lundi 22 février 2010

Jeudi matin, cours de sociologie et psychologie sociale, j'ai changé de TD uniquement pour être avec un chargé de TD qui s'avère être (après quelques recherches) gros cinéphile et qui a écrit un mémoire très intéressant sur "le spectateur engagé"; uniquement pour ça et pour aucune autre raison. Ce changement par amour ne s'est pas fait sans son lot de sacrifices : au lieu de me lever à midi pour aller en cours de statistiques à 14 heures je dois maintenant me lever à 9 heures pour arriver à 11 heures.
Peu au courant de la démarche à suivre j'avais envoyé comme une bouteille à la mer un mail demandant s'il pouvait m'accueillir dans son TD et il m'a dit que j'étais la bienvenue. Premier contact et déjà "la bienvenue", oh my.
Toute la semaine je n'avais d'abord eu aucune réponse, ce qui m'attristait mais je tentais d'en voir le bon côté, cela me permettait une glande du mercredi soir au jeudi midi non négligeable, je suis très glande, très insomnie aussi. Mercredi soir quand j'ai reçu le mail je n'étais plus que joie, la situation s'inversait "oh et puis 9h ça reste relativement tard comme heure du lever", voilà comment on fonctionne: on s'arrange de tout ce qui nous arrive, on prend en compte les avantages, on en cherche, on laisse tomber les inconvénients, sinon on ne supporterait rien.
Il avait repris la structure de mon mail pour répondre, avait fini par le même "Bien cordialement", j'étais toute émue.

Je l'ai d'abord aperçu de dos, encore tout affairé à parler avec des élèves du cours précédent, je n'étais pas jalouse, ça allait. J'étais dans cet instant suspendu où tout en prenant place dans la salle je faisais définitivement connaissance avec son visage; personne n'était au courant de rien, toute l'histoire tenait dans ma tête.
Au fur et à mesure du cours je saisissais des bribes de données, des pièces du puzzle. Quelque soit le professeur qui est devant vous il vous est livré dans une relative vulnérabilité, on ne se rend pas compte du pouvoir que l'on a sur lui en le saisissant simplement du regard, en passant le cours à le fixer de ce regard qui dans un va-et-vient juge et pose des questions. Il est là, se portant tout entier devant vous, avec ses mimiques, sa gestuelle, ses vêtements, ses affaires, sa gestion de l'espace, sa voix, ses phrases.
Un rapport observateur/observé s'est installé d'emblée, j'avais honte de mes recherches trop poussées à son sujet, il y avait déséquilibre, j'avais une longueur d'avance qui frisait l'obscène. Il pensait qu'il était le simple chargé de TD au cours d'une heure et demi alors que j'étais pour ma part assez émue d'enfin le rencontrer, à la limite de lui dire "on m'a beaucoup parlé de vous". Il était tout mignon, tout frêle, de fines lèvres, la peau irritée, beaucoup de cheveux, un pull marron sur une chemise bleu clair à la limite du gris, sa parka et sa besace pas loin. Une charmante petite personne qui ne laisse rien deviner de ce qu'elle est et de ce qu'elle aime.
Ce qui me frappe chez les chargés de TD c'est qu'ils sont encore bien jeunes pour la plupart et qu'on les sent comme ayant tout récemment fait leur place dans le monde tandis que nous nous débattons et que nous nous cherchons encore et pendant des années devant leurs yeux. Ils sont calmes, du moins sûrs d'une chose, c'est qu'ils ont ce savoir à nous transmettre, quant à nous, nous ne savons encore rien de nous sinon que nous devons réceptionner ce qui nous arrive, tâcher de donner un sens à tout cela. Nous sommes plein de fureur et d'ambitions contradictoires. Ô étudiant, toi, ta cigarette et ton gobelet de café, tu prends ton absence de vocation pour de l'errance mais un jour tu te plaindras de précisément le contraire, aujourd'hui tu ne sais pas pour quoi tu es fait, demain il sera trop tard pour être autre chose.

Peu d'étudiants participent en cours, on ne sait pas très bien mais il arrive que dans un cours de cinquante personnes aucun d'entre nous ne se manifeste ou alors après plusieurs secondes deux trois doigts se lèvent : pas envie de se mouiller, timidité ou simple ignorance de la réponse, les causes sont multiples. J'avais bien envie de dire mon mot sur Gustave Le Bon et la psychologie des foules, envie de dire que quand même ce truc de conscience collective qui s'impose à soi et qu'on ne peut contourner je n'avais pas l'impression que c'était vrai et que par exemple à un concert j'étais plutôt du genre à considérer que la foule c'est tout les autres sauf moi (des gens rient) que je peux toujours m'abstraire d'elle. Voilà Raphaël ce que je pense. Puis j'ai fini sur des considérations sur internet, "ptêt que les choses changent avec internet, puisqu'il y a foule sauf qu'on est toujours tout seul à réagir". Il avait l'air d'accord, en plus il a répondu à mon "au revoir", je crois qu'il m'aime.

Je me souviens que ma soeur se foutait gentiment de ma gueule parce que je me démenais pour changer de prof de socio, je lui avais alors répondu : "le jour où j'ai réalisé que j'ai failli ne pas connaître Monsieur Franck en changeant de lycée en première, j'ai décidé d'être le hasard, de le forcer." Elle a rigolé.

1 commentaire:

Mai a dit…

Je partage férocement ton point de vue sur le hasard.

La maxime de Galien est devenue mienne: "le hasard ne favorise que les esprits préparés".
(que je parvienne ou non à la mettre en application, tendre vers cela)