lundi 1 mars 2010

ces réveils d'après-midi où le rêve était tellement lourd, imposant, qu'on ne sait plus par quoi lui répondre une fois éveillé. Démuni, incapable d'agir, on met bien une après-midi avant d'émerger de cette langueur triste. J'étais complètement sonnée, dans l'incapacité de me voir autrement qu'éclatée sur mon lit, je testais la lourdeur de mes paupières, m'amusais à voir si elles étaient de cette lourdeur funeste qui nous fait ressombrer dans le sommeil ou si sous les yeux ne se trouvait plus aucune fatigue, et alors la paupière ne se ferme pas mais rebondit simplement. Je m'amuse à frôler la limite du sommeil puis à me réveiller, je fais ça plusieurs fois jusqu'à ce que je me dise qu'il ne serait pas raisonnable de se rendormir maintenant et que me lever à 15 heures me déprimerait.
Dans l'état où je suis il serait surprenant et très courageux de ma part d'adopter la position verticale pour la journée, je m'imagine en manteau moi qui suis en pyjama dépareillé, les cheveux emmêlés dans tous les sens, le sommeil passant amoureusement chaque nuit sa main dans ma chevelure pour la secouer, jouer avec. Et puis cette langueur vaporeuse sous la peau, ce courant électrique que l'on fait passer d'un membre à l'autre en s'étirant et qui ne part qu'avec la tasse de café, la douche, les vêtements. La fatigue appelle le repos, l'excès de repos rappelle la fatigue, voilà le cercle vicieux du samedi matin.
On ne peut qu'arrêter d'être fatigué en voulant l'être, en combattant la fatigue par les apparences, je suis déjà moins fatiguée une fois habillée et coiffée, mais le samedi, sauf rendez-vous, rien ne vous invite à ne pas l'être. Les motivations se perdent, le corps ne leur répond plus, il bredouille dans son bâillement un léger "pour quoi faire ?". Il ne reste plus que cette pâle bonhomie, cette légèreté présente dans tout, ce soleil de samedi qui éblouit tragiquement la chambre, vous criez dans votre tête "fermez les stores". Des familles méritent le samedi, vous vous ne méritez rien, le repos vous le prenez quand cela vous chante et n'importe quel jour, vous ne connaissez ni le travail, ni les responsabilités, ni la joie du week-end, ni la vraie fatigue qui n'a pas d'autre choix que d'être contenue parce que la journée sera encore longue. Moi j'ai toujours le choix, je suis capricieuse et fainéante et inutile. Mes journées manquent d'une structure, même avec des cours et des devoirs je n'ai jamais fait qu'errer, partout je suis en touriste.

Dans la cuisine je réchauffe des gnocchis, maman m'a fait de la salade et un steak. En m'installant ma mère écoutait sa fréquence et je n'ai même pas osé changer. C'est tout le temps la grande bataille pour qui choisit la fréquence de la radio et je sais que si elle persiste parfois à ce qu'on laisse la sienne elle ne l'écoute pas vraiment mais disons qu'elle préfère son bruit de fond au mien. Si elle ne veut pas que je change c'est juste histoire de ne pas se faire marcher sur les pieds, c'est une question de territoire aussi, la cuisine c'est vraiment son territoire.
J'ai donc attendu qu'elle mette elle-même France Inter, au bout d'un moment elle le fait volontiers, plus volontiers même que lorsque je le lui demande. C'est toujours dur d'agir conformément à une demande, d'obéir.
Je prends tout ce que France Inter m'offre, et cette émission sur les otaries je l'ai écoutée attentivement, même ma mère l'écoutait. J'ignore pourquoi mais il y a toujours des phrases ou des mots qui résonnent plus que d'autres à la radio, même si on n'écoute pas vraiment, une phrase belle ou une phrase vraie vous ne la raterez pas, elle s'énonce plus distinctement que les autres. L'attention est cette courbe molle et fluctuante et je sentais qu'elle n'avait peut-être pas écouté la phrase précédente mais elle a poussé un "oh le pauvre" lorsque le scientifique disait que l'otarie était jalouse.
Je me souviens lui avoir demandé
qu'est-ce qu'il y a ?
et elle m'a répondu en citant précisément les termes du scientifique
"elle éprouve de la jalousie", quelque chose dans le genre et j'ai souri à mon assiette. On ne sait jamais ce que ma mère éprouve, ce qu'elle pense du monde, si elle aime des choses, je n'ai jamais rien su, aucun avis sur rien et rien qu'en tapant cette phrase je sens que je la perds de vue en la regardant avec ce recul-là, elle me devient étrangère. Alors j'étais contente de la voir dire "oh la pauvre". Je me souviens d'Emile qui lui disait "tu me déprimes, tu t'intéresses à rien". On a essayé des trucs mais elle s'en fiche, l'habitude est trop ancrée, c'est comme tracer des sillages assez profondément pour ne pas pouvoir en sortir, l'habitude c'est comme des rails, ça vous prive de tout ce qui n'est pas le chemin de fer.

On se retrouve toutes seules à la maison, papa, Emile et Myriam sont au ski. La maison est d'une sérénité toute féminine et chacune vaque à ses occupations, la cohabitation est tranquille, joyeuse, le soir on fait souvent du thé et on papote sans s'en rendre compte, c'est toujours beau quand les gens vivent sans se regarder vivre, comme dans les films.
Il y a toujours une grande part d'activités possibles depuis votre lit et qui ne requiert d'ailleurs rien d'autres que cette immobilité oisive: ces lectures de magazine, de livres, ces écoutes de podcast, tout ce qui demande uniquement votre attention et que vous n'avez jamais le temps de faire en semaine. La fin d'après-midi approchait dangereusement mais je restais tranquille, dans la sagesse froide de mon pyjama.

Brian Eno - The true wheel

Qui êtes-vous Polly Maggoo ? - William Klein

2 commentaires:

Anonyme a dit…

Joli texte aussi ensommeillé que rêveur et qui ouvre l'œil et le bon !

l'auteur a dit…

Au détour d'une déhembulation hasardeuse et numérique, je plonge sur tranche, ta tranche.
Une trés belle surprise!
On peut s'y abreuver, la sobriétée de ton blog, image et texte, invite le voyageur.
merci pour ce refuge, de son hospitalité...
-fffffff
(C'est le bruit du vent qui accompagne ta lecture.)