vendredi 12 mars 2010

Il y avait les effluves du thé à la menthe de Juliette qui me montaient jusqu'au visage, quant à mon Fanta il n'a pas d'odeur a plus de cinq centimètres. C'était l'après-midi et on attendait que le cours de Monsieur Franck commence près de la rue de Charonne. Le temps, les objets, les hommes étaient tout plein d'une sérénité déchirante, tout était vain mais tout était important, on sentait les actes inutiles et les fatigues, penser à la mort et à la solitude à cette heure de la journée laissait indifférent, rien n'existait en dehors de la vie et tout méritait d'être célébré. Nous étions sur la terrasse chauffée d'un café,large et rouge comme une tente de cirque et une effervescence assez rare et assez belle autour de nous, des gens qui discutent fort et qui donnent envie d'imiter; il en est du café comme de l'écriture d'un roman, on ne devrait y aller que si on a de bonnes choses à dire. Et rien ne dit que l'on sera plus entendu dans un roman que sur la terrasse d'un café.

En ce moment je me prends la tête avec des histoires sur mon rapport avec les gens de la fac, à chaque moment de ma vie une obsession qui me travaille, m'épuise, un dossier que je potasse dans le cabinet de ma conscience pour en arriver à une conclusion, une définition, quelque chose de net et de lisible et sur lequel viendra s'ajuster mon comportement à venir, mon rapport à la chose étudiée. Les gens de la fac, Juliette est la seule personne avec qui je peux vraiment en parler, d'abord parce qu'elle est là à Paris 1, qu'elle "comprend le truc", ce qui se passe là et pas ailleurs, le flux intempestif d'étudiants que leur ambition et leur look individualisent. Ce n'est pas que je me sens la responsabilité de voir des individus là où il y a souvent une meute, c'est qu'au bout d'un moment et à force d'entraînement on ne voit plus que des hommes, des individus, et ça fait mal parce que ça nous réduit à peu de chose, ça nivelle tout, il n'y a pas de centre du monde.

Et puis avec Juliette on se croise de plus en plus souvent et on "parle sur du concret" comme j'aime lui dire. Nous vivons nos vies d'étudiantes de façon parallèle, nous avons des événements communs et des opinions communes ou à partager sur le déroulement de tout cela, je crois qu'on a beaucoup de recul sur la fac parce qu'on s'est connues en train de prendre du recul sur les choses sur nos blogs respectifs, on sociologise pas mal. Donc je lui parlais de mon incapacité à parler avec les gens de mon âge, le rôle dans lequel je pense qu'ils m'enferment et qui fait qu'au final je me sens comme une merde incapable de dire ce qu'elle est capable de penser; j'aimerais que de ma tête à ma langue il n'y ait pas de perte de matière. Mais avec Juliette ça va, ça sort, et c'est parce que, je l'ai déjà dit, il y a eu les idées avant tout autre chose.

Tout à l'heure je me disais : "détrompe toi ce n'est pas une amie rencontrée à la fac, tu l'as connue sur internet et vous auriez très bien pu vous croiser vaguement, être dans la même fac mais sans vous connaître", mais doucement nos itinéraires ont convergé, j'aurais pu aller à Paris 4, elle aurait pu, etc. Notre relation trouve ses fondements sur un terrain vierge de toute connotation scolaire, nous ne nous fréquentons pas parce que nous avons un vécu en commun, des choses accidentelles et qui nous lient, on s'est surtout choisies je crois et c'est bizarre à vivre parce que c'est assez neuf, ça vient avec internet. Je lui demandais tout à l'heure si ça lui arrivait d'avoir des "discussions philosophiques" parce que je voulais voir s'il s'agissait d'une constante chez les étudiants en philo et j'accordais à ces étudiants bavards le fait qu'on avait besoin de discuter ne serait-ce que pour voir ce que valent nos idées, surtout en philo, les tester un peu parce que tant que ce n'est pas verbalisé rien n'existe vraiment et je n'arrête pas de parler de mon insatisfaction, de mon énervement concernant les discussions d'étudiants auxquelles j'ai assisté, je cherche un idéal de discussion.

Un idéal de discussion, c'est-à-dire, une suite de réactions en chaîne, un va-et-vient d'une personne à une autre, où ce que dira la personne suscitera en moi de nouvelles idées et vice versa, et les nouvelles idées sont la chose la plus importante qui puisse arriver à notre conscience, à notre rapport au monde, le triomphe de ce qu'on est sur tout l'immense reste, avoir des idées c'est ne pas se laisser envahir, c'est presque comme sentir le monde nous observer plutôt que l'inverse.
Je disais à Nassim, moi avec la philo je veux progresser sur l'échelle des idées, insensiblement. Parce qu'on ne peut avoir que ça, des idées sur les choses.
Quand je fais la liste des choses qui m'appartiennent réellement, un truc dont je peux parler, quand je me fais mon auto-entretien d'embauche je vois qu'il ne me reste que l'écriture, mes idées sur les choses, j'écris parce que quand on commence et qu'on continue et bien on ne peut simplement pas s'arrêter.

