jeudi 26 mars 2015

23 janvier - 26 mars

23 janvier

Semaine traversée par une grosse libido d'écriture, une grosse libido tout court. J'ai passé ma nuit du lundi et mon mardi à écrire un texte. Je n'avais jamais écrit aussi vite un texte aussi long, c'était pour moi la meilleure chose à faire de ma journée : en venir à bout avec ce que ça suppose de douleur. La douleur provient du fait que je m'estime éloignée d'un texte idéal qui est tout entier dans ma tête. C'est comme une traversée du désert jusqu'à ce texte, un chemin jusqu'à cette zone éthérée où l'écriture devient lecture, où je travaille pour la lecture. L'écriture est vraiment a l'image de l'iceberg, quelque chose de simple et de fluet qui cacherait en profondeur toute une  architecture complexe et chaotique qui le fait tenir. Les phrases sont tenues par mille ficelles.

Je crois que toute personne qui aime écrire souhaite atteindre ce moment où le flux d'écriture reste ininterrompu : être toujours pris entre deux textes, entre le souvenir du texte récemment achevé et du texte qui arrive, qu'on ressasse. Être satisfaite, être contente, être en bonne santé, de bonne humeur, être vivante a toujours consisté pour moi à écrire. Tout autre travail me pèse, tout loisir un peu trop prolongé me plonge dans la culpabilité.


28 janvier

Sur le chemin pour rejoindre B., je suis tombée dans la rue alors que je venais d'acheter des oeufs (j'avais mangé ceux de ma coloc). Il faisait nuit et il pleuvait. Au bar où nous nous sommes retrouvés j'ai bu deux Rio Grande, ça avait un goût de pomme. Nous sommes allés dîner aux alentours de minuit. J'avais beaucoup bu, c'était très joyeux. Nous avons terminé chez Jeannette, entourés de jeunes sauvages qui criaient partout, j'essayais de le regarder fixement et de dire quelque chose de rationnel, les lumières du bar se sont rallumées et nous avons pu voir distinctement nos deux visages. C'est à ce moment là que nous nous sommes beaucoup confiés, toujours un peu gênés. C'est drôle : selon ce que l'on révèle de soi la personne peut comprendre ce qu'on attend d'elle. Si je parle de mon rapport à l'amour à quelqu'un cela veut dire que je l'informe de mon fonctionnement, qui pourrait l'intéresser. Il m'a raccompagné en taxi. Nos nuits à discuter sont mémorables, d'autant plus miraculeuses que notre différence d'âge à quelque chose d'insurmontable. Parfois le cinéma ou n'importe quel intérêt commun permet que deux personnes se rejoignent et se rencontrent. Un seul oeuf de la boîte a survécu.


2 février
C'est fou ce que le sexe en pratique se révèle toujours beaucoup plus simple que le sexe en théorie. Il y a une injonction à la matière que rien ne peut contrer, il faut toujours en revenir à elle, ou du moins à ce point de rendez-vous entre quelque chose de mental et quelque chose de matériel. Quelque chose dans la tête et quelque chose du corps : l'orgasme ne se passe que là.
J'aimerais pouvoir trouver le temps de raconter ici toute ma vie, tous ces derniers mois et toutes mes dernières rencontres, les restituer ici car à force de ne plus prendre l'habitude d'écrire sur ce qu'il m'arrive je finis par ne plus rien y comprendre et par simplement vivre. Je me suis tenue, ces derniers temps, à faire méticuleusement n'importe quoi, sentimentalement et sexuellement. Je ne prends aucune précaution vis-à-vis de moi-même, car une unique chose prédomine dans mon comportement : l'expérience ou l'expérimentation, qui ne peut se passer que dans un abandon à ce n'importe quoi, qui est un autre synonyme de rencontre.

