jeudi 18 février 2010

Midi (1)




J'arrive en retard au cours de méthodologie, 21ème étage, je sais que depuis cet étage je capte la wifi de l'université. Hop, je rentre discrétos le login de ma carte d'étudiante (combien de fois j'ai fantasmé sur la carte d'étudiant après avoir fantasmé sur la carte Imagine-R, la carte c'est ce qui vous rend membre de, vous êtes du clan) et mon mot de passe, surtout que Popo (c'est comme ça que j'appelle ma prof Pauline) ne le remarque pas, je n'ai pas envie de la contrarier. J'ai l'impression qu'on ne voit pourtant que ça, je culpabilise trop d'aller sur le net pendant ce cours, mais je ne peux pas faire autrement et lui promets intérieurement que ma connexion à internet n'altèrera en rien ma prise de notes du cours. En face de moi Karine se connecte à Gmail. Cours chiant sur une dissertation sur l'irrationnel, trop dur, désespérant, j'hésite à lever le doigt et à dire "mais madame, vous êtes sur qu'on est capable d'en arriver à là par nos propres moyens ?" mais j'ai d'emblée adopté une telle attitude pendant ce cours que j'ai décidé de ne plus jamais participer pour rester cohérente.

Je ne sais plus ce que j'écoutais ce matin, si j'ai écouté la radio, rien ne me revient, je sais seulement qu'avant de partir j'ai mis les Talking Heads et que j'ai dansé. Non pas d'une danse molle, d'un pied qui vit sa vie dans son coin, mais une vraie chorégraphie, vestige de 6-7 ans de modern jazz. Mon corps n'a jamais réclamé que trois choses : du repos, de la douche, de la danse.

Je note le cours sans y croire tout en allant de ma boîte mail au forum de Tech à Twitter à Blogspot à Statcounter. Plusieurs fois. Parce qu'internet est cette chose vivante ou d'une minute à l'autre vous pouvez recevoir un mail. A l'époque (selon les films, les séries plutôt, comme dans Notre belle famille) les gens ne sortaient pas de chez eux quand ils attendaient un coup de fil, aujourd'hui on vérifie frénétiquement sa boîte mail.

J'envoie un message sur le chat de Gmail à Karine qui est juste devant moi, on discute un peu, on ne laisse rien paraître de cette situation cocasse.

Je sèche le grec ancien, je vais voir Le Mécano de la Général au Grand Action, je passe d'abord par le Monoprix et achète
de la pâte à gâteau
du Nutella
des Smarties
pour ce soir
je me prends aussi un sandwich, toujours le même, jambon emmental et un coca light. Toujours le même sandwich par peur d'acheter un truc pas bon, insipide, le poulet dans les sandwichs c'est trop souvent sans goût.
J'ignore si le beurre qui est dans le sandwich glisse insensiblement à l'extrémité tenue vers le bas ou s'il y a d'emblée trop de beurre à l'une des extrémités, je me pose cette question à chaque fois que je l'achète. Le pain est farineux, on s'en prend plein les doigts.
C'est l'heure de manger pour un peu tout le monde et j'aime assister à ce moment de la journée absolument joyeux comme si une multitude de cages à oiseaux s'ouvrait pour laisser s'échapper des êtres humains possédant un certain nombre de minutes pour se restaurer. Certains errent sandwich à la main, d'autres sont bloqués entre deux collègues dans un restaurant, certains dépensent 5€, d'autres 15€. Un homme devant moi achète une petite barquette de céleris et trois Kinder Bueno, une femme, des serviettes hygiéniques. C'est le moment où je ne m'en fais pas pour les restaurants, moi qui normalement m'inquiète de leur survie, qui m'inquiète de les voir vides vers les seize heures alors que c'est normal. A présent ils sont remplis, tout l'est d'ailleurs, les ventres les bouches, et plus aucune question ne se pose, les serveurs s'affairent, l'interaction est à son comble, c'est la ville qui déploie ce dont elle est capable. Tout est possible à midi, seulement les heures passent et les promesses se perdent. Nous ne sommes jamais à la hauteur des midis.

Je suis de Ceux qui errent sandwich à la main, j'ai trente minutes à tuer alors je me promène, prends un long détour, remonte la rue Saint-Jacques, passe par la rue de l'Ecole Polytechnique, les bars à l'étouffante ambiance étudiante, comment je fais pour aller si souvent au Reflet alors que je n'aime que les cafés à l'ambiance neutre, je retombe sur la rue des Ecoles, je scrute précautionneusement les nombreuses vitrines de la librairie La Compagnie, je n'ose pas y rentrer parce que je n'aime pas rentrer dans les "petites" librairies (c'est à dire les librairies où le client est à portée de vue du caissier) sans rien acheter, je me dirige vers le Grand Action. Peu de spectateurs, pour la plupart des grands-mères et grands-pères et leurs petit-enfants. Le cinéma vient d'ouvrir, l'Action Ecoles a son grillage encore abaissé.
Quand je me promène seule j'ai toujours l'impression qu'on me déteste et qu'on me persécute, que je ne dégage pas quelque chose de bien, je ne sais pas à quoi c'est dû, je parle de ça comme ça, comme si je le pensais à moitié alors qu'il s'agit d'exprimer une constante de mon existence, quelque chose de vécu comme une évidence et qui ne se verbalise que maintenant. J'ai l'impression de toujours devoir m'excuser, de ne jamais être à ma place, de devoir me justifier, de dire toujours dans mon attitude "ne vous inquiétez pas ce n'est que temporaire, je m'en vais bientôt". Et si c'est différent quand je suis accompagnée c'est que je suis simplement distraite par autre chose pour y penser.

Tout le monde rigole de bon coeur pendant la séance, d'un rire qui ne prend pas en compte le fait qu'il est entendu, de celui qu'on aurait plutôt chez soi tout seul, ridicule, obscène, presque monstrueux, dont on se dit "j'hallucine ou j'ai bien entendu ça ?", surtout celui de la femme derrière. La musique est à pleurer (orchestration qui date de 2004), l'histoire est trop riche en rebondissements, je n'arrive pas à suivre et puis je n'aime pas les scènes de guerre mais je reste reconnaissante à l'idée qu'elles ont dû coûter un max, mais je m'arrête à la reconnaisance. Quelque chose cloche dans le film, une mauvaise façon de dépeindre l'amour, de le rendre secondaire à cette histoire de locomotive. Et vers la fin, quelque chose que Chaplin ne se serait jamais permis de faire, il n'aurait jamais fonder l'amour de la femme pour l'homme sur la simple preuve de son courage et des apparences, il nous aurait fait pleurer plutôt que de nous laisser sur un dernier gag, gentiment contents.


1 commentaire:

Anonyme a dit…

À part "la wifi", cette tranche est super.
Une fois par jour, j'ai presque envie de dire matin, midi et soir, et on en redemande !