Ca me rappelle que l'autre jour ma prof d'anglais new age s'est amusée à faire des sondages, qui sait cuisiner, repasser, tricoter, faire du feu, conduire, qui fume, qui nanani nanana, levez le doigt. Ensuite elle faisait mine d'être impressionnée par notre incompétence généralisée, et si jamais il y a une panne d'électricité, qu'est-ce que vous sauriez faire, et bien rien, on discuterait, on apprendrait tout ces trucs qui pour le moment ne nous serve pas vraiment, on dépend des choses mais ça irait et puis elle nous dit ça en haut d'une tour au milieu d'une ville qui bruit, qui brille, tais toi femme, arrête de vivre à côté, de vouloir tout changer. Et elle nous a encore parlé du Zimbabwe, au Zimbabwe tout le monde se sourit alors que personne n'a rien, quelqu'un a essayé de sourire à une personne dans le métro ? Bon alors la semaine prochaine je vous interroge sur ça.

Avec Juliette on a aucun cours en commun mais on a réussi à se mettre d'accord sur l'identité de deux trois personnes sur qui on s'acharne comme des furies et ça fait du bien parce que je sais que si elle pense quelque chose de quelqu'un et que je le pense aussi alors c'est que c'est la vérité. C'est un peu mon coach objectif, on a mis ça au point, c'est-à-dire une personne qu'il faut consulter en cas d'état de crise, de doute concernant le bien-fondé de sa perception de la réalité à un moment de sa vie, très utile en cas de dépression ou d'amour sacrificiel pour un chargé de td ou un étudiant, ce qui peut arriver à chaque instant au détour d'un ascenseur, ou d'un "excuse moi t'aurais du feu ?". D'ailleurs penser à avoir l'élégance de vouvoyer les étudiants "auriez-vous du feu ?" suivi d'un baise-main si vous voulez, ce n'est pas parce que les locaux sont pourris et que l'Unef contrôle nos âmes et nos discussions, que nous mangeons des paninis en plastique et que nous sommes tous coul par essence, que nous devons nous laisser aller.

On mangeait le même sandwich devant une laverie, on attendait qu'un mec se casse pour pouvoir entrer s'asseoir parce qu'on avait froid et qu'on était trop en avance pour le cours, mais elle m'a dit "si tu oses pas j'oserai pas" et j'ai su alors que c'était mort pour le grand squat de la laverie. Finalement on a mangé devant la laverie, devant ce halo rectangulaire de lumière blanche surnaturelle censée dénoter la blancheur du linge qui en sort (?), on commentait les affiches pour les régionales et j'ai même réussi à esquisser deux ou trois idées que j'avais en moi plutôt sous forme de ressentis et jamais de ma vie verbalisés. Ne pouvant parler de politique de manière générale j'en ai fait une chose personnelle. Je lui disais que la politique c'était surtout une affaire de bonne ambiance dans la rue, de gens heureux quand ils marchent, moi par exemple je serais contente si le gouvernement s'occupait plus d'éducation et de culture, c'est ce qui m'intéresse, je me sentirais bien en général et bêtement fière de mon pays, ça me ferait simplement plaisir et si aujourd'hui dans la presse on parlait beaucoup de "climat nauséabond" ça veut bien dire que la politique c'est une question d'atmosphère.
Je fais gaffe avec Juliette, je sais qu'elle a ses idées sur les choses, qu'elle ne les dit jamais ou alors elle ne dévoile pas plus haut que les genoux de ses idées, alors on ne sait pas vraiment ce qu'elle pense au fond du fond mais je lui sens des opinions bien faites sur beaucoup de choses. Elle me disait que la politique ici ça ne sert pas vraiment, que ça servirait plutôt pour les pays en Afrique où les populations galèrent et qui eux ressentiraient directement les changements. Je lui disais que oui mais qu'en France alors, pareil, la politique s'adresse d'abord à ceux qui galèrent, qu'on veut du changement pour eux, pour les extrêmes et que si ma mère votait de droite c'était pour que le changement aille plus vite vers elle. Et quand j'ai dit ça j'étais contente, parce que je ne l'avais jamais pensé et à la fois toujours ressenti, ça venait du coeur, j'étais apaisée, je pensais enfin quelque chose de la politique, je n'en ai jamais parlé à quelqu'un, je me suis toujours interrogé sur mes opinions politiques, "est-ce que ça te choque ? pourquoi ça te choque ? pourquoi personne ne m'a jamais demandé mon avis pour que je puisse progresser un peu, pour que j'évite d'être aussi apolitique ? tu n'as pas d'opinions, tu ne penses qu'à toi, va crever", je me fais passer des tests pour tout.
Mon prof de socio disait que pour pouvoir communiquer il fallait mettre de côté toutes les possibilités d'incompréhension, de malentendu, le fait qu'on ne connaîtra jamais la personne aussi, qu'on s'adresse finalement à un gros point d'interrogation et qu'il fallait aller vers elle en faisant avec tout ça.

