ce qui est rassurant pour un cours ou la prof ne fait que nous faire parler. Elle nous sort encore ces âneries du premier cours, "si tout le monde se souriait dans le métro, vous imaginez ? Sur CNN on entendrait "Evénement à Paris, tout le monde se sourit"...avez-vous dit bonjour à quelqu'un aujourd'hui ? Vos devoirs pour la semaine prochaine, sourire à quelqu'un dans la rue, et la prochaine fois on en parle." Le tout en anglais.
C'est fatigant de penser des choses pareilles, ce n'est pas comme ça qu'on règle des problèmes de tristesse, c'est d'ailleurs faux de penser que les transports sont tristes, on n'en sait absolument rien, les gens aiment porter du noir parce que c'est chic et sérieux, mais ce n'est pas forcément triste. Je ne veux pas du sourire des gens, je veux des discussions comme Kerouac pouvait en avoir avec n'importe qui dans les cafés, quelque chose qui faisait que la ville devenait électrique et les gens potentiellement reliés entre eux. Se parlant non pas par une sorte de bonhomie ridicule, un besoin pauvre de communiquer, mais comme ça, parce qu'on a pris l'habitude de parler à une personne seule, on l'insulte, on lui paye un coup, on se bagarre, on fabrique de la vie.

Au début du cours elle nous fait réciter des phrases que chacun doit lire à haute voix devant la classe, c'est pour nous entraîner à la prononciation, apparemment avec l'habitude on doit se sentir faire des progrès mais je reste intimement persuadée que cet exercice qui nous prend bien 40 minutes ne sert à rien, les voici :

1) How now brown cow
2) The rain is Spain falls mainly on the plain
3) In Hereford, Hereford, and Hampshire hurricanes hardly happen
4) Peter Piper picked a peck of pickled peppers

Ensuite on a enchaîné avec trois exposés, sujet libre.
La première est passé sur un article dans Beaux-Arts Magazine sur les oeuvres préférées des directeurs du Louvre et de Pompidou, ensuite on demande à des gens ce qu'ils pensent de ces oeuvres. L'opinion s'améliore selon qu'ils sont au courant du nom du peintre.
Plein de belles études et de beaux sondages pour prouver une fois de plus que les gens ne comprennent rien à l'art et que bouh l'abstrait ça pue, reviens Van Gogh.

La deuxième passe sur Soulages, rien compris à son exposé, "speak louder please", ses peintres préférés sont "Kandinsky, Warhol, Soulages", en gros ses préférences suivent le programme des expositions de Pompidou. Elle a 20 ans, elle étudie les arts plastiques. Elle tort des bouts de plastique pour faire des chaises ? Coupe des catalogues La Redoute pour faire des patchworks conceptuels ? Contrairement à moi j'ai l'impression qu'elle a la vie devant elle, plus que jamais. Je moisis dans mon coin, ruminant mon ressentiment pour tout, ma sympathie pour tout, ma soif de tout, mon dégoût de tout, mon besoin des autres et de personne, tout ça en même temps.

La troisième passe sur un article sur le marché de l'art. Rien compris, rien entendu, rien écouté. Je me demande juste pourquoi trois sujets sur l'art. Cet amateurisme feint pour l'art me dégoûte un peu, ce désir impur d'érudition, si seulement les jeunes avouaient main dans la main ce qu'ils ont sur le coeur, et surtout les étudiantes en histoire de l'art, disons tous bien fort que pour cent oeuvres vues une seule nous frappe au coeur, qu'on ne doit pas surestimer l'art mais oser sincèrement décrire ce qu'on ressent devant un chef-d'oeuvre, pourquoi notre rapport à l'oeuvre est d'emblée vicié par tout ce cérémonial intériorisé. Disons aussi que l'art est pour la plupart du temps inappréciable sans un peu d'explications, de théorie, d'habitude, de cours d'esthétique générale plutôt que d'histoire de l'art. Avouons que le musée parfait se trouve être Google Images ou encore les couvertures de livre.

