samedi 25 octobre 2008



"même dans des circonstances idéales, il y aurait toujours quelque chose qui clocherait et empêcherait qu'on se sente absolument bien. Mieux valait s'y habituer, sous peine de rater la bribe de bonheur qu'on pouvait quand même glaner."
Richard Ford
J'ai appris qu'on reprenait un jeudi, je n'ai donc que 10 jours de vacances, ça a eu pour effet de calmer mon angoisse. Je trouve ça parfait, c'est rond, c'est beau, ni trop long pour qu'il n'y ait pas de "jours morts" (pyjama, internet, télé), ni trop courts afin qu'on ait le temps de faire ce qu'on veut.
Ca va faire maintenant un certain temps qu'en début de vacances j'établis une liste de choses à accomplir, c'est une liste très longue et qui, si elle se réalise, me promettra de garder un bon souvenir général de ces vacances. Non mais, au bout du compte il faut être content et accepter les vacances comme on les acceptait en primaire, comme les plus beaux cadeaux du monde, de larges et douillettes journées ensoleillées, pleines d'aventures. Et puis d'expérience je sais que le temps passe vite, que 10 jours passent vite, que 2 mois passent vite, que tout mon passé est un grand rêve, un paquet de photos superposées les unes sur les autres et qu'on pourrait toutes regarder simultanément, des formes se perdraient, des visages affleureraient.

Ce vendredi je pensais vraiment que MD avait des choses à me dire à la fin du cours, déjà il devait me rendre ma clé USB, rien que ça aurait suffit à entamer la discussion et puis j'imaginais qu'il avait dû survoler la compilation, mais comme on dit péniblement "il y a des jours avec et des jours sans" et je suis partie de la classe en m'approchant du bureau juste parce que la corbeille à papiers se trouvait en-dessous et que je devais jeter des papiers, je n'ai même pas osé lui dire au revoir dans les yeux et le "bonnes vacances" n'est pas sorti même si je l'avais pensé très fort.
J'avais le visage fermé et très triste.
J'avais passé le cours dans une attitude plutôt joyeuse, je participais un peu, je rigolais beaucoup, mais arrive la seconde où le visage ne fait plus du tout semblant et où tout arrive à se savoir, cette seconde avait été ce moment où je disais "au revoir" sans convictions et sans espérances tout en me baissant pour atteindre la corbeille à papiers. J'imagine que le temps d'une demi-seconde il a flippé à l'idée que je vienne lui parler, parce que même si c'était pas pour me rendre ma clé il aurait dû s'excuser de l'avoir oublié ou me demander s'il pouvait me la rendre après les vacances. Je crois qu'il sait quelque chose.
je suis sortie, j'ai enfoncé ma tête dans mon bonnet, j'ai sorti mes sandwichs (j'avais pas déjeuné) et j'ai commencé à chercher quelqu'un à insulter. MD est venu vers mon groupe, sans sa veste et en tenant un briquet noir et blanc, il a dit qu'il avait pas envie de remonter, si quelqu'un avait une cigarette. On a dit plus ou moins en même temps "nan désolée", et Lucia est passée en disant "elle fume pas..." sur un ton qui m'allait pas. Une fois qu'elle était assez loin avec sa petite démarche de mannequin qui connaît un des membres de Justice je l'ai traité de "connasse" et tout. MD qui nous demandait une cigarette, qui faisait prudemment comme si de rien n'était, ça avait eu le don de m'irriter.
Avant le cours d'histoire j'avais dit à Marie et à Julie "surtout observez le bien, qu'on sache s'il sait quelque chose", Marie semblait toute émoustillée, investie d'une mission et avait vraiment pris son rôle au sérieux, quant à moi j'osais à peine le regarder et je préférais fixer mon cours ou mon manuel, comme je le fais dans les autres matières où il n'y a pas de sentiments en jeu. J'avais un peu honte, comme si j'avais commis une bêtise et que malgré les jours qui passent le regard de l'adulte n'était pas encore soutenable, trop chargé de sous-entendu, du poids du souvenir. Je crois qu'il m'évitait énormément du regard, en tout cas la fréquence n'était plus la même. (ok je suis une grosse dinde parano, fermez cette fenêtre, vite). Julie m'a dit que j'étais mignonne avec mon sac à dos, mon bonnet, ma gueule énervée et mes sandwichs. Je voyais ce qu'elle voulait dire.

