jeudi 13 novembre 2008


"Les loisirs de mes promenades journalières ont souvent été remplis de contemplations charmantes dont j'ai regret d'avoir perdu le souvenir. Je fixerai par l'écriture celles qui pourront me venir encore; chaque fois que je relirai m'en rendra la jouissance. J'oublierai mes malheurs, mes persécuteurs, mes opprobres, en songeant au prix qu'avait mérité mon coeur.

Ces feuilles ne seront proprement qu'un informe journal de mes rêveries. Il y sera beaucoup question de moi parce qu'un solitaire qui réfléchit s'occupe nécessairement beaucoup de lui-même."

Jean-Jacques Rousseau - Rêveries du promeneur solitaire

Julie m'a dit en cours qu'elle avait été choquée par ma dernière note, disons plutôt par l'attitude de ma mère, je lui ai répondu "ouaiis moi aussii", mais je pense qu'on avait compris. On peut très bien rester sur cette cruelle image de ma mère mais je peux aussi vous raconter la suite et comment j'ai senti qu'elle s'en voulait et comment je sens qu'elle s'en veut encore. Le lendemain, par exemple, elle est venue dans ma chambre avec un café et des biscuits alors que selon sa loi il est interdit de boire et de manger dans la chambre, bien sûr comme je suis un peu punk je l'écoute jamais et chaque matin je finis ma tasse dans ma chambre en m'habillant et même je la laisse dans la salle de bains au milieu des brosses à dents et des fonds de teint. Je lui ai toujours reproché de prendre la maison pour un musée, ne pas s'allonger sur le canapé, ne manger que dans la cuisine, ne pas acheter de livres s'il y a pas de place dans la bibli, ne pas laisser les revues dans les toilettes, cette expression "c'est pas le musée ici", je l'ai trouvé il y a environ 3 ans depuis elle me sert toujours autant et ma mère n'a jamais réussi à me répondre, au pire elle me course pour me taper un peu.
Ce café c'était parce que je lui avais dit que j'avais pas faim et que je voulais pas de son riz et donc elle pensait vraiment que j'étais tellement contrariée que ça affectait mon appétit alors elle a trouvé un moyen de me nourrir avec des aliments qui ne demandent pas à ce qu'on ait faim : chocolat, biscuit, café. Aujourd'hui elle m'a donné 10€, c'était bien, mais à sa façon de ne pas me dire pardon je n'ose lui dire "je te pardonne", personne ne veut perdre et le conflit s'évaporera doucement, comme souvent, comme toujours.

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Ce matin et comme tout les matins le passé s'est effondré et seul subsistait l'esprit de famille dans l'appartement chaud. Les choses disparaissent le matin mais seulement le matin et le soir on peut tout à fait se permettre de revenir sur les conflits de la veille, c'est assez bizarre, j'ai observé ça. Ce matin donc je ne sais pas ce qui s'est réellement passé pour que ma mère arrive à me demander comment étaient les cheveux de mes copines et je crois que le plus spécial c'était que je lui ai répondu comme si cette question était normale et saine alors qu'il est évident qu'elle ne peut germer que dans un esprit détraqué. Ça donnait quelque chose du genre
- et tes copines elles ont les cheveux comment?
- mmh, bah, y'en a une qui les a raides, enfin non lisses tu vois, très lisses puis une autre qui les touche pas, qui les laisse comme ça, bouclé, enfin des boucles un peu molles puis y'en a une autre qui les a longs avec de belles boucles, pas frisées, vraiment des boucles comme ça...
ensuite elle m'a demandé
- et elles sont belles tes copines?
- ouais, franchement ouais
puis par manque de preuve j'ai fini par prendre Emile pour témoin

- pas vrai Emile qu'elles sont belles mes copines? souviens toi
- ouais ça va
- pourquoi, Emile il les connaît?
- ouais il les a déjà vu
après j'en suis venue à raconter à Emile que mon prof de philo était obsédé par les girafes, il m'a répondu