L'histoire de l'art on s'en fiche, on achète un gros manuel, on le lit, on prend des notes, ça suffit. Karine me disait que l'ambiance dans les TD étaient un peu lourdes, que chacun voulait étaler sa culture. Il n'y a pas de rapport pur à l'art en dehors de l'intimité de sa conscience. Les discussions sur l'art sont alourdies d'un jeu social, l'art pictural a toujours été l'art de la distinction ultime, celui qu'on n'apprend pas à l'école. Il faudrait ne pouvoir en parler que pour apprendre des choses aux personnes, sinon ce n'est pas la peine, c'est lourd, mais lourd. Il faudrait pouvoir aller dans les musées en anonyme, apprécier la couleur et les formes, les madames qui sont peintes, puis repartir un peu content. Que chacun y prenne ce qu'il veut, qu'il ne se sente pas obligé de retenir les noms des oeuvres ou des peintres, qu'il essaye de comprendre mais qu'il ne se force pas à aimer, qu'il ne fasse surtout pas de licence d'histoire de l'art.
Monsieur Franck a été le seul a m'inspirer des motivations valables pour en apprendre plus sur l'art.
Je préfère chercher ce qu'il y a de beau et de parfait dans le cinéma et la littérature, plutôt que de chercher ce qui est juste à ma taille dans l'art pictural.

Oh ce soleil, les toits des bâtiments sont légèrement éclairés, comme trempés dans du jus d'orange. J'aimerais croiser une personne en manteau super classe et avec une paire de lunettes bien noires, un petit Lou Reed sûr de lui et que j'aimerais pour son arrogance. J'aimerais aussi avoir l'audace de porter des lunettes de soleil en plein hiver, juste pour le style, faire des choses juste pour le style.

Dans le train direction Saint-Nom-la-Bretêche, les filles lisent souvent des livres de Yasmina Khadra. Un jour avec un petit groupe de personnes on se chargera de lire toute cette littérature qui marche et qu'on ne lit pas, on cherchera à comprendre.

Si vous pouviez m'envoyer CINQ PHOTOS DE VOTRE CHAMBRE,
une de votre lit + commode
une de votre bibliothèque
une de votre bureau
et deux au choix
J'aimerais les publier sur mon blog, les garder pour moi, les commenter, en faire une collection, quelque chose, n'hésitez pas, faites le tous, envoyez ça anonymement ou pas à : m.joudet[at]gmail.com



Sabrina - Billy Wilder

lundi 15 février 2010

"Aime, Souffre et Travaille" (2)


"Paris est vraiment une ville où vous pouvez vraiment vous promenez à pied la nuit, et trouver ce que vous ne voulez pas."

Le mec à côté de moi en philo politique avait une trousse peluche en forme de vache violette et jaune, ça m'a fait penser aux nanas qui pour paraître originales portent des montres Flik Flak.

Le matin en me réveillant sans l'aide d'un réveil ni de personne j'ai senti autour de moi ce calme un peu trop parfait, trop serein, celui qui vient après la bataille du matin, des réveils, des plaintes et du tumulte dans la salle de bains et la cuisine. Le calme comme un entracte jusqu'à la deuxième partie de la journée, qui fait la transition avec Ceux-qui-sont-du-matin et Ceux-qui-sont-du-midi. Le plus souvent ce calme est le signe que je me suis levée en retard, et que la Nature a voulu que je ne me réveille pas. En tournant mon réveil Dream Machine de Sony j'étais déjà ennuyée pour moi (alors qu'en fait je relativise très vite un retard ou une absence à la fac). Mais en fait ça allait, je m'étais levée trente minutes plus tôt. Belle histoire.

Dans la salle du Lincoln, cinéma que je déteste de toute mon âme, avec un projectionniste sûrement aveugle, manchot et sourd et qui laisse la pellicule sortir du cadre jusqu'à qu'on en perde les sous-titres pendant plusieurs minutes, c'est arrivé au moins trois fois et c'est révoltant, ça prend aux tripes, surtout quand le film est russe. Aujourd'hui, Partition inachevée pour piano mécanique* de Nikita Mikhalkov. Une personne qui crie dans la salle en frappant des mains "hé ho, recadrez !" une deuxième, puis plusieurs qui tapent dans leurs mains en demandant qu'on recadre, et qui crient des "hé hoooo" et des "hooouu" et enfin une personne qui se lève pour aller voir le mec. Le film était sublime.

