vendredi 22 mai 2009

Vendredi dernier nous étions invités ma classe et moi ainsi que quelques élèves de ES et de S qui remplaçaient les Grands Absents de la TL, à assister à l'enregistrement des Nouveaux Chemins de la Connaissance sur France Culture. Mon professeur de philosophie devait y dérouler pendant une heure un plan de dissertation sous les interruptions de l'ancien mec de Carla Bruni.

Je me souviens du jour où il a annoncé à la classe que six élèves pouvaient venir à l'émission, il disait que c'était inutile, qu'il n'en voyait pas l'intérêt mais que la production y tenait, et il pensait qu'on penserait pareil que lui alors qu'on était tout éblouis tout excités; les médias impressionnent toujours un peu avant qu'on arrive à comprendre de quoi il en retourne, peut-être qu'on les associe à des artistes.
Je crois que j'ai eu honte pour moi d'avoir l'envie d'y assister, je me trouvais des excuses "oui mais moi j'y vais parce que j'écoute l'émission et je veux voir ce que ça donne, comment ça se passe, je veux voir Raphaël Enthoven". Oui en fait ça n'était pas bien compliqué. Aussi c'est que l'enregistrement tombait au moment du cours de philosophie du vendredi et que je déteste rater des cours de philosophie, que ça m'aurait attristé de rester chez moi alors que je pouvais passer du temps avec pas loin de mon professeur.

C'était la deuxième fois que j'allais à la maison de la radio, la première étant il y a 4 ans. J'étais assez émue d'y retourner, parce que j'adore ce bâtiment, disons qu'il "en impose" et qu'on ne sait pas vraiment comment s'organise le lieu entre les différentes radios qui y sont établies mais qu'on sait néanmoins que des cartons d'intelligence et de personnalités s'y entassent, que des gens connus y entrent, y sortent, c'est le grand moulin et ça ne s'arrête jamais. C'est pour ça que j'aime autant la radio : elle ne cesse jamais de bouillir, à toute heure, cela a quelque chose de rassurant. Macha Béranger décédée il y a quelques semaines est l'exemple même du réconfort que peut nous prodiguer la radio. Dès 01h du matin on pouvait l'appeler pour lui parler ou sinon s'endormir au son de sa voix rocailleuse, on avait des insomnies mais on finissait par penser que nous étions dans un lit et elle dans un studio, sa marginalité répondait à la nôtre, l'apprivoisait. Peut-être même était-elle maquillée. Puis le jour où le nouveau patron de France Inter lui a supprimé son émission qu'elle tenait depuis 30 ans c'était elle qui a eu besoin du soutien de ses auditeurs, la situation s'inversait, elle devenait vulnérable; ce qu'elle n'avait jamais été.

Cette visite allait de pair avec une écoute de plus en plus intensive de la radio. J'en suis à un stade où j'ai écouté France Inter à toutes les plages horaires d'une journée; je connais l'enchaînement logique des émissions comme il m'est arrivé de comprendre à la longue comment s'enchaînait les quartiers de Paris. J'observe finalement que les apprentissages les plus durables et les plus précis se font sans nous, c'est à dire par l'habitude, sans qu'on les réclame ni qu'on s'y acharne, et sur plusieurs années; on finit par prendre le pli. Quant à France Culture je ne la connais que par les podcasts que j'écoute à l'heure que je veux, et j'estime que ses animateurs parlent encore trop bas pour accompagner mes repas; la mastication assourdissant mes oreilles.

Le fait de me rendre à la maison de la radio, d'y voir ces trentenaires beaux garçons en train de fumer comme des lycéens pendant leur pause, le fait de sentir concrètement le monde discret, élégant, sans mensonges et intelligent de la radio, de repenser à ces publicités pour France Culture plaquées sur les bus ou celle encore plus classes de France Inter où on devine derrière ces physiques lambda et peu télégéniques une personnalité portée par une voix, tout ça m'a donné sérieusement envie d'y travailler. Et puis je repense à Radio Vernis, et j'y vois là comme le signe inconscient d'un désir de travailler dans la radio. La radio ne peut subir que peu de modifications, elle ne ment pas parce qu'elle n'essaye pas de séduire, ce n'est pas de l'apparence, seulement du contenu, et c'est lui qui doit séduire.