Certaines personnes m'approchent prudemment et craintivement avant de se rendre compte que je donne l'impression que je les attendais. Il y a chez moi une impulsivité répulsive, une demande impatiente d'intensité qui ne souffre aucun délai et qui fait fuir tout le monde. Dans ce sens je gagnerais à être stratégique, à jouer l'animal méfiant, au lieu de quoi je me livre à corps perdu non pas "au premier venu", mais à ce que j'estime être l'apparition vibrante de l'altérité.
Je crois que ce blog aura surtout été le récit de ces mirages qui ne cessent de renaître dans ma vie : je ne laisse pas aux relations le temps de devenir sérieuses, elles le sont déjà depuis la première seconde, le premier regard. J'ai déjà remarqué que mon visage chauffait dans ces moments-là. Je suis déjà au maximum dès le début, je demande à l'autre de me sauver en même temps que je désire le sauver. J'aperçois à quel point il peut avoir besoin de moi, à quel point on ira loin ensemble et tout cela fini dans le fracas d'un malentendu, d'une déception.
Si je suis volage ou quelque chose comme ça, ce n'est qu'en raison de cette impulsivité qui me fait entrevoir un absolu partout. Moins j'en sais sur mes partenaires plus je m'agenouille devant eux, parce que cette ignorance d'eux je peux l'habiter avec n'importe quoi, avec mes propres fantasmes; je me réfugie sous leur toit.

Ce que je retrouve dans la beauté vibrante d'un visage masculin, c'est surtout cette partie de moi-même qui n'a pas changé depuis le collège, cette jeune fille qui ouvrait des pages web ou écrivait des lettres immenses en hommage à des garçons à qui elle n'a jamais parlé. Rien n'a changé, sinon le sentiment d'une forme de prévisibilité dans mes comportements. Depuis que le sexe se mêle de tout ça je me vis un peu plus comme quelqu'un de commun, qui passe par des étapes de séduction très prévisibles pour avoir ce qu'elle veut et rentrer chez elle avec un garçon. Je ne suis au fond qu'une fille de vingt ans qui explore sa sexualité avec divers partenaires : voilà le versant qui me dégoûte, une sorte de lecture biopolitique de ma vie, moi qui continue de voir dans un "rendez-vous galant" la plus grande aventure qu'une jeune fille puisse vivre dans une grande ville. La plus grande aventure de mon corps et de mes sentiments.
Je suis toujours dégoûtée et fascinée par les articles de plus en plus nombreux sur la sexualité. Il y a quelque chose de fondamentalement non partageable, non communicable qui me fait d'ailleurs dire que je ne devrais peut-être même pas m'épancher ici. On veut faire du sexe le terrain d'une bataille symbolique (lu encore aujourd'hui la tribune d'une fille très fière de refuser de faire des fellations), comme s'il s'agissait de faire l'amour avec tous les hommes à travers un homme. J'ai souvent l'impression que le sexe est essentiellement un choc, un traumatisme qu'on préfère étouffer. On étouffe cette violence, on ne prend pas garde à cette véritable émotion sexuelle, on ne la regarde pas, préférant miser sur l'idée d'une sorte de contrat basé sur une indifférence cordiale. Les lendemains matins me traumatisent par leur froideur, et on ne sait même plus où il faut s'embrasser pour se dire au revoir.
Ce qui me désarme totalement dans le sexe tient justement à cette ambiguïté très souvent commentée. L'impression que je suis en train de faire la chose la plus intime du monde ou peut-être la plus impersonnelle. Le sexe, je l'ai déjà ressentie, peut être faussement intime.

Ce n'est que récemment que j'ai pu essayer de me laisser aller à une forme de cynisme de la consommation qui ne me va pas du tout et qui me fait beaucoup de mal. Je finis toujours par m'attacher serait la pire façon de dire ce que je ressens. Disons que j'ai le sentiment de trahir une personne si au lieu de chercher avec elle l'intensité, je recherche le confort et mon seul petit plaisir. J'ai parfois la tentation de la faiblesse : écrire à truc, passer la soirée avec lui ne serait-ce que pour ne pas avoir à me supporter encore une soirée. J'ai tellement honte de la transparence de ma demande que je préfère ne rien faire.
Certaines soirées sont dramatiquement atones et lourdes, on a l'impression qu'on ne s'en relèvera jamais, que l'enthousiasme pour quoique ce soit est inenvisageable, que rien n'est grave et que tout est recouvert d'une sorte de poussière morale.