*"Il est faux de croire qu'on a la vie devant soi, qu'on peut vivre comme "pour voir" et qu'on pourra corriger après."

Façade du Louis Vuitton : "Chili, l'envers du décor".

Les touristes des Champs-Elysées sont les pires, sans-gêne, parlant fort, se croyant tout permis, traversant comme des porcs, vous bloquant le passage, il n'y a aucun intérêt à ne pas éprouver de la haine envers eux. C'est une haine gratuite et qui purifie en s'exprimant (= petit froncement de sourcils).

Les Hommes Elégants aux Manteaux Sombres et aux Pensées Parisiennes.

J'aime bien deviner les prix des trucs dans les vitrines des magasins de luxe et vérifier après. Sac Cartier, 2000€ et tout.

Du côté de la place de l'Etoile le ciel est franchement dégagé pour laisser agir toute l'ampleur de l'Arc de Triomphe. Le ciel prend des teintes romantiques, de ces couleurs bien étalées qu'on essayait d'obtenir en frottant le crayon de couleur du bout des doigts en cours d'art plastique ou ailleurs. Je n'en dirai pas plus, décrire la "nature" est d'un chiant total, c'est seulement que le ciel était d'un rose moelleux et qu'au premier plan on pouvait voir les branches des arbres s'agrippant avec désespoir et violence, voilà la maigre poésie qui m'allégeait le coeur.

"Qu'est-ce que vous savez des Lebris de Kerouack et de leur devise Aime, Souffre et Travaille, espèce de vieille bourgeoise ringarde ?"

Dans le bus, le mec à côté de moi parle au téléphone, j'essaye toujours de discerner la voix de l'interlocuteur au bout du fil histoire de voir si la personne ne parle pas dans le vide.

Serrés dans le bus, j'ai l'audace de me lever de mon strapontin la première, celui qui se lèvera après moi ne sera qu'un mouton, mais personne ne se lève, pourtant il le faut. Le mec à côté de moi regarde un peu autour de lui pour voir si c'est utile et reste assis. Je crois que même si ce n'est pas forcément utile j'éprouve une honte à être assise devant des gens à l'étroit et s'agrippant là où ils peuvent, "galérons ensemble", voilà mon message. Le mec à côté (le même que celui du téléphone) dit à une vieille dame "Madame, vous voulez vous asseoir à ma place ?" et la vieille dame remercie et s'asseoit. Le bougre m'a battue.

En rentrant mère criait déjà sur tout ce qui bougeait et j'avais faim et je pensais déjà aux bonnes choses sur le trajet. Emile s'était réfugié dans la salle de bain pour être tranquille et travailler, je lui ai apporté un énorme chocolat chaud Lion (il me revaut ça en me faisant mon café le week-end), et quand elle a commencé à m'engueuler moi j'ai frappé à la porte pour me réfugier avec lui et on a insulté tout le monde. Ma soeur me saoulait alors je lui ai dit que je lui rembourserai jamais ses 12€, elle a balancé à ma mère et celle-ci ne sachant pas comment m'emmerder est venue mettre mes livres dans un grand sac pour les apporter à la cave, c'était la menace, parce que je ne rangeais pas la chambre et que je ne voulais pas rembourser ma soeur. J'ai dit à Myriam que c'était une balance.
J'ai laissé faire et je discutais avec Emile, il voulait qu'on discute, il adore ça, on était toujours dans la salle de bain et il prenait maintenant sa douche. Puis je suis ressortie, le sac était devant la porte, je l'ai remis dans ma chambre et je suis allée manger. Tout est redevenu calme et ma soeur a gueulé "Murielle ta gueule" avant d'entrer dans la cuisine et elle m'a dit :
y'a quelqu'un qui t'as insulté dans le couloir
mais je t'ai défendu
quoi ?
je t'ai défendu
j'espère bien
quoi ?
j'ai dit : j'espère bien
putain...