Le café "Les Ondes" où nous nous sommes installées car nous étions en avance.

M. Franck avait réussi à "négocier un plus grand studio", ainsi nous étions 20 au lieu des 6 prévus. J'étais tout devant avec le reste de ma bande et devant nous des tables avec des bouteilles de jus d'orange que je proposais à ceux qui derrière n'y avaient pas accès. Une fille de la régie est venue nous descendre une boîte entamée de biscuits au chocolat. "Et surtout n'oubliez pas de rallumer vos portables à la fin", c'est la première chose que Raphael Enthoven nous ait dite, enchaînant sur une anecdote rigolote concernant ses années d'enseignement au lycée : une fille était sortie de la classe pour répondre à son portable, quand elle était revenue en classe il l'avait virée et à ce moment-là son portable à lui s'était mis à sonner. En parlant il ne nous regardait pas, il regardait dans le vide, je me suis demandée s'il était timide, il est pourtant -autant à la télévision qu'à la radio- affolant d'aisance.
C'était impressionnant de le voir faire ses grands gestes à la régie, ce matériel qu'il ne remarquait plus et dont la superbe devait s'être émoussé avec l'habitude, ce générique electro-hip hop qui donne toute sa modernité à l'émission et qui retentissait dans la salle, cette fois "pour de vrai". Nous observions un poisson dans l'eau de son métier, nous nous sentions de trop, voyeurs, étrangers, et pourtant invités.

Il était programmé que des caméras de France 3 viennent nous filmer pour le JT régional d'Ile-de-France. Je voyais le résultat d'ici : d'un côté Raphael Enthoven remerciant les élèves de La-Folie-Saint-James d'avoir été sages comme des images et l'auditeur qui se demande l'intérêt de leur présence; de l'autre France 3 qui nous filme à notre insu en train d'écouter notre professeur, réduit aux rôles de petits objets dociles, de lycéens hypnotisés par la réussite au baccalauréat.

J'étais en train d'empiler gobelets, de trier les propres des utilisés, de rassembler sur un point de la table gobelets et bouteilles de jus d'orange lorsque j'ai entendu le journaliste de France 3 demander "qui veut répondre aux questions?" et mes copines gueuler mon nom, "Oui Murielle, elle elle veut". Deux secondes après j'étais sous les sunlights à dire n'importe quoi à un journaliste avec pour arrière-plan mes copines hilares, apparemment M. Franck l'était aussi.

C'est ensuite que j'ai réfléchi au nombre d'élèves qui avaient voulu répondre aux questions et passer à la télé, et au fait que je les avais devancer avec force et cruauté, et que peut-être ils regrettaient d'avoir hésité une seconde de trop, que ça les tourmentait légèrement.
En y réfléchissant bien je crois que j'aurai été rongée un certain temps par le regret d'un acte manqué, qu'il n'y a rien de plus inconfortable que l'idée d'une chose même banale sur laquelle on n'a plus prise. J'expliquais au journaliste qui me demandait si nous avions les mêmes références cinématographiques que notre professeur et si nous étions capables de les réutiliser dans nos copies, que non, d'abord nous ne les avions pas et deuxièmement ce n'était pas à des films que l'on pensait pendant 4 heures devant une copie. Et que c'était un peu l'esprit d'escalier, que les références nous venait souvent après coup, une fois la copie rendue. L'intelligence de l'esprit d'à-propos, voilà ce qu'on devrait nous apprendre.
Nous avons ensuite déjeuné aux Madrilènes à Neuilly, un café que Julie fréquente beaucoup. J'ai commandé un sandwich au chorizo.

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