mardi 3 février 2009

Le corps enseignant



En cours d'histoire.géo j'ai vu une femme se poster devant sa fenêtre et sans doute regarder la classe. J'imagine que le spectacle doit toujours être très curieux, lui rappeler quelque chose ou lui faire prendre conscience de sa liberté, femme seule dans son appartement et qui regarde le trottoir et qui a envie d'écumer le trottoir et qui se dépêche de s'habiller et de descendre. Elle était trop loin pour que je puisse voir l'orientation de ses yeux, et il y avait Monsieur Delmas, qui se déplaçait, comme ça, de ma table à la table de Hubert dans son nouveau pantalon noir qui lui faisait des jambes fluides, je me suis dit "cette femme ne sait pas qui est cet homme". Elle est retournée au fond de son appartement.

Jeudi c'était la réunion parents/profs et ma mère avait rendez-vous avec M. Franck, mon prof de philo, Monsieur Delmas et ma prof d'espagnol qui elle avait demandé à la voir. Toutes mes copines accompagnaient leurs parents, disons leurs tuteurs. Je n'ai pas voulu accompagner ma mère, je crois que ça rejoint l'idée que je ne sache pas gérer deux personnes que je connais et qui ne se connaisse pas, peur de l'imprévisible et du silence, peur de ce que pourra dire ma mère, du regard du prof sur ma mère, du regard de ma mère sur le prof, je redoutais trop, montrer ma mère c'est révéler quelque chose de moi et je ne voulais pas être là quand ça arriverait, j'imaginais aussi qu'en ma présence certaines choses ne pourront être dites, bonnes ou mauvaises. Elle est revenu de la réunion vers les 21h, dans sa jupe en tweed Infinitif et ses bottes en daim, elle n'avait vu que mon prof de philo, me sortant tout un baratin sur le fait qu'il n'y avait pas de numéros sur les portes et plus aucun parent dans les couloirs. Je l'ai engueulé, "ça fait 3 ans que j'y suis, bien sûr qu'il y a des numéros sur les portes", j'ai ensuite réussi à comprendre qu'elle n'avait été que dans le premier étage, soit celui qui ne contient qu'une seule salle de classe. C'était absurde, j'ai rigolé "mais je pensais qu'il n'y avait qu'un étage", elle me dit ça. Je suis partie du salon avec une phrase définitive qui maintenant m'échappe mais où je disais entre autres "je suis au lycée, c'est important" même si je ne le pensais pas j'étais certaine que ma mère pouvait comprendre et penser que je le pensais. Que ma mère s'intéresse à mes études ça m'est égale, rien dans mes études ne dépend d'elle, ce que je ressens c'est surtout de la honte pour elle et pour mon père, il devrait se sentir honteux mais ils ne se sentent rien. En rentrant dans ma chambre j'ai eu la ferme impression de jouer seule dans tous les domaines qu'englobe ma vie, et j'ai voulu dormir, le sommeil apaise forcément n'importe quel état d'âme ou mauvaise pensée, même les plus violents.

Le lendemain je savais que j'allais devoir m'excuser auprès de Monsieur Delmas. En descendant pour la philo je l'ai vu, parlant avec un élève.
Bonjour
bonjour Murielle, alors on m'a raté hier ?
oui...enfin je vous expliquerai ça toute à l'heure.
vu la situation de crise dans laquelle notre couple se trouvait j'estimais avoir besoin de temps pour lui expliquer et pour qu'il me pardonne, je pensais devoir reporter l'entretien jusqu'au moment le plus approprié, jusqu'à ce qu'il se décide à m'inviter au Chistera pour qu'on clarifie la chose autour d'un café pour ensuite aller se promener et faire de timides et ingénieuses considérations sur la vie et notre amour. J'imagine son visage dans un café. Je n'arrêtais pas de penser à ce que j'allais lui dire, j'y réfléchissais en philo, j'y réfléchissais au Franprix où je prononçais les phrases à voix haute à Marie qui me disait "ah oui ça c'est bien", je comptais lui en parler pendant les dernières minutes de l'heure du déjeuner, quand il vient fumer après avoir mangé à la cantine, où j'imagine la nourriture glisse lentement dans son corps. Je commence à connaître les moments de la journée où j'ai la possibilité de venir lui parler : il y a les récrés et certaines intercours quand il descend fumer en vitesse. Les débuts de cours et les fins de cours, mais tout ça est très limité et aléatoire : certaines fins de cours sont monopoliser par d'autres élèves plus rapides que moi, c'est à dire tous, moi je mets du temps, vu que j'ai très peur et qu'il me faut me répéter les phrases un certain nombre de fois avant de pouvoir convenablement les prononcer. Quand je lui parle je me fixe un texte pour me rassurer, comme au karaoké, un texte que je récite avec un rythme que j'estime naturel. Je fais ça en rangeant mes cahiers et ma trousse pour me calmer mais alors je prends le risque de le voir partir avant.