elle trouvait ma réponse bizarre, elle savait pas que j'allais continuer à jouer son jeu.
Je lui ai dit que c'était la dernière fois que je rentrais si tôt, qu'une famille libanaise après 20h c'est comme les loup-garous.
En rentrant dans ma chambre je suis allée voir Emile pour lui dire :
hé Emile, viens un jour on tabasse maman dans le couloir, on la prend et on la tabasse
ouais et on la tue
ouais, héhé

Hier il s'est remis à la lecture et je lui ai filé l'Etranger de Camus parce qu'il voulait pas de Steinbeck et encore moins de Truman Capote à cause des couvertures et que j'avais offert Franny et Zooey à Cécilia. En s'habillant il disait à ma mère
hé maman tu veux que je te lise la première phrase ?
"Aujourd'hui maman est morte", AH AH AH

il aimait pas son nouveau pull beige alors je l'ai autorisé à porter mon pull marron qu'il aime bien, ma mère a dit que c'était trop décolleté pour lui, que ça se voyait que c'était pour les filles alors que le col est limite ras du cou.
Il a dit que mère ressemblait à un oeuf avec sa coiffure, à un oeuf magnifique.

"Ce que je suis en réalité demeure inconnu" (1)

"Je crois que les femmes commencent par m'aimer, et puis elles se rendent compte que je suis ivre de la terre entière et elles comprennent alors que je ne puis me concentrer sur elles seules bien longtemps. Cela les rend jalouses. Car je suis un dément amoureux de Dieu. Eh oui."

Ils ont ressorti l'Attrape-coeurs, version originale, tout bleu marine, comme si c'était un livre qui venait de sortir et qu'on allait découvrir, discrétement. Et a côté, pas du tout les autres livres de Salinger, juste l'Attrape-coeurs comme ça. Si j'étais riche et avec une grosse carte bancaire qui clignote je l'achèterai juste parce qu'il est beau comme ça, mais je peux pas, 20€, je peux vraiment pas, je veux autre chose, je dois hiérarchiser mes désirs parce que je suis l'Etudiante Fauchée, non plutôt, l'Etudiante Dépensière donc Fauchée. Je dépense toujours mon argent jusqu'à être fauchée. J'estime qu'on a toujours un truc à faire de l'argent qu'on a sur soi.

Ils ont aussi sorti un livre d'entretiens avec Alain Badiou, par contre celui-là je vais l'acheter parce que je lis Pop Philosophie en ce moment et que je comprends trop approximativement la pensée de Mehdi Belhaj Kacem et encore moins celle de Badiou, et ils disent que ce livre d'entretiens est une introduction à la pensée de Badiou, alors je vais l'acheter, c'est toujours mieux que de s'introduire à la philosophie avec Luc Ferry. Je veux bien jouer la fille qui achète des livres qui démocratisent des trucs mais j'ai une dignité. Ne pas oublier ce que je veux comme livres, je vais faire une liste et j'espère qu'elle ne paraîtra pas pédante.

J'aime bien parler avec Juliette parce qu'elle me donne des idées, elle m'incite à les exprimer, je saurais pas dire pourquoi, peut-être parce qu'on s'est d'abord aimé pour ça, nos idées et les choses comme ça, j'exprime les choses que je veux exprimer avec elle. C'est quelqu'un de sérieux et de posé, de ces personnes qui ne sont pas vraiment dans leur époque mais un peu à côté, à distance de, plus témoins qu'acteurs. Quand elle grandira elle ne se dira pas "j'étais con à cette époque" mais elle se sentira la même, et appréciera cette fidélité et cette cohérence. Elle va bien sûr parfaire sa connaissance et son expérience des choses mais quelque chose en elle est déjà intimement relié à l'adulte qu'elle sera, et elle en est consciente, je crois qu'elle attend.

Donc je disais, puisque c'est des livres que je n'ai pas encore lu je n'y vois rien de pédant.

Cancer de Mehdi Belhaj Kacem
Romans et nouvelles de Virginia Woolf, la Pochothèque
Ce que je suis en réalité demeure inconnu - Virginia Woolf
La Sonate à Kreutzer - Tolstoï
Hitchcock de Chabrol, Rohmer
Hitchcock Truffaut, trop cher (60€), à commander pour mon anniversaire, ne pas oublier, ne rien faire passer avant.
Les hanches de Laetitia - Eric Neuhoff
De grandes espérances - Dickens
Freud et la création littéraire, vient de sortir en Puf violet pétant
Le supplice des week-ends - Robert Benchley
We are l'Europe - Jean-Charles Massera

je pourrais en sortir d'autres

Je tripotais des livres quand j'entends deux vendeuses de la Fnac : "Le rayon érotique pour Monsieur, le rayon érotique, c'est là-bas, caméra sur Monsieur, on vous a repéré"

je crois que si j'étais lui je me suiciderais, personnellement en tant que regard extérieur je n'en pense rien, juste que ça se fait pas pour lui, mais disons que lui, intérieurement, il doit trouver que c'est la honte. Je peux pas aller lui dire "vous inquiètez pas monsieur, c'est pas la honte", parce que peut-être qu'il estime que ce n'est pas la honte et qu'alors si je lui dis ça il pensera que peut-être pour certains c'est la honte. Cercle vicieux. Je préfère sourire. La littérature érotique c'est quand même quelque chose de très beau, c'est presque mystique, je dis ça en pensant à Calaferte. La honte ce serait de la mauvaise littérature érotique.

"et je profite de l'occasion, lecteur, pour te poser une autre question : -Où donc, sinon dans un livre, peux-tu revenir en arrière pour saisir ce que tu n'as pas compris, et non seulement cela, mais aussi le savourer, et le garder, et l'envoyer au diable ?"

Il faut se fixer une règle à respecter : participer au moins une fois au cours. Je m'y sens trop extérieure, j'aime quand je participe et que le cours devient confortable. Participer ça veut dire s'approprier le cours, la voix du prof ne vient plus se jeter contre les murs, elle vient dans votre direction, vous devenez l'Elève.
Participer c'est aussi attester de votre présence devant le monde, retrouver sa voix, vérifier sa pensée auprès du prof, se rassurer quant à son existence. Même si ça peut agacer les autres étudiants qui n'aiment pas cette provocation qui consiste à participer au cours et à leur faire comprendre que vous désirez vous émanciper de cette meute assise. C'est aussi jeter tous les étudiants en dehors de ce champ-contrechamp que vous créer subitement avec le prof.

A la fac, il est facile d'oublier qu'on existe soi-même, rien n'est là pour en témoigner, il n'y a même pas de miroir dans les toilettes pour vérifier. Même le rendu d'une copie se dissout toujours dans cinquante autres copies que le prof va rendre aux autres étudiants, vos conversations ne sont pas les vôtres, vous aimeriez parler d'autre chose que des chargés de TD mais vous ne savez pas de quoi.

Florian et Karine sont venus me dire bonjour, Florian portait un jean, un t-shirt gris, un cardigan noir et un joli caban gris chiné, il est assez classe, toujours avec son petit visage froid et un peu religieux. Il m'a demandé ce que je lisais, je lui ai filé le livre, c'était Satori à Paris de Kerouac, je lui ai dit que je faisais une pause dans Pop Philosophie parce qu'il venait de prendre l'eau. Son ami est venu, il lui a demandé ce qu'il lisait, il a dit "c'est pas à moi c'est à mon amie", le mec a vu le titre, il a acquiesé, il m'a dit que ça faisait à peine une semaine qu'il venait de finir Sur la route, il m'a demandé de quoi parlait le livre, j'ai raconté l'histoire : le mec a une sorte d'illumination -un satori- et il retranscrit tout son voyage à Paris pour savoir où il a pu bien avoir cette illumination. Si vous me demandez de quoi parle le livre je vous répondrai ça. J'ai dit que Sur la route était génial, il a dit que oui, il a utilisé d'autres mots mais je les ai oubliés, il a dit que c'était un peu mal écrit je crois, et que dans le même genre il préférait Bukowski. J'ai dit que moi aussi, je mettais Bukowski avant, "mais un tout petit peu avant", j'ai dit oui, juste après y'a Kerouac, mais oui Bukowski c'est le meilleur.
Nous n'étions pas non plus dans cette sorte d'euphorie surjouée et qui n'est pas le fait d'un consensus concernant un écrivain mais plutôt de la surprise agréable de voir qu'une personne connaît la même chose que vous et que vous désirez tenir une discussion exaltée d'initiés immatures. Cette sorte de connivence culturelle un peu dégueu, un peu comme ces étudiants en philo qui parlent de Nietszche dans l'ascenseur en se l'appropriant avec des tournures de phrase ampoulées, de telle sorte qu'ils vous dégoûtent de toucher à ses livres. Non c'était plutôt calme et plutôt sain, Bukowski et Kerouac gardaient tout de leur monde et de leur autonomie, quiconque nous écoutait n'aurait pas été dégoûté de la façon dont on en parlait.