3 février

 L'autre jour je faisais découvrir The Long Goodbye à P., nous venions de faire l'amour, nous avions enfiler nos lunettes de vue et nous regardions le film en grignotant des biscuits. Je n'ai pu m'empêcher de me dissocier de la scène, de la trouver émouvante et de me dire que c'était exactement cela que je voulais. Il me caressait la jambe à travers le plaid, c'était un geste mécanique, de réflexe quasi-animal mais il y avait tout dedans. Plus tôt dans la soirée j'ai voulu mettre des mots sur ce qu'il se passait entre nous depuis deux rendez-vous (folie absolue) mais ça n'avait pas marché. Il n'a pas voulu de cette discussion et en la refusant me renvoyait à mon propre ridicule. Celui qui consiste à vouloir construire une fiction par dessus les faits les plus bêtes (un homme et une femme au resto qui vont rentrer coucher ensemble), à vouloir déjà tourner les pages d'un livre. Alors quoi ? Cette main sur la cuisse ce n'est rien, juste le geste d'un homme repu, reconnaissant, et ça ne me suffit pas.

Etrange première nuit passée ensemble où à cause de l'alcool nous nous agitons dans un demi-sommeil très perturbé, j'ai eu le sentiment que son sommeil entrait en collision avec le mien, qu'il y avait lutte, que l'un ne pourrait pas s'endormir sans que l'autre soit laissé au bord de la route, les yeux grands ouverts. Cette nuit notre présence mutuelle agressait l'autre.

Pur plaisir de décrire P. : petit garçon triste, au visage étrangement buriné, un visage qui a la beauté calleuse d'une main d'homme. Il semble être embarrassé par sa virilité, il scintille entre l'adolescent et l'adulte et ce passage de l'un à l'autre est toujours désarmant à constater. Il est d'une beauté molle, lymphatique, on a l'impression qu'il pourrait s'endormir de tristesse. Sa peau est douce comme celle d'une femme. Sa voix est professorale, très posée, aucun tic de langage ne dégouline : c'est un filet d'eau net. Contrairement à la majorité des gens que je connais, il s'intéresse à ce que vous lui faites découvrir (sans vous connaître depuis longtemps) et c'est tellement exceptionnel qu'on en est presque déboussolé.

5 février

Ce que j'aime, ce qui m'émeut : entrer le plus vite possible dans l'intimité d'un homme. Me glisser comme une souris dans sa vie, donner le sentiment d'avoir toujours été là alors que je débarque. C'est ce versant là de l'amour, cette curiosité suprême et dévorante, qui m'arrache le plus à moi-même, m'empêche de me complaire dans un narcissisme amoureux : m'asseoir dans un coin et regarder.


17 février

Qu'aura été le cinéma si on devait le considérer de façon purement utilitaire ? Concrètement, une série de ponts construits entre moi et les autres, des autres avec qui je n'avais rien à faire, le plus souvent des hommes vieux (plus vieux que moi) avec qui le cinéma était peut-être l'unique point commun, l'unique terre commune sur laquelle on pouvait se retrouver. Alors nous n'avions pas d'âge et par ce biais là nous pouvions tranquillement, sans nous en rendre compte, parler d'autre chose, voire même lever les yeux et nous considérer.
En relisant une note plus haut je me rends compte que j'avais déjà exprimé cette idée.

Le destin est patient et il faut savoir accepter stoïquement cette patience, savoir qu'elle est secrètement travaillée par une intelligence des choses : le hasard. Pour qu'une personne soit accessible il ne suffit pas de la seule proximité géographique, physique avec une personne, sinon je l'aurais rencontré bien avant. Il faut autre chose, un long détour imperceptible, le temps que les astres se placent comme il faut et que cette personne puisse lever les yeux et vous regarder. Et souvent cela ne va pas sans une forme de reconnaissance sociale.

