mercredi 31 mars 2010

"De même que nous lavons notre corps, nous devrions laver notre destin, changer de vie comme nous changeons de linge - non point pour nous maintenir en vie, comme lorsque nous mangeons et dormons, mais en vertu de ce respect détaché de nous-mêmes que l'on appelle précisément propreté.
Il y a bien des gens chez qui le manque de propreté n'est pas un trait de volonté , mais comme un haussement d'épaules de l'intelligence ; et il en est beaucoup chez qui une vie égale et effacée n'est due à une décision délibérée, ni a une résignation naturelle devant une vie qu'ils n'ont pas voulue, mais à un affaiblissement de leur compréhension d'eux-mêmes, à une ironie automatique de la connaissance.
Il y a des porcs à qui répugne leur propre saleté, mais qui ne s'en écarte pas, retenus par le même sentiment, poussé à l'extrême, qui fait que l'homme épouvanté ne fuit pas le danger. Il y a des porcs du destin, comme moi, qui ne s'écartent pas de la banalité de leur vie quotidienne en raison même de l'attrait exercé par leur propre impuissance. Ce sont des oiseaux fascinés par l'absence de serpent ; des mouches qui restent collées à un tronc d'arbre sans rien voir, jusqu'au moment où elles arrivent à la portée visqueuse de la langue du caméléon."
Le livre de l'intranquillité - Fernando Pessoa

Le cinéma est ce miracle silencieux, les plans se succèdent silencieusement, il n'y a pas un bruit de diapositifs qui se succèdent, tout se passe silencieusement, c'est rarement démonstratif, le plus souvent rien n'est là pour vous souligner la beauté d'un plan puisque le réalisateur n'hésite pas à en changer, à les faire se succéder sans états d'âme alors que nous aimerions nous attarder sur le pied de cette actrice. Le film est nécessairement troué et attends le spectateur pour être complété. Le cinéma est sur deux fronts, il est du monde du "tout ce que vous voyez est volontaire", l'intrusion d'un personnage n'est jamais anodine et il faut la prendre en compte, il faut se préparer à une modification de l'intrigue à cause de lui, et à côté de ça, il y a la douceur paradoxale du "bigger than life", tout est volontaire mais tout doit apparaître comme étant le fait du hasard. On vous enferme dans une salle obscure pour mieux vous montrer ce qu'il se passe dehors (approfondir ça un jour), et cet isolement, ce dos tourné, est la condition de possibilités de cette révélation.

je m'en rends compte, il y a un moyen de toujours subordonner l'action à la pensée, à la réflexion, à un calcul de sagesse, il suffit d'en avoir conscience TOUT LE TEMPS, et alors la souffrance inhérente à l'action qui semble ne pas être la nôtre, à l'action de merde, disparaît, parce qu'on contrôle, à chaque instant. La spontanéité ne devrait pas exister, être spontané c'est dire ce qu'on pense d'un film en venant de sortir de la salle, sans réfléchir, c'est juger les gens avec le peu de ce qu'on en sait d'eux ou le peu qu'on a construit autour d'eux. Je vais essayer de m'atteler à cette nouvelle façon de faire, je pense être sur le seuil d'une grande aventure assez excitante.

Faire un demi-tour pour faire passer une fille sans ticket devant les tourniquets, sa copine de l'autre côté, 23 heures et plus grand monde qui passe dans son sens. Elle me remercie, je baisse les yeux en disant je vous en prie, je ne fais pas ça tant pour elle que pour me réconcilier avec l'Inconnu perpétuel.

J'avais cette théorie selon laquelle les premiers temps avaient été durs pour tout le monde puisqu'il s'agissait d'assimiler le mode de vie estudiantin et à partir de là construire,choisir sa réalité. On devait : se faire des amis, des ennemis intimes, avoir un avis sur les chargés de TD, revendiquer le séchage d'un amphi, se choisir des habitudes de travail, des occupations pour le week-end, changer de régime alimentaire, se faire une opinion de la fac en général, bref, tout réorganiser, et il y avait un moment où l'on pouvait sentir que tout le monde était à sa place, que tout le monde s'était octroyé un rôle et qu'on ne pouvait déloger personne de ce rôle, un peu comme une chaise musicale où il y aurait des chaises pour tout le monde. Au premier semestre j'avais décidé d'être contre le monde, à présent je m'amollis, j'ai des amis, j'aime venir à la fac, simplement attendre devant et regarder les étudiants passer entre le soleil et l'ombre, être dans l'ascenseur avec eux, on ose même me proposer de suivre le groupe après les cours, je rate des séances de ciné pour rester parler avec les gens, et quand je sors dehors "m'en griller une" je peux être presque sûre de reconnaître quelqu'un.

Je me sens incroyablement faible ces temps-ci, d'un manque crasse de volonté, je laisse tout en chantier, je ne supporte plus les trop longues heures de travail, je sens que tout ce que je fais tend à l'inachevé, au médiocre. Il m'arrive de sécher des cours pour dormir ou de tout simplement ne pas me réveiller. Je pense que lire dans mon lit de la philo suffit à me déculpabiliser. je me fixe toujours un idéal d'objectif que je n'atteint même pas à moitié.

Je ne sais pas ce qui me travaillait l'autre soir car j'ai été émue aux larmes en retombant nez à nez dans un GF Corpus sur la morale sur une citation du Discours de la méthode, passage que j'ai trouvé d'une générosité et d'une bienveillance envers le lecteur à la limite du supportable:
"Ma troisième maxime était de tâcher toujours plutôt à me vaincre que l'ordre du monde: et généralement de m'accoutumer à croire qu'il n'y a rien qui soit entièrement en notre pouvoir que nos pensées."

Fumer à côté d'une fille qui lit mon blog sans d'abord le savoir, jusqu'à que Karine me rejoigne et nous présente et qu'elle me dise "j'aime beaucoup votre blog". Puis Karine qui a cette façon assez agréable de toujours m'objectiver par ses compliments, ses remarques :
"Murielle elle écrit comme une adulte, elle fume comme une adulte et elle aime Paris quand il pleut comme une adulte."
Et chez elle c'est magique mais on ne sent jamais qu'elle fait ça à contre-coeur, c'est toujours volontiers qu'elle vous annonce comment elle vous voit, qu'elle nourrit avec beaucoup de générosité l'image que vous vous faites de vous-même.


7 commentaires:

Anonyme a dit…

Youhou Descartes, une fraîcheur ce type c'est mon best pour la vie!

Mitmar a dit…

"je rate des séances de ciné pour rester parler avec les gens"

HAN

Anonyme a dit…

Une semaine sans tranche, c'est long...

Anonyme a dit…

Ouais j'ai les crocs là

Juliette a dit…

moi aussi

Murielle Joudet a dit…

moi aussi

(bon ok promis DEMAIN)

Anonyme a dit…

Nous sommes demain, je me languis.