jeudi 25 juin 2009

Hier soir avant de m'endormir j'ai pris trois secondes pour me fixer des buts pour la journée d'aujourd'hui. Pour le temps libre il faut procéder par anticipation, sinon on ne s'en sort pas. En manque d'idées l'épisode du sac poubelle s'est révélé incontournable, résultat: on distingue enfin la couleur du bureau. J'ai jeté toute l'histoire géo, j'ai gardé toute la philo. Par volonté de mettre les cahiers hors de ma vue, excédée, j'avais tout enfoncé sous mon lit. Il me reste les petits manuels de révisions Bordas pour l'histoire géo ainsi que le manuel de croquis Belin conçu entre autre par M. Delmas et qu'il avait eu la gentillesse de me dédicacer. "Désolé, ça n'est pas du Houellebecq...chacun fait de son mieux.". Chacun fait de son mieux, cette phrase m'avait tué.
J'ignore quelles formes prendront ces vacances et je me dis un peu bizarrement que seul une épreuve de rattrapage pourrait me faire goûter une dernière fois avant longtemps les joies du travail.
Je me suis réveillée à midi et j'ai mangé des tartines en écoutant toute les émissions de France Inter les unes à la suite des autres alors que normalement je n'en ai le droit qu'à une. J'ai consulté mon Pariscope acheté hier avec Cécilia, on a donné 80 centimes et la caissière nous a tendu les fraîches possibilités de la semaine. Maintenant je suis dans mon lit et j'éprouve une petite excitation à l'idée que ma pile de livres fonde, à l'idée de commencer à faire de la philo sans enjeux pendant 3 mois, à l'idée d'un emploi du temps quotidien qui sera souvent le même mais dont je ne vais pas me lasser, il suffit de savoir ce que l'on aime faire et de ne pas trop dépenser. Apprendre à vivre avec soi-même pendant 3 mois sera le beau défi. Je vais aussi travailler, je reprends la relève du baby-sitting de ma soeur qui part pendant 3 mois à Dubaï pour un stage et j'ai dit à Emile qu'il pourrait venir habiter dans ma chambre pendant cette période. Quant à moi je n'ai aucun voyage d'organisé, j'ai refusé le Liban de cette année et consulter la brochure EF inaugurerait le début d'une série de choix et d'efforts dont je ne me sens pas encore capable. J'ai toujours eu des désirs de voyage, souvent en Russie et en Asie orientale et qui se sont accrus avec les cours de philosophie, tant pour les anecdotes de voyage du prof que pour le contenu des cours, mais j'attends de pouvoir être véritablement autonome jusque dans le financement de mes vacances pour laisser décider de la destination ma curiosité. Tant que mes parents me financeront je ne pourrais compter que sur des anti-voyages trop organisés alors je préfère rester ici. J'ai été rassurée le jour où j'ai senti en moi le début d'un goût pour le voyage alors que je m'étais toujours plu à dire par provocation à mes parents que je n'aimais pas voyager, puis j'ai fini par voir dans cette attitude le premier indice d'une fermeture d'esprit. Dans un sens la littérature fait déjà voyager très loin, j'ai l'impression de parler comme dans une pub mais c'est au final très vrai et d'une évidence qu'il est bon de rappeler. Seulement le vrai voyage se nourrit d'images et d'odeurs, de "concret", c'est quelque chose qui se passe avec le corps, de très sensuel (je pense à l'odeur du Liban, à l'atmosphère du climat qui influe sur tout le reste). Peut-être alors que, comme on aime à nous le répéter pour la philosophie, l'apprentissage ne suffit pas et il faut à son tour pratiquer. "On leur demande des réponses, il ne nous donne que des désirs" écrit Proust à propos de la lecture : un écrivain est d'abord un lecteur désirant écrire. Ainsi l'on apprend le voyage dans la littérature mais il ne nous est pas donné, et il reste à faire.