La dernière fois que j'ai pu vraiment lui parler et que ça s'était bien passé pour moi, calmement, et où j'ai senti le renforcement de notre complicité, c'était un lundi où je venais lui dire que Philippe Djian était passé à la télé, au Café Littéraire. En parcourant la liste des invités que je consulte toujours avant de regarder l'émission je m'étais dit que cela ferait un très bon nouveau prétexte de lui parler et même de lui envoyer un mail. Je ne lui ai pas envoyé tout de suite après, j'ai voulu faire passer du temps, non pas par pur calcul ou pour lui montrer que le week-end je suis occupée, je ne suis pas trop du genre à tout miser sur la distance pour tenter une approche, je suis trop impatiente et trop maladroite dans mes démarches et le calcul fait perdre trop de temps. Il m'a dit "vous auriez dû m'envoyer un mail", puis je lui ai dit que je voulais le faire, que j'allais le faire ce soir. Puis je lui ai dit que Djian parlait très bien à la télé, et que j'avais acheté Maudit Manège mais qu'il était introuvable en poche et que j'avais trouvé une édition des années 80, "François Barrault?" "euh...oui, oui c'est ça". Il m'a raconté comme quoi la maison d'éditions avait fermé tout de suite après que Djian signe chez Gallimard, et que le contrat avait coûté 2 ou 3 millions d'euros. Après il a dû partir ou j'ai dû partir.
Une autre fois il avait été triste sinon préoccupé pendant tout le cours parce qu'il y avait 8 absents et qu'il mettait ça sur le compte de ces cours, il doutait de ses qualités de prof et il s'était arrêté pour nous dire "excusez moi je suis distrait mais j'arrête pas de me demander si c'est ma faute s'il y a autant d'absents". J'avais pris mon inconscience à deux mains pour aller le voir devant le lycée pendant l'intercours et pour lui dire qu'il ne devait surtout pas s'inquiéter, que ce n'était pas sa faute, qu'il y a toujours beaucoup d'absents dans notre classe. Il m'avait dit "merci Murielle c'est très gentil de venir me dire ça" puis au moment de partir il m'avait interpellé, "Murielle, ne désespérez pas pour la compile, je l'écouterai".

Le cours commençait, Monsieur Delmas nous laisse entrer et part fumer, j'ai le temps de me mettre en situation, de savourer l'heure qui s'annonce. J'ai demandé à Rafaël si je pouvais me mettre devant, je suis déjà devant mais à gauche et je voulais être au milieu collée au bureau pour inciter Delmas à se confier à moi. Il a accepté, il m'a dit "oui mais alors tu seras à côté de moi", j'ai répondu "ah non mais avec Julie", il a accepté mais il a dit que demain il reprendra sa place, je l'ai remercié à deux reprises, j'avais l'impression de l'avoir vexé. Sur le bureau était posé Le Jourde et Naulleau, j'étais à la fois contente et surprise qu'il ne l'ait pas encore fini, ça faisait un moment, ça faisait presque deux mois. Une idée que je m'étais faite de Monsieur Delmas refaisait douloureusement surface :
Le problème avec Monsieur Delmas c'est qu'il soit sans cesse occupé. Quand il n'est pas au lycée il fait cours dans une prépa ou il corrige des copies. Il se plaint souvent, enfin il me le fait remarquer souvent, quand je lui demande s'il a écouté la compilation il me dit qu'il n'a pas du tout le temps en ce moment. Une fois je lui avais demandé s'il allait bien, c'était un "vous allez bien ?" enjoué, frais et matinal, avec mon petit bonnet multicolore sur la tête et mon caban bien fermé, toute plongée dans le froid et dans la semaine. Sur le moment ça me choquait moi-même de me voir lui demander ça mais la formule pouvait se comprendre, je n'aurai rien pu sortir d'autre pour introduire une conversation. Il m'avait répondu qu'il était fatigué, qu'en ce moment c'était une période assez dure avec toutes les corrections. Je lui avais demandé "vous n'en pouvez plus ?" et il m'avait dit "là ouais ça commence" accompagnant d'un signe de la main voulant dire "ça me pèse". Je pensais.
Il a un visage blanc. Il me fait penser à Bruno Ganz dans les Ailes du désir, qui découvre la cigarette, le sang et le café. Cigarette, sang, café. Ses membres ont l'air toujours froids et fragiles, ses bras ses mains son visage. Je me demande pourquoi il ne porte pas d'écharpe, Julie aussi n'en porte jamais alors que c'est important, et même plus que ça, c'est un vrai plaisir de se bander le cou avec une écharpe, d'y coincer ses cheveux, quand on est une fille. Il est toujours un peu crispé et fume toujours d'une façon qui fait se deviner sa fatigue et un certain isolement, il fume sur le côté, d'ailleurs ça lui arrive depuis quelques temps de fumer de l'autre côté, je l'appelle le côté "Courbevoie" parce que c'est par là que je vais pour prendre le métro, ça me permet de le voir avant de rentrer chez moi. Il est tourné vers le trottoir, une main dans la poche, et quand il ne parle pas à des élèves ou plutôt quand des élèves ne viennent pas lui parler il pense à des choses mais il ne reste pas assez longtemps pour qu'une sérieuse réflexion se fixe, il ne pense pas au trottoir ou à l'origine du trottoir, c'est ce qui arriverait s'il restait là 30 minutes. Non, il pense au cours qu'il vient de faire ou à une chanson, je crois qu'il faut passer par toutes sortes de préliminaires et de bêtises avant de penser, véritablement.

Puis je lui avais demandé si le week-end il ne se reposait pas et il m'avait dit que ça lui arrivait de regarder un film avec sa compagne mais c'était tout.

j'ai remarqué que nous avons tous tendance à user d'un langage très simplificateur et visuel, Delmas plus que d'autres. On le sait, la réalité n'est pas "aller au ciné avec ma copine", c'est toujours plus compliqué mais il faut user d'un imaginaire simple pour que les images montent vite en tête, aussi quand il m'a dit "je regarde un film à la maison avec ma compagne", j'ai tout de suite imaginé un plan sur le couple, la fille allongée avec la tête sur un coussin près de la cuisse de Monsieur Delmas assis, la lumière mouvante de l'écran se projetant sur leurs visages concentrés. C'est comme quand il nous parle d'un livreur de sushis en bas de chez lui alors qu'il n'y en a pas, qu'il est beaucoup plus loin. Parfois des raccourcis s'imposent, nous n'avons pas le temps pour la rigueur de la vérité.

Je lui avais dit très sincèrement "c'est triste". C'était triste pour lui et puis pour moi parce que si nous devions être amis il n'aurait pas de temps pour moi, il semble ne pouvoir effectuer qu'un éternel aller-retour entre sa compagne et son travail, ne laissant ainsi qu'une infime chance au hasard et aux rencontres, aux rendez-vous ou même aux divagations de la pensée et du corps, à l'ennui, à ces choses importantes qui ne se réalisent que dans la solitude et l'oisiveté. De plus en plus il m'apparaît comme quelqu'un de secrètement opaque et de très sérieux.
J'avais essayé de lui parler après le déjeuner mais il était parti fumer sa cigarette avec la prof qu'il aime bien et une surveillante, je m'étais retourné pour voir si le champ était libre et au même moment lui-même me regardait. Il y a une façon de regarder une personne qui consiste à la fixer et à rassembler toutes les opinions qu'on a sur cette personne, à les envoyer sur elle, à les projeter et à les lui faire ressentir si jamais cette personne croise notre regard. C'est ce que j'ai cru ressentir quand nos regards se sont heurtés, je venais de le prendre en flag et lui aussi, nous étions tout honteux, c'était un regard de coin, un regard non maquillé de l'indifférence habituelle que nécessitent nos rapports.

Il m'a pris au dépourvu, au milieu du cours d'histoire, "je vous ai attendu jusqu'à 9h, pourquoi vous êtes pas venu?" sur un ton de reproche feint. J'étais pliée sur mon cahier, en train d'écrire sa phase précédente, j'ai du comprendre au milieu de la phrase qu'il s'adressait à moi, je me sentais devenir rouge et honteuse, c'est comme si tout à coup il venait de pointer le projecteur sur quelqu'un dans le public et que ça tombait sur moi. Je n'ai réussi qu'à lui dire "nan mais je préfère vous le dire après le cours, parce que c'est pas très intéressant" pour le reste des élèves je voulais dire. Il était parti dans ses blagues, "je vous ai attendu, j'ai dormi ici", etc. j'étais déjà ailleurs, dans mon discours préparé et ma honte.
Quand ça a sonné il nous a dit de nous dépêcher parce que "les cafards" (il appelle comme ça ses secondes) arrivaient et qu'il voulait partir fumer. Il veut mes explications ou pas, il ne me laisse le temps de rien, il ne pense qu'à lui alors que je dois me soulager d'un poids. Quand ça sonne il ne peut penser qu'à sa cigarette, d'ailleurs il n'y pense même plus, il y va, c'est tout.
Je pouvais lui adresser la parole, ça l'obligerait à rester, un peu. Le rideau s'ouvre.
je m'excuse pour hier
non mais c'est pas grave
bah si, enfin...si vous voulez, c'est assez représentatif de l'intérêt qu'elle porte pour mes études
oui mais vous travaillez pas pour elle
oui, mais je suis toute seule
bah bonne chance
bah merci
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Tout de suite après les cours il était question d'aller voir avec Cécilia Morceaux de conversation avec Jean-Luc Godard. Dans le métro elle a partagé son Twix avec moi et nous sommes allées attendre notre séance au Reflet, le début du week-end s'annonçait rose pâle et tranquille, encore à traîner vers les cinémas de St-Michel, dans des restaurants discrètement fréquentés et dans des magasins. J'ai l'impression de ne connaître plus que ça. Quand on ne doit pas aller à St-Michel pour voir une reprise on y va pour le Reflet, le Lutèce ou pour Gibert, on essaye d'aller autre part mais au final on aime bien notre manque d'imagination. Je pensais croiser Baptiste au Reflet. Nous en parlions avec Cécilia : elle pense qu'elle sait gérer les rencontres entre deux catégories d'amis, moi je dis que non, je ne sais pas faire et mon esprit se préoccupe de savoir si chacun de mes deux amis sont à l'aise ou s'amusent. Le Reflet est petit et toujours plein, quand on y entre on a toujours la crainte de ne pas pouvoir trouve de places, ni en salle ni au bar et les gens vous regardent et s'amusent à vous voir chercher une table libre. Cécilia a pris un chocolat chaud et moi un Coca light, en attendant de pouvoir commander nous avons décalé les bouteilles vides de Perrier sur la table d'à côté, le serveur aux yeux clairs nous a dit sur un ton las mais qui rigolait de pas faire ça parce que ça lui faisait nettoyer une table en plus "ça à l'air de rien comme ça". Je me sentais honteuse, Cécilia était passée à autre chose depuis le moment où il avait ouvert la bouche. A un moment j'ai pris un gros glaçon tout rond dans ma bouche et j'ai articulé "y'a un problème ?", elle a rigolé, elle m'a dit de garder cette scène pour le court-métrage que j'aie à faire pour mon option Cinéma.
La salle de cinéma était remplie surtout en son milieu, il était 17h45. Je me souviens être allée avec Cécilia voir La nuit du chasseur, tout de suite après les cours. Elle n'avait pas eu le temps de manger alors je lui avais préparé mon sandwich habituel avec une clémentine et puis nous avions ensuite passé 2h au Reflet, à discuter à discuter à discuter, encore et toujours, à raconter des faits de nos vies de manière plus précises ou sous l'influence d'une autre humeur.

Là où on pouvait imaginer Godard enfermé seul chez lui on le trouve entouré d'amis calmes, de VHS et de projets, avec ce sens de l'humour un peu spécial qui m'a semblé s'acquérir avec l'âge : un mélange de plaintes et d'insolence comme pourraient en faire les enfants. On le voit visiter un festival d'art contemporain et par la suite les commenter devant les jeunes artistes concernées. Il critique avec intelligence et dérision toute tentative trop zélée de modernité, en face de lui, les étudiants font la gueule.

Charlette, Julie et Marie nous attendait au Lutèce, on les a vues à travers la baie vitrée qui les faisait comme imprimées sur du papier glacée, protégées du froid et de la nuit, installées autour d'une table, je leur ai envoyé des coucou, nous allions manger. Je sais qu'on rigole énormément quand on va au restaurant en début de week-end, rien que la semaine dernière au Rive Droite on avait fait trop de blagues, ça ne s'arrêtait jamais et j'avais été à 4 doigts d'aller chanter au karaoké. J'avais beaucoup d'idées, des idées qui me venaient du film et des idées qui me venaient du dîner. A côté de nous il y avait un homme qui avait une vue imprenable sur notre table, on le sentait nous fixer et même nous prendre en photos, c'était irréel, puis il est parti. J'ai mangé une salade du cantal avec une crêpe au sucre et j'ai fini le pain toasté du club sandwich de Julie. Vers la fin du repas on parlait surtout de nos costumes pour le mardi gras anticipé par le lycée qui arrivait. Je pensais me déguiser en écolier, puis en tenniswoman puis en papa puis finalement en Monsieur Lambert qui est un de mes profs de littérature façon veste en tweed et cravates à motifs rigolos. Je comptais surtout m'inspirer de lui pour atteindre quelque chose de plus général, un genre de prof bien particulier. Une fois mon cas réglé il fallait penser aux copines : Marie serait en Amy Winehouse, Julie était contre le déguisement dans la vie des gens, Cécilia pensait à se déguiser en papa et Charlette en geisha mais c'était encore très flou.