14 mars

Il me dit "J'ai l'impression d'avoir vécu toute ma vie pour ce moment : manger un hamburger avec toi".

12 mars

En me coupant les ongles des pieds (peinturlurés en vert) après être passée par une succession d'étapes de nettoyage et d'hydratation comme savent si bien le faire certaines filles je pense à ce que me disait ma mère quand j'étais petite : il faut toujours avoir de beaux sous-vêtements et être propre car on ne sait jamais ce qu'il peut arriver, notamment des accidents qui demanderaient à ce que l'on vous déshabille.
Il y a quelque chose d'un rite quasi-sacrificiel à mettre tout ce temps et tout ce plaisir à si bien se préparer chaque matin. Je jouis littéralement de cette propreté, de ce temps pris à m'arranger que cela soit pour simplement descendre travailler au café, faire les courses ou pour un rendez-vous galant, c'est souvent les mêmes gestes exécutés avec la même précision. Il y a quelque chose de l'ordre de la soumission aux regards étrangers (ceux des badauds) et donc par là une considération extrême et aberrante pour ces mêmes badauds. On peut également y voir une politesse et une humilité infinies : c'est Freud je crois qui dans sa correspondance d'adolescence disait que les hommes avaient l'outrecuidance de penser qu'il n'avait pas besoin de se pomponner. Il y a évidemment de l'aliénation dans tout ce temps et tout cet argent pris à s'arranger, mais également beaucoup de puissance parce que beaucoup d'auto-érotisme : on ne pense pas suffisamment à cela, à l'idée qu'une femme se soigne et s'apprête parce que d'abord et avant tout elle se désire elle-même.


26 mars

Oscille entre l'angoisse et l'immobilisme le plus totale. Il y a définitivement une part de folie inerte en moi qui a mis du temps à se faire observer. Il aura fallu peut-être m'isoler tout à fait dans une chambre pour que je devienne à moi-même totalement un sujet d'observation. Ici j'ai une vue imprenable sur moi-même, sur mes comportements, je suis comme un animal en cage qui est à lui même son propre observateur. Donnez une chambre à soi à quelqu'un, vous lui donnerez également l'occasion d'une forme de folie domestique, de folie qui est le nerf de la solitude.
Je me souviens de F. et de ses mille manies provenant simplement du fait qu'il vit seul depuis longtemps, il avait développé une forme de méfiance envers les objets, une maniaquerie qu'il justifiait par des histoires insensées. C'était touchant.


J'aimerais me rappeler toujours, même au coeur du doute, que ce que je vis avec D. est de l'ordre de ce que j'ai toujours voulu vivre, de l'ordre du pur événement qui se présente cette fois-ci sans complication. Il y a un fossé temporel qui nous sépare à jamais et qui fait que cela est encore plus miraculeux que cela marche entre nous. J'avoue me débattre contre mes vieux démons, car j'ai toujours eu beaucoup de méfiance pour tout ce qui fonctionnait en amour. J'ai trop aimé les ratages pour ne pas m'empêcher de détester D. par moments, pour avoir envie de le faire un peu souffrir, juste pour voir ce que ça fait.
Tout à l'heure il a voulu m'appeler, je n'en avais pas très envie mais je sentais que lui refuser cet appel compliquerait les choses. J'accepte et nous parlons plus longtemps que prévu, et dans cet échange très chaleureux et très naturel je sens pointer le coeur chaud d'une intimité entre deux personnes. Ce que je n'ai jamais réussi à avoir vraiment et que j'avais là devant moi, c'était infiniment agréable d'y penser, même si toute la beauté de l'intimité provient justement du fait que les personnes concernées n'en sont pas conscientes. Il y a dans l'intimité et la complicité quelque chose de spontané, de non-conscientisé qui les rendent d'autant plus belles à observer - l'intimité c'est au fond le point de vue du tiers. Je crois être avec D. dans ce degré de proximité, ou sa prévenance et mes taquineries suffisent à tout révéler de notre affection.