- c'est parce qu'elles savent tout, elles voient les volcans avant tout le monde, (imitation d'une girafe) attention, là-bas, un volcan!
j'ai ri comme c'est pas permis et ça m'a même transporté jusque dans la cuisine où j'ai refais l'imitation à ma soeur qui était devant son café au lait, les idées pas encore bien nettes, comme si elle était bourrée.
Aujourd'hui je portais une chemise vert foncé en velours côtelé, je l'ai acheté chez Muji pendant les soldes d'été et c'est sûrement pour cette raison qu'elle a fini par se faire oublier dans ma penderie, je veux dire, on achète rarement des pulls en soldes en été, on pense justement à l'été qui arrive. J'étais contente de la retrouver, c'était comme une ressource inespérée, j'ai laissé mes cheveux bouclés et presque soyeux tomber dessus, je suis même allée en cours comme ça, tout ça faisait très automne. bleu marine, vert, rouge, j'étais bien.
Et Hubert-le-nouveau était bien aussi, comme toujours je m'occupe de lui, je fais des acrobaties toute la soirée pour lui scanner des cours et ça reste quelque chose de purement professionnel même si j'ai le sentiment d'agir comme si j'étais un peu sous le charme, pourtant j'étais allée vers lui de manière purement innocente, la déléguitude dans l'âme, et là je viens de me rendre compte qu'en plus d'être assez beau gosse il a une voix à tomber et que nos premiers échanges se sont faits sans que je me rende vraiment compte de tout ça, de manière tout à fait désintéressée. Il me fait penser à Gaëtan, le garçon que j'aimais du CE2 jusqu'en 3ème et que je me sens capable d'aimer encore, même blond terne, même sourcils bruns, même petits vêtements du parfait petit chrétien biberonné aux fringues Cyrillus et tout juste émancipé, se lâchant avec des sweats à capuche et des Converse. Bien sûr il n'est pas question d'entreprendre quoi que ce soit, disons que je ne sais pas comment tout ça se passe au lycée et je trouve même plus facile de tenter une approche avec un prof qu'avec un élève de sa propre classe, je suis beaucoup plus intimidée par les garçons de mon âge que par les adultes, avec un garçon de mon âge j'ai soit l'impression d'être sa mère soit sa victime, c'est absurde et compliqué et entre la victime et la mère il y a des nuances mais globalement c'est ça. De toute façon tout à l'heure je l'ai vu tripoté son portable et l'écran était assez grand pour que je distingue la silhouette d'une fille en fond d'écran, je n'ai rien senti de particulier sinon qu'il aurait pu au moins me le dire.

J'aime la petite coterie qu'on forme avec mes copines, et celle plus large encore que je forme avec ma classe, j'aime cette vingtaine de personnes qui s'engouffre dans une classe et se réchauffe au son de la voix d'un prof, j'aime notre docilité, notre calme, ce qui fait dire à Monsieur Delmas qu'on est une classe très agréable, des choses comme ça. Comme je suis toujours tout devant et toujours à côté de Julie parfois je me retourne pour avoir un point de vue plus ou moins semblable à celui du prof et comprendre ce qui fait de nous cette classe si agréable dont on parle depuis l'année dernière, je vois mes copines à l'autre bout de la salle, leurs visages doux et à moitié enfoncés dans leurs écharpes, leurs talons, parfois leur ennui, parfois leurs visages simplement fermés et où il est impossible de distinguer si cette fille s'ennuie ou se passionne, puis ensuite Augustin qui la plupart du temps est en train de me fixer, je lui souris un peu, on s'est toujours aimé, ensuite il y a Léo, bon Léo je le déteste un peu et globalement c'est un déchet mais son côté empressé à parfois des avantages, par exemple hier il m'a filé un mini Snickers et Métro, ensuite Iba qui est très fort en histoire géo et en anglais et qui aimerait cartonner autant que son frère en philo qui a gagné un prix de philosophie, un truc dans le genre, Iba est très imbu de lui-même, d'une prétention assez surnaturelle, snob, il est dur de s'imaginer qu'au CE1 je trainais avec lui et qu'il aura fallu 8 ans pour nous retrouver, puis Alexia, Lucia, Amélie, Rafael, Rita, Hélène, Samir, Boubakar, Emmanuel, j'ai rien contre eux et je les aime, et je pourrais continuer comme l'année précédente et celle-ci pendant au moins 10 ans, sans qu'il se passe réellement quelque chose, juste des cours, des contrôles, des pauses et des vies qui se déploient le week-end, Monsieur Delmas quatre jours par semaine, Monsieur Franck 8 heures par semaine avec son Iphone et son nouveau Ibook tout fin, sa classe intersidéral, des sandwichs au Franprix, des remarques sur le temps et sur combien d'heures on a dormi cette nuit, des cinémas le mercredi après-midi, des romans qu'on étudie, des philosophes qu'on respecte, des langues qui nous sont familières, des discours de président américain lus par une fille de la classe, sa voix fluette qui articule des mots importants, des mots qui ont été décisifs, l'Union Européenne, les trentes glorieuses, bien sûr que ça suffit, ça suffira toujours et ça ne pourra jamais être mieux.

