lundi 16 février 2009





Quand on coiffe la chevelure, une dizaine de cheveux tombent dans le lavabo. Le lavabo est blanc alors on les voit très distinctement, leur vision en est d'ailleurs presque choquante, on dirait de fines veines, des capillaires, comme on les appelle si justement. Le mot m'avait frappé, en 4ème. Les tristes cheveux prennent des poses figées de vers de terre désarticulés. Je finis de les rassembler vers le siphon avec le bout de mes doigts joints et de tirer l'eau sur eux, et ils sont aspirés et ils disparaissent. Ses cheveux étaient (à) moi, aujourd'hui ils ne sont plus (à) personne et ils coulent. Dans ce genre de moment c'est facile d'éprouver de la tristesse, une tristesse assez simplette, une tristesse au premier dégré, rose pâle et puérile, de celle que l'on éprouve à la vue d'un objet abandonné et qu'on image pourvu de sentiments.

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Elle s'habille, littéralement pour la ville. Parce qu'elle compte sortir mais qu'elle n'a rien de prévu, (quelques vagues affiches d'exposition en cours, quelques noms délavés de parc en tête) et qu'elle se rend en ville comme on se rend à une fête, sans savoir à quelle heure elle compte rentrer. Tout dépendra de comment ça se passe une fois là-bas, si les gens seront gentils et si elle sera d'humeur à faire quelque chose. Aujourd'hui elle a de l'argent alors la ville est à elle et elle est en ville. Elle a déjà marché fauchée dans la ville. Elle y repens comme à un long plan-séquence. C'est dans ces moments-là que les envies de café et de livres se sont faites les plus pressantes, on aimerait pouvoir avoir 3€ sur soi simplement pour pouvoir entrer quelque part et s'y asseoir une heure. Lui venait à la tête des raisonnements bizarres et précis : "3€ c'est tellement rien, plusieurs fois dans ma vie j'ai eu 3€ sur moi, je ne comprends pas. Tous ces gens autour de moi ont 3€ sur eux, je sens rouler les pièces, au fond de leurs poches, au fond de leurs sacs, en toile, en cuir. Ils ne pourront pas en faire un usage plus utile que celui que je voudrais en faire, tendez-les moi sans que je vous les demande ces 3€."

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Il faut dire les choses : j'aime profondément ce manteau, il m'a même semblé qu'en l'achetant je pensais ne jamais en acheter d'autres avant que celui-ci ne rende l'âme de la façon qui lui convient, seulement après celui là j'en ai encore acheté deux. Je l'ai vu et le mot qui m'est venu à été "intemporel". Aujourd'hui je me dis qu'il n'est pas forcément démodé mais que c'est moi qui vais trop vite, moi qui l'ait trop vu et qui n'arrive pas à m'habituer à l'habitude. J'approche mes lèvres près du col et j'articule ses mots, "j'aimerais qu'on fasse une pause". Les vêtements souffrent de l'habitude et de notre inconstance.
Dans ce manteau, ma silhouette ne me plaît plus, la silhouette que j'entrevois dans les différentes vitrines des différents quartiers que je parcours ne m'intéresse plus, il faut que je change, que je prenne autre chose. Quand je porte un vêtement mon corps devient ce vêtement : mon corps devient chemise, mon corps devient polo, mon corps devient bottes de cuir ou baskets de toile. Je donne à mon corps la forme de mes vêtements, je m'en rends bien compte. Si mon cou se tient sérieusement c'est à cause de la chemise, si mes pieds sont féminins c'est à cause de ces chaussures.
Le plaisir que je prends à m'habiller est exactement le même que je peux prendre à me déguiser. Nous nous composons nos propres déguisements, entre chaque déguisement les nuances sont très faibles, nous restons finalement le même dans ce vêtement comme dans l'autre, nous ne passons pas de la princesse à la sorcière. "Je suis ceci", "je suis cela", c'est autre chose qui est dit, quelque chose de moins définitif, il s'agirait plutôt de dire "je suis ce pull rouge", "je suis ce polo bleu marine". Je ne peux pas aller jusqu'à dire que mes vêtements influencent ma personnalité, mon attitude, non, mes amies me reconnaissent, mais je crois que dans le rapport que je peux avoir avec les gens qui me voient dans le métro, alors oui ça change tout, et alors dans une tenue plus adulte que d'habitude mon visage et ce que je laisse deviner de moi se fait plus dur, plus strict, plus opaque, "femme fatale" me persuadent mes bottes. Avec des baskets je souris parce qu'avec des baskets j'ai 17 ans.

Brian Eno - By this river

2 commentaires:

ashorlivs a dit…

C'est donc toi qui boucle les siphons...

Anonyme a dit…

La chambre du fils... toi même tu sais...