vendredi 5 juin 2009

Les chemises demandent à ce que l'on se tienne droit, elles ont une rigidité, un ordre, une symétrie et une forme à respecter, il ne faut pas s'avachir quand on porte une chemise, elle est le nouveau corset. La chemise est le vêtement de l'homme éveillé, réveillé, celui qui en remonte les manches sur ses puissants avant-bras, la chemise porte le travail en elle, elle est l'apparence du travail. C'est pour cette raison qu'on en croise autant à la Défense.

Le vendredi après-midi je perds le sens du réel. On prend la fatigue de fin de journée pour celle de toute une semaine, puis on attend dans une torpeur impatiente le bus, entourée du bruit prévisible des voitures allant et venant : c'est le silence de la ville, le silence la ville qui n'offre plus rien d'autres depuis bien longtemps, qui égalise tout. La ville est l'épreuve de trop pour la fatigue, elle est le lieu de la réaction, de l'homme éveillé, celui-là même qui porte une chemise.
Les membres sont abrutis, le dos voûté sous l'abribus, les discussions pâteuses. Dans la journée on hésite à programmer quelque chose pour la soirée, on anticipe la fatigue de l'après-midi, on se demande si les copines ont envie de commencer le week-end avec nous où si elles sont dans leur période de retirement, de "je suis contre tout". On ne peut se retrancher d'elle, elle est là et il n'est pas question de se dire "je dis ça parce que je suis fatiguée"; nous prenons la vision du monde qu'elle nous impose comme la seule valeur possible. 

Beaucoup de rancoeur à l'égard des voitures, de leur laideur définitive qu'elles tentent de dissimuler par des lignes élancées, des noms inventifs, des couleurs de cadavres, de ce qu'elles représentent : l'individualisme sous sa forme la plus éloquente, une petite boîte tout confort autour de son conducteur, un confort qui quand on y est, pousse à la haine de tout ce qui en est extérieur. On a l'air de rien dans une voiture et absolument rien ne la sauve.  
Quand j'étais petite je me concentrais sur la figure que leur conféraient les deux phares avant et le pare-choc, certaines avaient des têtes impitoyables, d'autres sympathiquement simplettes, comme la Twingo.

Pourtant je n'aime rien autant que les promenades en voiture, ce qu'elles permettent de combiner : le transport, une bonne température ambiante, la tranquillité qui caractérise tout ce qui n'est pas en commun, la musique, la radio que l'on veut. On regarde au-dehors de manière aussi impliquée qu'effacée, avec la bienveillance de l'observateur dont tout le monde ignore qu'il observe. S'il existe un lieu pour les morts il doit certainement ressembler à une voiture.

J'aime bien tomber sur mon odeur. Enfiler ma chemise de nuit et puis, dans le tuyau qui mène à l'embouchure, tombé sur une odeur, un mélange de déodorant, de transpiration nocturne, de gel douche, une odeur de présence. Avant je mettais au sale la chemise de nuit avant qu'elle ne sente quoique ce soit, maintenant j'essaye de me calmer concernant mon hygiènisme, j'essaye de m'accepter en tant qu'odeur...ma mère s'en rejouit.

Je n'ai jamais aimé Rock Bottom de Robert Wyatt mais la version que A. propose de Sea Song m'a convaincue de donner à l'album une sec...disons une troisième voire quatrième chance. C'est le genre d'album que j'ai honte de ne pas aimer tellement s'est constitué autour de lui un consensus de grandes personnes qui pensent inconcevable d'y voir autre chose qu'un pur chef-d'oeuvre. Heureusement A. me ferait tout aimer, il m'en offre une version qui restitue toute la profondeur qui manquait à la version de Robert Wyatt, de cette profondeur qui nous oblige à en consulter les paroles.
Sea Song - A.

Aucun commentaire: