jeudi 17 décembre 2009


La fenêtre ouverte de ma chambre m'offre une modeste vue, fraîche et rectangulaire sur un bout du monde, l'air qui me frappe les yeux et les pores, me redonne le goût du dehors, l'envie du dehors, les pieds encore sur la moquette, le corps dans un pyjama. M. Franck disait, faites l'expérience, sur une vitre embuée, tracez le contour de votre visage, on a l'impression que ça prend toute la place, tracez le contour, c'est en fait ridiculeusement petit. Je ne prends pas de douche assez longue et assez chaude pour que la buée se fixe, mais je prends mon visage dans mes mains, je sens que c'est tout petit, alors que c'est vrai, je pensais "mon visage est tout", je réceptionne et envoie tout depuis ce visage, et c'est si petit c'est vrai,un galet. Faites pareil avec votre corps, mesurez à l'aide de vos mains la largeur de vos hanches, de vos cuisses, constatez à quel point on a beau se sentir en train de prendre de la place, avec un corps envahissant, l'épaisseur des hanches est en fait ridicule, un petit espace mou et vulnérable.

Un peu de dentifrice et quelques cheveux sur les parois du lavabo, j'ai changé de brosse à dents, les poils se tiennent droits et me font mal aux gencives, je les écrase et les frotte contre mes dents, un jour ils seront souples, avachis. Un jour ils formeront un bouquet de tiges se ramifiant dans tout les sens, résultat de cet écrasement répété matin et soir sur mes dents. Je me fais boire à la main, je crache, je passe ma langue sur mes dents et j'éprouve la première satisfaction de la journée, la netteté, la chose bien faite. C'est agréable, c'est agréable les dents alignées mais aussi et surtout propres.

Cahier, carnet, agenda, livre, manuel, journal, magazine, tract, copie simple, copie double, l'étudiant appartient à un monde de papier, c'est ce que je me disais l'autre jour. Du papier partout. qu'il manipule, rend, consulte, jette, gribouille.

Virgin Megastore un 24. Acheter la saison 4 des Griffins pour Emile, autour de soi des adultes qui cherchent et choisissent, ils ont le recul de ceux qui ne font qu'acheter ce qui leur a été demandé, ils tiennent des livres du Petit Ours Brun, de Marc Lévy, des saisons de séries télé inconnues, des mondes qui appartiennent à d'autres, à leurs proches, ils font la queue les bras chargés de choses qui ne les concernent pas, ils emballent et puis ils offrent. Ils ont l'air tendrement "à côté".

On a déjà cherché, on cherche toujours la personne qui lors d'une séquence d'un film oublie qu'elle joue. Le figurant qui est tellement au fond qu'il pense qu'il n'est plus dans le champ. Et on ne trouve jamais car au cinéma tout le monde est sérieusement concerné, tellement concerné que l'histoire en devient vraie, que ça existe. Je n'ai jamais douté une seule fois de la véracité de l'histoire que me racontait un bon film, ça a existé, et si vous me demandez des preuves et bien je vous tends le DVD. Dire que "c'est pour faux" serait désespérant. Le cinéma est une bonne religion.
Et de salle en salle il s'agit toujours de se désintéresser temporairement du monde pour ensuite mieux s'y intéresser.

L'effort produit pour être une meilleure personne, on ne le retrouve pas chez les autres, on n'emporte pas le monde avec nous dans cette volonté d'être comme il faut ou dans la souffrance morale qui résulte du constat de justement ne pas l'être. Quoique je devienne, le monde lui reste tel qu'il est, il s'accorde avec ma médiocrité fondamentale mais rejette et contrarie mes efforts pour m'en extirper. Alors peut être que c'est ça qui peut désespérer, décourager dans cette grande entreprise qu'est le perfectionnement de soi-même. Il faut donc rejeter, nier l'existence de ce qui ne nous plaît pas, on choisit sa réalité, c'est à dire qu'on choisit amis, principes de vie, habitudes, lectures et centres d'intérêt, on se crée un monde et on s'arrange pour penser qu'il n'y a que celui-là. Il arrive que ce monde soit perturbé, bouleversé par un élément étranger, qui gêne et qui fait souffrir, tout est alors à réajuster.


photo : Night on Earth de Jim Jarmusch

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