Florian m'a dit
je te lis le dernier mot du livre
j'ai fait genre : nan nan steuplaît naan
"séparations". Tiens y'a pas de point à la fin, pourquoi y'a pas de point ? C'est voulu ou c'est une erreur d'impression ?
je pense que c'est voulu
pourquoi y'a pas de point ?
bah t'as qu'à l'ajouter stu veux.

textes : Satori à Paris - Jack Kerouac
image :
Sur les quais - Elia Kazan
A partir de lundi et pour la semaine j'écrirai tous les jours sur ce blog, je ne sais pas encore si ça prendra la forme d'un bloc sec d'écriture ou si ce sera différent, plus décousu, on verra ça, mais j'aime bien l'idée d'annoncer ce que j'aimerais faire pour comme ça être tenue de le faire. Comme je ne sais pas m'imposer des contraintes je prends à témoin les lecteurs et cette contrainte devient la vôtre (à moins que vous n'en ayez rien à foutre, ce qui me paraît très probable). C'est toujours un peu honteux d'échouer publiquement dans un projet.

jeudi 11 février 2010

Quelques trucs qui me viennent en rentrant chez moi

1) Avant, au lycée, j'avais pour habitude de poursuivre en marchant jusqu'à chez moi la lecture que je faisais dans le bus, l'arrêt était assez loin pour que je puisse avancer de deux ou d'une page et il n'y avait qu'à marcher en ligne droite en évitant les arbres et les piétons.
Le trajet du train jusqu'à chez moi me prend 10 minutes, 10 minutes qui me paraissent toujours trop longues, et je me suis dit que ça faisait peut-être une centaine de fois que je faisais ce trajet et que je pouvais donc me permettre de lire sans même me préoccuper de mes pieds qui ont acquit par l'habitude une forme d'autonomie, c'était le moment de vérifier. Par contre il faut faire attention aux passages piétons et lever les yeux. J'avais peur aussi que les réverbères n'éclairent pas assez ou que l'ombre se fasse trop noire pour que je puisse arriver à lire. Mais ça allait, il faut juste arriver à stabiliser la main; le trajet est vite passé.