Foutoir, trucs plus ou moins vieux :

maman : j'attire votre attention
myriam : nan on veut pas
moi : on veut pas t'écouter
maman : Pâques c'est dans un mois
faudra aller à la messe,
je vous prépare psychologiquement
moi : nan moi je viendrai pas, hé maman je lis la Bible en ce moment, t'es contente ? tu pourras le dire à Nona (ma grand-mère)
maman : oui c'est bien mais maintenant il faut aller à la messe
moi : non

"-tu peux pas dire aux gens qui ont pas de talent qu'ils en ont pas, c'est fini, s'ils y croient ils y croient"
- ouais, y'a des gens leur jardin secret il est pourri"

"elle prend des cachets parce qu'elle fait des crises de panique quand elle pense au vide, à l'espace, à la mort."

Juliette porte souvent des couleurs imprécises, je ne savais pas quoi dire de son écharpe, ni de son manteau et j'avais déjà eu du mal avec son sac.

Quand la sobriété des travailleurs (de la Défense) vous dépriment un peu dans les transports, dites vous qu'ils sont chics et vous obtenez devant vous une pub Burberry.

- hé t'sais que Neil young c'est un débile ?
- Ahah, comment ça ?
- Bah apparemment il est trop teubé dans la vraie vie, je sais plus qui me racontait ça.
- Je pourrais contester, tout ça mais ça me plaît bien comme histoire.

T'sais le bordel c'est pas un truc temporaire, c'est l'ordre qui est un truc temporaire.

J'ai toujours peur d'un peu louper mon époque.

Myriam avant tu chantais et tu dansais tout le temps, pourquoi t'as arrêté ? Tu es comme un oiseau qui ne siffle plus.

"Le dîner est prêt", c'est peut-être la plus belle phrase du monde après "je t'aime"."

7 commentaires:

Juliette a dit…

oh mais si, ton fanta avait une odeur, une odeur subjective. cœur

Anonyme a dit…

Mumu, je lis régulièrement votre blog, je le trouve passionnant et souvent très juste.
Je viens de découvrir un blog qui dit beaucoup de mal de vous. Croyez-le, je le déplore. L'un d'eux écrit un peu comme vous période Ouais Bon, c'est à dire avec plein de fautes et une expression douteuse. J'espère que ce blog périra dans un taboulé libanais.
http://travellingmoral.com/

Respectueusement (visuel: levage de chapeau)

NC a dit…

Il y a aussi "les carottes sont cuites", mais ça peut être ambiguë.

prvd a dit…

Je préfère : la raclette est prête, je répète, la raclette est prête.

Maxime a dit…

Je n'ai pas l'habitude de laisser des messages mais un détail m'y pousse : un passage de ton texte m'a interpellé parce que je n'en ai d'abord pas saisi complètement le sens :"Le temps, les objets, les hommes étaient tout plein d'une sérénité déchirante, tout était vain mais tout était important, on sentait les actes inutiles et les fatigues" , je sentais qu'une atmosphère bien particulière y reposait, et dans le livre que je lis en ce moment un passage me l'a tout de suite rappelé : "une bizarre illumination quiétiste : le sentiment, au moins approximatif, qu'il était parfaitement indifférent, et en même temps parfaitement suffisant et délectable, de me tenir ici ou d'être ailleurs", si le rapprochement est pertinent je crois que je comprends mieux ce mélange de riens sans importance qui produisent une atmosphère entière et nécessaire de tranquillité.

Je suis dedans ?

en tous les cas j'apprécie beaucoup ton blog.

(oh et l'extrait est de Julien Gracq, dans La forme d'une ville)

Murielle Joudet a dit…

Maxime : oui c'est ça, je pense que le rapprochement est bien, on adopte au beau milieu d'un moment actif et inconscient une attitude contemplative et hyperconsciente, et on se rend compte que les choses sont en ordre, qu'on ne comprend pas tout mais qu'il y a une cohérence autour de nous et c'est celle de la tranquillité, c'est la fameuse "paix dans le monde" qu'on a alors concrètement sous les yeux, j'en ai déjà parlé un jour ici. Puis après avoir pensé la tranquillité du monde on pense sa propre place et on se sent comme participant de cette tranquillité, comme un poisson dans l'eau qui ne demande rien de plus et qui préfère même ça à une meilleure situation. En fait il s'agit juste d'aimer les hommes, les choses, les situations de la même manière que si on les avait choisis.

Sigismund Benway a dit…

Il est de mieux en mieux ton blog, bientôt ça va ressembler à un roman statique.