Sur le trajet du retour c'est là que j'ai le plus de temps pour penser et même si je lis ça reste assez léger pour que mon attention se fixe sur le cercle béant d'une lettre, d'un a ou d'un o, et que je me mette à réfléchir, j'imagine que si j'habitais à côté du lycée comme Julie j'aurai pas tout ce temps pour cogiter pendant une demi heure, et rien ne ressortirait de la journée, et j'écrirai déjà moins, ça c'est aussi sûr qu'une vérité mathématique. A deux reprises et en moins d'une semaine m'est venue en tête la réalité de mon prénom, MURIELLE, et ce qu'il désignait : moi. Murielle, c'est moi, c'est ce corps, c'est ce monde, ces affaires dans ce sac à dos, c'est toujours très bizarre de se rendre compte de sa vie, de se sentir dédoubler, le moi intérieur qui observe le moi social, ça donne le vertige.

Le mercredi après-midi y'a plein de petits mecs chrétiens en uniforme, chaussures bateau chemises, cravates et parka sombres qui courent vers jesaispasoù comme s'ils habitaient tous au même endroit, ils ont des trottinettes et on tolère leur fougue parce qu'ils sont mignons, bien coiffés et petit comme des hobbits, à chaque fois ils me provoquent, me frôlent avec leurs machines d'enfer et sont à deux doigts de me rentrer dans le caban, on se croirait dans un film de Truffaut, on s'amuse bien à Courbevoie.

Bonnie 'Prince' Billy - A Minor Place

8 commentaires:

Anonyme a dit…

les bonnes phrases du jour:

-tout ça faisait très automne. bleu marine, vert, rouge, j'étais bien.

-je vois mes copines à l'autre bout de la salle, leurs visages doux et à moitié enfoncés dans leurs écharpes, leurs talons, parfois leur ennui, parfois leur visage simplement fermé

puis ensuite Augustin qui la plupart du temps est en train de me fixer, je lui souris un peu, on s'est toujours aimé,

-il aura fallu 8 ans pour nous retrouver

-des remarques sur le temps et sur combien d'heures on a dormi cette nuit

-des mots qui ont été décisifs, l'Union Européenne, les trentes glorieuses, bien sûr que ça suffit, ça suffira toujours et ça ne pourra jamais être mieux.

alcie a dit…

mec t'es à côté de la plaque, les phrases géniales du jour sont :

« Je lui ai toujours reproché de prendre la maison pour un musée »

« à sa façon de ne pas me dire pardon je n'ose lui dire "je te pardonne", personne ne veut perdre »

« et tes copines elles ont les cheveux comment?
- mmh, bah, y'en a une qui les a raides, enfin non lisses tu vois, très lisses puis une autre qui les touche pas, qui les laisse comme ça, bouclé, enfin des boucles un peu molles puis y'en a une autre qui les a longs avec de belles boucles, pas frisées, vraiment des boucles comme ça... »

« c'est parce qu'elles savent tout, elles voient les volcans avant tout le monde, (imitation d'une girafe) attention, là-bas, un volcan! » (bon ça c'est de Émile, bravo p'tit gars)

« tout ça faisait très automne. bleu marine, vert, rouge, j'étais bien. »

« je viens de me rendre compte qu'en plus d'être assez beau gosse il a une voix à tomber » pour le concentré de superficialité pertinente

pour la fatalité psychologique de la chose : « Il me fait penser à Gaëtan, le garçon que j'aimais du CE2 jusqu'en 3ème »

« même blond terne, même sourcils bruns, même petits vêtements du parfait petit chrétien biberonné aux fringues Cyrillus et tout juste émancipé, se lâchant avec des sweats à capuche et des Converse »

« De toute façon tout à l'heure je l'ai vu tripoté son portable »

« bon Léo je le déteste un peu et globalement c'est un déchet mais »

« assez surnaturelle, snob » (pour le pléonasme !)

« sa classe intersidéral, des sandwichs au Franprix » (pour l'oxymore !)

« qui courent vers jesaispasoù comme s'ils habitaient tous au même endroit, ils ont des trottinettes »

Anonyme a dit…

mouais bof bof
j'avoue pour les deux premières, pour le reste je campe sur mes positions. Et puis c'est moi qui ait le monopole des classements de bonnes phrases, stou.

Anonyme a dit…

"sont à deux doigts de me rentrer dans le caban"

Le premier qui abîme ton caban bleu marine, il aura affaire à moi. Catho ou pas catho.

ET TU N'ES NI MA VICTIME, NI MA MERE, MARIONS NOUS.

Anonyme a dit…

ha au fait, j'ai une connexion internet pourrie, murielle ce serait cool si tu mettais quelque chose genre 10 articles maximum sur la page d'accueil :D

Anonyme a dit…

(Perso j'aime beaucoup qu'il n'y ait qu'une seule et longue page sur ce blog)(je dis ça, hein...)

Murielle Joudet a dit…

Antoine > Des-tranches, tu l'aimes ou tu le quittes.

Anonyme a dit…

si c'est ca je me casse, bande de pov cons