2) J'ai toujours ce projet en tête d'aller prendre en photo l'intérieur des maisons depuis les fenêtres, j'y pense à chaque fois que je prends le train parce qu'on a une vu imprenable sur les villes qu'on traverse et que même en passant très vite et de très loin on arrive à distinguer les couleurs d'un tableau, la forme du canapé ou de la lampe. Les intérieurs d'abord inaccessibles se dote d'une part de vulnérabilité et je me demande toujours "est-ce que la personne qui y habite sait qu'à ce moment précis de la soirée quelqu'un regarde et visite son salon depuis le train ?" la réponse doit être non.
J'ai parlé à Cécilia de ce projet, elle ne m'écoute jamais sérieusement je crois, ou alors distraitement mais c'est parce que je dis souvent des conneries pour amuser la galerie. J'aimerais revenir à la photo comme quand j'étais au collège ou au lycée et que par simple et pur plaisir je prenais en photo les supermarchés. Je prenais ce risque-là alors que ça m'a toujours gêné de prendre en photo des choses qui a priori ne méritaient pas de l'être devant les autres, ils vous regardent et ils vous jugent. Au supermarché parfois on m'interpellait, on me disait que c'était interdit et je recommençais un rayon plus loin. Aujourd'hui j'ai la flemme et je me borne à regarder les choses.
Cette semaine à Pompidou j'ai vu un mec poser son appareil photo sur la rampe de l'escalator pour prendre en photo une vue en plongée, j'ai trouvé ça nul, j'aurais voulu qu'il arrête, surtout que l'homme en face de moi et que je suivais mollement s'est retourné pour voir ce que visait l'appareil photo, cela a dû le conforter dans sa pose d'artiste de merde.
Cécilia m'a dit que c'était illégal de prendre en photo l'intérieur des maisons et que j'aurais une amende de 40.000€ et que je ferais peut-être de la prison et tout, je lui ai dit que je m'en doutais mais que c'était pas grave, que j'exposerai le tout au Palais de Tokyo et que ça marchera. C'est la blague que je fais souvent, comme j'estime que tout et un peu n'importe quoi s'expose là-bas, à chaque fois que j'ai une idée je dis "je l'exposerai au Palais de Tokyo". C'est ma façon de faire passer non sérieusement une idée ou un projet que j'estime pourtant sérieux, j'assume rarement mes idées. C'est comme faire un test comme il est recommandé de faire avec le maquillage sur une parcelle de peau pour voir si aucune réaction n'a lieu avant de l'appliquer sur le visage.

3) La nuit il y a peu de voitures et pas de piétons, et je me disais que le feu rouge la nuit devait irriter les voitures surtout quand il était long et qu'il ne voyait aucun piéton ni voiture passer. Alors que le piéton peut toujours prévoir, en regardant assez loin, qu'une voiture ne risque pas de passer d'ici les six secondes de sa traversée et ainsi s'arranger avec la règle. Pour lui il s'agit toujours de s'arrêter pour son bien, pour ne pas mourir, alors que la voiture s'arrête d'abord et toujours pour ne pas tuer, et puis dans un deuxième temps pour ne pas avoir d'accident, il y a plus d'enjeux.
Les conducteurs doivent se sentir un peu cons, un peu trop obéissants devant ce qui la nuit (et dans une ville comme Courbevoie, calme) ne leur apparaît plus comme une instance régulatrice et nécessaire mais comme des sortes d'orbites béantes s'allumant à vide. Et je crois que ça leur fait plaisir de voir un piéton apparaître magiquement dans la nuit et traverser le passage piéton, il justifie ainsi l'arbitraire du feu tricolore qui leur susurre en passant "vous voyez...".

samedi 6 février 2010

Entretiens

Murielle : Pourquoi c'est important les artistes ?

Emile : c'est important parce qu'ils permettent de pas oublier l'art, parce que, enfin, si personne n'employait l'art dans quelque chose ça fera...on oublierait l'art. C'est comme le latin, il est mort on l'oublie de plus en plus, et les artistes ils servent à ce qu'on oublie pas l'art parce que sinon on oublierait un truc intéressant, tu vois ? Un truc essentiel à l'humanité et caetera.

Et pourquoi c'est intéressant l'art ?

Parce que c'est une création de l'homme et que comme toutes créations on peut pas l'oublier. Et parce que c'est beau.

Juste parce que c'est beau ?

Parce que c'est...attends j'vais trouver, mais t'sais j'suis pas un artiste alors je m'y connais pas trop. Parce que c'est distrayant et que ça plaît à beaucoup de gens et aussi ça permet de pas oublier d'anciennes époques où l'art était...enfin les anciens arts.

Pourquoi c'est important la littérature ?

Olala, oh la colle. et la prochaine fois tu me demanderas pourquoi les lapins ont des poils, ahah.

Myriam : Pour apprécier les moments sans littérature


Murielle : hé on t'as demandé un truc toi ?

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