Je me suis recoupée la frange, j'ai acheté sans essayer et en moins de deux minutes deux robes bleu marine, je crois que cette manie d'acheter tout ce qui est bleu marine est maintenant devenue comme un devoir. J'ai bu un coca light en face du Champo, des hommes venus de province et très bruyants sont venues s'installer devant moi, je n'ai pas trop réussi à lire, au début je les détestais après j'ai commencé à tout leur pardonner. J'ai dit au revoir au garçon qui ne m'avait pas servi, c'était un au revoir symbolique, un au revoir au café, c'était le garçon de la dernière fois qui a un visage plutôt très beau et que je n'arrêtais pas de dévisager quand je portais mes lunettes de soleil, il a dû me reconnaître. Je suis allée à ma séance de cinéma, A tombeau ouvert de Scorsese, pour changer. La dizaine de personnes présentes rigolaient "avec la voix" sauf la fille devant moi dont le silence m'inquiétait un peu, mais j'ai pu finalement deviner par la lumière que l'écran projetait sur son visage -et c'était très joli- qu'elle souriait par la forme bombée que prenait ses joues. En sortant Marie m'attendait assise dans le petit hall alors qu'il était 23h40 et qu'on avait le temps de rien faire sinon le trajet inverse. Ca m'a fait plaisir de la voir, surtout que je trouvais ça déprimant ce trajet nocturne en milieu de semaine. On est quand même passé par un glacier pour fêter ça, Marie a demandé une glace à la violette "avec de la chantilly" mais la bouteille était vide alors il lui a fait un prix pour la consoler et quand ce fut mon tour j'ai dit "un cornet simple au nutella...sans chantilly" et il m'a aussi fait un prix.
Nous avons pris le bus de St-Michel jusqu'à St-Lazare, on ne prend plus du tout le métro, la ligne 14 pue beaucoup trop, ce n'est plus possible. Je lui ai montré mes robes en les dépliant comme je pouvais, elle m'a dit "tu achètes toujours les trucs moches avec nous et les trucs beaux toute seule", je voyais ce qu'elle voulait dire. Sur le quai du métro elle m'a ensuite dit: "tu t'es faite toute belle aujourd'hui, c'est pour qui?" j'ai rigolé car j'en avais justement pris conscience aujourd'hui que quand je sortais toute seule je me faisais toujours belle et en plus pour personne, je crois sincèrement que je me fais belle pour les gens dans la rue et aussi pour moi même, on est presque comme bluffé devant son reflet ou devant l'effet qu'on suppose faire sur les autres. Quand on se trouve beau on est toujours autre que soi-même, on est "l'ami qui a réussi" et quand on se trouve laid c'est comme si on était trop englué en soi-même, on s'encombre.
En rentrant j'ai essayé mes robes et je les ai montrées à ma mère, elle était très joyeuse devant le résultat et les a trouvées très belles, l'une est une saharienne bien étroite et bien plaquée sur le corps, la matière est un peu rigide, l'autre est beaucoup plus impressionnante, un peu brillante et plissé, j'aimerais bien qu'on m'invite à une soirée uniquement pour le plaisir de la mettre et de me montrer. Je crois que j'aime les robes depuis que j'ai entendu ce qu'en a dit Gilles Deleuze en parlant du désir. Le passage est très souvent repris sur internet, mais c'est justifié :
"quand une femme désire une robe, tel chemisier, c’est évident qu’elle ne désire pas telle robe,
telle chemisier dans l’abstrait, elle le désire dans tout un contexte de vie à elle qu’elle va organiser, elle le désire non seulement en rapport avec un paysage mais avec des gens qui sont ses amis, ou avec des gens qui ne sont pas ses amis, ou avec sa profession etc. Je ne désire jamais quelque chose de tout seul. Je ne désire pas un ensemble non plus, je désire dans un ensemble."

Elle m'a ensuite expliqué qu'au moment où elle partira dix jours à Dubaï je devrais m'occuper d'Emile et de mon père, les faire manger, ne pas laisser Emile prendre la trottinette dans la rue et lui faire manger sa compote et sa Danette comme elle le lui fait tous les soirs dans son lit, aller à pied chercher des pizzas, leur dire de nettoyer la cuisine, faire un peu de courses au Franprix. J'ai réfléchi à ce que je pouvais faire d'un peu fou en son absence, dans les films pour ados c'est toujours quand les parents partent que la vie commence, mais en fait je crois que je vais m'en tenir à des séances de cinéma à 22h, et des glaces sans chantilly. C'est le plus bel hommage que l'on puisse rendre à sa vie : ne rien changer même quand on peut.

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