Plus tard dans la soirée j'ai retrouvé les filles, on a traîné au Mcdo, on avait pas l'intention d'aller au cinéma ni rien. J'étais fatiguée, Charlette avait ramené de la documentation sur des universités datant du dernier salon de l'Etudiant, on a regardé ça, je me sentais trop mal, sans aucune énergie pour rien, je sentais mon parcours tout tracé, la mort à portée de main, la fatigue me rendait trop triste et en partant Marie et Charlette ont vu un rat dans le Mcdo, le vigile a remonté le rideau métallique pour qu'on puisse partir. Une nana dans le bus parlait au chauffeur, elle lui disait "vous acceptez de travailler le dimanche, c'est de l'esclavage" et le chauffeur répliquait des trucs sur Mitterand, une autre nana parlait très fort et en anglais, j'avais envie de lui dire "please be quiet", dans ma tête je me répétais sans arrêt la phrase, "please be quiet, be quiet", et elle elle faisait que dire "ham, haamm, Oh my god, oh my god, haamm", connasse elle aussi. Une fois à la maison j'ai mangé du riz et j'ai dit à ma soeur que le haut qu'elle venait de s'acheter était moche. Et c'était vrai.

"De toute évidence, je m'étais trompé quant au lien entre les instants, et quant à ce qui était préliminaire ou principal."
Richard Ford

Dans le bus j'avais trouvé cette phrase dans Richard Ford, je me disais qu'en ce moment elle me correspondait assez, que je ne savais pas mettre les choses dans l'ordre, établir la bonne hiérarchie, c'est ce qui pouvait faire qu'un détail pouvait faire tourner le monde et que l'essentiel soit perdu. C'était le monde comme je voulais qu'il soit, et ce samedi je me suis réveillé très tard, d'abord une première fois à 10h puis enfin vers 14h, Emile et ma soeur m'avait fait chier pendant que je dormais alors j'ai décidé de leurs faire la gueule toute la journée et de passer ce samedi toute seule dans le silence. Je m'étais fixé pour but de trouver "Maudit Manège" de Philippe Djian, c'est MD qui nous l'avait conseillé d'abord en classe puis aussi dans un de ses mails. Sur le site de fnac.com il était indisponible et sur Amazon il n'y en avait pas beaucoup, c'était pour ça que j'avais décidé de partir à l'aventure, parce que je savais que ça allait être dur et que ça m'amusait.
Je l'ai finalement trouvé chez Gibert dans sa grande édition un peu vieille, j'étais contente, j'avais l'impression de ne pas faire les choses à moitié, j'avais envie d'en parler à MD. J'ai aussi pris Bartleby de Melville. Je trouvais que j'étais bien habillée mais j'avais quand même super chaud chez Gibert et aussi dans les transports mais j'étais plutôt de bonne humeur parce que la ville était avec moi, m'accompagnait dans mes songes, me donnait à voir des choses intéréssantes. J'ai traversé les restaurants grecs et les crêperies, les odeurs extrêmement sucrées répondaient aux odeurs extrêmement salées, j'ai vu un mec avec un t-shirt Crystal Castles et puis un père de famille beau gosse avec 3, 4 enfants autour de lui dont j'aurai voulu être la mère pour qu'on passe un samedi soir au restaurant, les menus junior auraient été à 8€ et on aurait pleuré de joie à l'idée du bonheur qui s'étalait devant nous. Au lieu de ça je suis rentrée chez moi, sur le trajet, devant le Zenith Pizza une nana a passé ce qu'elle était en train de manger au sans domicile qui passait par là, il a dit "merci beaucoup", et c'était bien.

The Cure - Accuracy

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