lundi 10 novembre 2008

"J'ai laissé mes sentiments sur la télévision et tout le reste devenir des sentiments personnels."

"Franny, désespérée sans doute de la naïveté de cette question, se frappa le front d'une main. C'était un geste qu'elle n'avait probablement pas fait depuis cinq ou six ans, depuis le jour où, ayant fait la moitié du trajet sur le bus qui revenait de Lexington Avenue, elle s'était aperçue qu'elle avait oublié son écharpe dans une salle de cinéma."
J.D Salinger - Franny et Zooey

Je devais aller me faire recenser et j'étais en train de dormir en plein après-midi avec I-télé et les gagnants du Goncourt et du Renaudot en bande son, je dormais parce que cette nuit je n'avais dormi que trois heures. J'avais programmé le réveil pour 16h40, presque au moment où je me lève le téléphone sonne, c'est ma mère, elle me demande si j'ai pris le livret de famille, tout ça, j'ai encore la tête dans un paquet de coton chaud, je ne contrôle pas encore tout à fait mes gestes, mes paroles, j'ai besoin de reprendre en mains les fils du pantin. Je lui dis que "je viens de me réveiller, je vais le chercher maintenant" je cherche le livret de famille en lui parlant, je lui fais, et je lui ai déjà dit ça des dizaines de fois souvent sur un ton gentil mais tout de même un peu irrité "attends je peux pas chercher avec une main, je te rappelle quand je le trouve", avec cette voix qu'acceptable très tôt le matin mais surtout pas en fin d'après-midi. Elle me "bye" (Julie trouve ça bizarre qu'on se dise "bye" avec ma mère, j'ai le sentiment d'un truc très libanais, tout le monde se dit "bye" au Liban) et je pensais qu'elle avait raccroché quand je l'entends encore au bout du fil rapporter la discussion à une lointaine collègue, le rapport semblait être attendu vue l'absence de transition entre notre discussion et la leur. Ca donnait un truc horrible où ma mère m'imitait et en rajoutait un paquet, comme toujours. J'ai toujours détesté les personnes incapables de raconter une histoire sans en rajouter des tonnes, ma soeur et ma mère sont comme ça, aussi j'ai pris l'habitude de ne jamais tout à fait leurs faire confiance et de procéder automatiquement à une "déséxagération" de leurs propos.
Elle m'imitait avec une voix horrible de babouin là où il n'y avait que douceur et faiblesse des premières minutes du réveil, j'aurai pu écouter la discussion indéfiniment, ses plaintes et cette très médiocre imitation de moi mais j'ai préféré raccrocher parce que c'était trop dégueulasse et trop effrayant, ce n'était tout bonnement pas ma mère.
J'ai toujours pensé que ma mère m'aimait bien malgré notre incompréhension et qu'elle ne pouvait se plaindre que gentiment de nous, je comprends bien qu'elle a un rôle à tenir auprès de ses collègues, un rôle qu'elle s'est forgé, peut-être celui de la mère à plaindre mais un tel décalage, une telle hypocrisie de celle qui à longueur d'années me fait culpabiliser à cause de son trop grand sens du sacrifice, c'était écoeurant. J'étais encore sous le coup de la fatigue et de la lucidité que procure toujours sur moi cette fatigue, lucidité qui s'accompagne d'un découragement général du corps et de la pensée, je savais simplement qu'il fallait que je lui en parle, soit elle s'énerverait au point de faire demi-tour et de ne pas aller à la mairie, soit elle se tairait sous le coup de la difficile situation du manque d'arguments.
J'en ai parlé à Emile qui semblait tout émoustillé par la perspective d'une bagarre et il voulait absolument que je lui en parle devant lui et non pas dans la voiture. A17h05 je l'ai rejointe dans sa petite Clio de fonction, aux couleurs de Courbevoie, déprimante comme ça se fait plus. A peine 10 mètres parcourus que je lui racontais ma mésaventure sur un ton très digne, elle n'a pas su quoi répondre, elle m'a dit "mais non mais c'était comme ça", je lui ai dit très simplement "même quand on parle de toi avec Myriam on se permet jamais ça, on fait attention", après on roulait encore et mon silence habituel devait certainement la glacer plus qu'autre chose et elle a mis du temps à me sortir son "t'es fâchée?" qu'il faut prendre là comme un "pardonne moi" que jamais de sa vie elle n'articulera. Au fond je m'en fous mais ça me fait plaisir de la voir un peu souffrir et je sais que sa méchanceté crasse en a pris un coup, aussi la prochaine fois elle réfléchira avant de m'imiter.
A chaque fois que je monte dans sa voiture c'est toujours l'occasion de redécouvrir Courbevoie que je ne vois finalement jamais et que je parcoure le plus souvent dans le seul but de m'enfoncer dans un transport et fuir vers le lycée ou un cinéma. Cette ville est finalement très triste et j'ai le sentiment qu'on y vit un peu moins fort qu'à Paris par exemple, c'est comme ça : dans une ville de Playmobil on ne peut vivre que des vies de Playmobil. Il y a bien sûr un certain lyrisme qui se dégage de tout cet ennui, on pourrait par exemple faire un recueil de poèmes rien qu'en observant longuement les guirlandes de Noël accrochées sur les façades des boucheries, les fleuristes esseulés les lundi soirs à 18 heures et l'odeur immuable des boulangeries bouleverserait n'importe quel individu doté d'un nez en bon état.
Une fois à la maison ma mère a pris ma fatigue pour de la contrariété, je lui tournais le dos dans ma couverture rose bariolée toute moche avec marianne faithfull plus ou moins à fond. Elle m'a demandé si je voulais qu'elle me fasse un thé, du fond de mon confort je lui ai répondu que "nan ça va merci", c'est ma phrase préférée avec elle, avec toujours ce côté automatique et froid dans le ton. Elle m'a demandé si j'allais dormir avec la musique comme ça, je lui ai dit "ouais".

Deerhunter - Never Stops

13 commentaires:

Anonyme a dit…

Je suis très frustré de ne pas connaître les couleurs de Courbevoie. J'espère que dans un prochain épisode...

ashorlivs a dit…

pour découvrir, je propose une expédition punitive.

Anonyme a dit…

En tout cas ça m'a permis de découvrir que StreetViews ne va pas au-delà de Neuilly.
Quelle chance vous avez, Murielle, d'habiter à la tangente du centre.

Anonyme a dit…

Enfin, à la tangente du cercle, pour clarifier la métaphore.

Anonyme a dit…

je propose une expédition punitive pour leur apprendre à ne plus faire d'expéditions punitives en notre absence.

Anonyme a dit…

J'ai vraiment du mal à comprendre ce qu'apporte de poster en anonyme. Vous pourriez essayer de vous trouver un nom, vous ne trouvez pas ? Antoine par exemple, c'est très bien Antoine.

Anonyme a dit…

..nous dit monsieur anonyme.

Anonyme a dit…

Je ne discute jamais de nonyme à anonyme, ce sont deux régimes de discours trop différents.

Enchanté, Antoine.

Anonyme a dit…

tiens, moi aussi je m'appelle antoine, quelle coïncidence!!

ashorlivs a dit…

« Antoine, vas te faire couper les cheveux »






(3000è fois ?)

Murielle Joudet a dit…

ça suffit un peu les commentaires de merde.

ashorlivs a dit…

"t'es fâchée ?"

Murielle Joudet a dit…

si j'avais été fâchée t'aurai pas pu poster de commentaires pendant 2 semaines ou alors j'aurai supprimé mon blog, un truc radical koi.