Je sais que je peux m'appuyer sur lui et qu'il rêve de ça, il rêve de pouvoir être l'origine lumineuse de mes humeurs, me sortir de ma dépression, me transformer, mais je ne lui en donne pas l'occasion. Quand je repousse tout loin de moi, je n'épargne pas D. dans ce rejet. Ma tristesse est injuste et excluante et je me sais capable de préférer à lui, qui est là et bien réel, n'importe quel autre type qui passerait vaguement dans ma vie. Parce que le virtuel je l'habite, alors que le réel d'une présence s'impose à moi. Il mérite que je fasse pour lui tous les efforts dont je suis capable, à commencer par arrêter de penser que l'intensité se trouve dans la douleur.

samedi 17 janvier 2015

6 décembre - 17 janvier

06 décembre

L'ennui ne nous brûle pas mais il nous fait souffrir. C'est une souffrance plate et blanche, silencieuse et suffocante. J'ai le sentiment que je cherche à souffrir pour étouffer cette autre souffrance qu'est l'ennui.

Les filles s'ennuient trop souvent au milieu de la prétention des garçons. Patientes, elles y installent leur petit lit et, songeuses, attendent que cela passe.

Le bonheur n'est pas la promesse du bonheur. Un bonheur possède en lui-même son propre germe addictif : on se fiche d'en avoir déjà, ce qui nous intéresse c'est d'en avoir encore. On reste pendus à ce encore, qui nous détourne du maintenant. C'est pour ça que nous pouvons en vouloir à ceux qui nous quittent, ils n'ont pas tenu la promesse inhérente à ce qu'ils nous donnaient : la promesse qu'il continuerait de nous donner, encore et encore.

Lors d'une soirée, une amie de J. qui a lu mon blog, me demande, curieuse : "mais c'est quoi ta conception de l'amour ?" qui résonne comme un "mais c'est quoi ton problème au juste ?"

8 décembre

Très malade à cause de je ne sais quoi (sûrement d'un truc pas net pris vendredi soir). Alitée pendant plus de 24 heures, dormi presque autant. Il n'en faut pas plus pour se sentir loin du monde, loin de tout, ressentir une sorte de nostalgie de l'air extérieur, de la rue, du métro. J'attends que la maladie passe, et avec elle la tristesse.


9 décembre

Ma petite vie dans ma chambre (ce que j'ai ardemment souhaité pendant des années) me paraît si naturelle qu'il me semble avoir toujours été dans cet état mental. J'ai toujours été mentalement seule dans ma petite chambre. J'aimerais pouvoir éprouver plus intensément cette liberté, en faire un cadeau de chaque instant, mais je me rends compte que cet état est trop naturel pour être célébré. Parfois en montant les escaliers de l'appartement où j'habite il m'arrive d'être prise de vertige, de trouver cela insensé. Comme si je me dédoublais : c'est bien moi qui monte cet escalier, qui m'achemine vers ma chambre où sont rangées mes affaires, ceci est mon trousseau de clé où cohabitent ensemble les clés de l'appartement familial et celui de la colocation. Je peux loger dans deux endroits différents.

Vers les 17 heures je pars m'acheter des cigarettes. L'homme devant moi achète une cartouche, il en a pour 65 euros, cela me déculpabilise totalement des 6,90€ que je vais débourser. Il met la cartouche dans son grand sac de courses où se trouvent déjà ses achats précédents : des journaux, une baguette, de la nourriture. Il va rentrer chez lui, il sera autosuffisant, il pourra ne plus ressortir avant longtemps, sa cartouche sera dans un tiroir, elle se consumera lentement. Il achète des cigarettes comme on achète du papier toilette - un truc de vieux film français, l'évidence des cigarettes qui accompagne les courses quotidiennes. Cette vision m'est excessivement rassurante, elle m'apaise plus qu'elle ne le devrait. Je retrouve un peu d'énergie.

23 décembre

4 jours que je n'ai vu personne, du moins pas de mon plein gré. Parfois l'envie me démange d'écrire à des amis et puis je résiste, j'essaye de me tenir, je me dis qu'il faut aller au bout de la solitude et arrêter de parler pour un moment, arrêter de flirter, arrêter de vouloir flirter, mais se mettre au travail. Vivre ce qui s'apparente à une misère, retrouver dans la rue et les cafés, une forme de vulnérabilité, de sauvagerie à force de se tenir prostrée en soi-même. C'est très sain, salvateur, même si ça fait mal. Et en même temps c'est très facile d'être seul, du moins on n'est vite très seul, on ne peut pas faire des stocks de compagnie ou de sociabilité. Après quatre jours, je me trouve un peu folle et totalement désespérée, puis par moments, des accès d'euphorie, après un travail accompli ou devant des conneries à la télé. Je me ressource quelque part, en n'allant pas plus loin qu'en moi-même, en ne sortant pas de mon périmètre, en ne traduisant rien de mes pensées. Rien pour autrui et tout pour moi. Au bout d'un moment, ça devient comme du vélo, les premiers jours sont un peu chaotiques puis on finit par trouver la bonne vitesse, ni trop lente ni trop rapide, juste ce qu'il faut pour ne pas tomber par terre. Quel est mon état normal quand tout autour, tout est calme ? Je vois beaucoup de films, je dors très tard, je regarde la télé tard, j'entreprends mille choses, mille textes à faire qui se bousculent dans ma tête, au bout d'un moment mes ambitions me torturent, me font mal, ça me tord les boyaux et j'accomplis un peu de ceci ou de cela, pour me vider, mais déjà d'autres ambitions se reforment, des projets fous, et j'ai tout le loisir d'y penser.

28 décembre

Ce n'est pas moi qui broie du noir, c'est ma dépression qui me rumine, me triture entre ces mains.

4 janvier

Leur amitié est belle, quoiqu'un peu immature parce que narcissique. Un narcissisme de bande, qui se raconte à elle-même sa propre mythologie, mais ça reste beau à voir. Je retrouve quand même une donnée fondamentale de mon rapport aux gens de mon âge : une forme d'agressivité

17 janvier

La plupart du temps je subviens à mes besoins sans saut qualitatif. La plupart du temps je ne fais qu'épuiser des ressources, mon existence se passe dans un gaspillage paisible et normal, dans la consommation. L'écriture a toujours été pour moi l'unique façon de me soustraire à cette consommation qu'est l'existence, de suspendre ce banal épuisement de ressource pour atteindre à une sphère plus noble. Je vais beaucoup au café et je sais que c'est le signe que je deviens totalement irresponsable, totalement perdue.
Je culpabilise de vivre et de jouir, mais je vis et je jouis beaucoup. Ma paix intérieure, quoique souvent dépressive, me fait frémir tant j'ai l'impression de ne pas la mériter. Je mériterai le surmenage, l'harassement, je mérite de comprendre ce que c'est que la vie : quelque chose de dur, d'aride, et non pas quelque chose de compliqué. Je mange, je fume, je bois, je dépense, la pire des choses et la plus voluptueuse, celle qui me laisse hébétée et pleine de questionnements se trouve être le plaisir sexuel. Parce que la jouissance sexuelle est une illusion que l'on démonte mais qui se reforme sans cesse. La jouissance sexuelle devrait pouvoir arrêter de nous travailler dès lors qu'on la démonte une fois. C'est la pire dans cette façon qu'elle a de reprendre sa forme originelle après avoir été déconstruite. On pense avidemment que les choses, l'existence, la dépression et une forme de solitude très banale pourront se régler par elle et nous savons pertinemment qu'au final elle ne règle rien. Elle ne règle rien parce que nous lui demandons de nous offrir une tonalité existentielle, quelque chose que nous pourrons porter en nous au-delà de l'étreinte, or le sexe a ceci de désarmant qu'il est effroyablement restreint à sa seule ponctualité, au seul temps de l'étreinte. C'est quelque chose de bref, d'incroyablement non-diffus, aux contours bien arrêtés.