Julie se souvenait d'une chose qu'elle avait apprise il y a une semaine. On lui avait dit que l''élève préférée de Monsieur Delmas s'appelait Lou, une blonde que j'ai réussi à me figurer pour l'avoir eue en sport avec moi. Elle m'a dit que tout les mecs étaient à fond sur Lou et que Monsieur Delmas l'aimait trop, et qu'à une époque le mec qui racontait ça à Julie soupçonnait même des trucs. La crêpe au sucre arrivait et j'étais très jalouse, je me souviens avoir fixé des affiches de cinéma plaquées sur des kiosques à journaux et avoir eu des envies de fiction comme ça arrive souvent. La jalousie me faisait du bien, j'imaginais une main de femme enfoncer ses ongles dans un coeur comme on se les représente en dessin. La jalousie me faisait me sentir extrêmement vivante malgré le désespoir qui me paraissait sérieux. Je m'imaginais Monsieur Delmas homme comme les autres, attiré par Lou jeune lycéenne comme il fallait qu'elle soit dans mon lycée, belle, blonde, bronzée. Et moi au milieu qui agite les bras, avec ma fascination mal placée et déplacée.
Après le Lutèce où le serveur italien nous faisait nous sentir à la cantine avec son "les filles" et ses carafes d'eau j'avais lancé l'idée de passer voir où Monsieur Delmas habitait. J'y suis déjà allée un samedi de septembre, j'étais dans le coin, je ne sais plus très bien ce que j'étais partie faire mais je suis passée à côté et j'avais repéré les cafés alentours pour les jours où je devrais partir l'espionner. Je ne sais pas très bien ce qui se passe dans ma tête pendant ces moments-là, on peut me voir comme une fille pas nette mais il serait plus juste de me voir comme une fille désoeuvrée qui trouve ça amusant et pas si grave de repérer où habite le prof pour qui elle a un faible. J'ai toujours été un peu comme ça, inconsciente et motivée. J'avais le chiffre de l'adresse en tête mais Julie m'en disait un autre, c'est quand nous avons remarqué que son chiffre était un immeuble entièrement réservé à une boutique Sonia Rykiel que nous sommes allées au numéro auquel je pensais et qui était le bon. Je reconnaissais le café presque en face et l'immense porte cochère qui dans la nuit finissait de me rendre la personne de Monsieur Delmas définitivement lointaine et glaciale. Sur le trottoir d'en face on pouvait essayer d'apprendre quelque chose à partir de ce que montrait les fenêtres. A un étage étaient tirés de lourds rideaux sombres où se laissait deviner une lumière allumée, plus haut c'était l'angle d'un mur et des moulures, sans les rideaux ça nous paraissait déjà plus sympathique. On pouvait se dire que c'était lui, y croire suffisait, ça n'avait aucune importance.

David Byrne & Brian Eno - Life is long

10 commentaires:

Anonyme a dit…

OOOOOWWWWWWWW YYYYYEAHHHHHHHHHHHH
Ca valait la peine d'attendre 22:30

bravo murielle, très bonne tranche.

Anonyme a dit…

"le corps enseignant", mon dieu ça devient torride.

Murielle Joudet a dit…

ça s'appelle rameuter du lecteur.

Unknown a dit…

Je crois que je n'ai jamais lu de blog qui me nourrisse autant que le tiens. Je me sens tellement en adéquation avec ce que tu dis, c'est dingue
(désolée pour le côté groupie de ce commentaire)

Anonyme a dit…

Lou ... je vois tout à fait le genre. Désolé pour la vulgarité, mais quelle petasse celle là ! Il en a d'autres de chouchoutes où c'est la seule ? T'arrive en deuxième j'espère Murielle hein ?

Anonyme a dit…

J'ai trouvé ton blog par hasard, il y a une semaine, peut-être, et j'y reviens tous les jours depuis, j'ai l'impression de lire les notes d'un personnage de Christophe Honoré. C'est immersif. C'est cool.

Voilà. Je n'avais pas de contenu intéressant à fournir, juste signaler mon arrivée ici, et replonger dans l'anonymat.

Anonyme a dit…

Je me sens toujours un peu comme une intruse dans ta vie quand je lis tes tranches. J'aime bien tous ces petits détails, c'est beau ici.

Anonyme a dit…

GIRLS GIRLS SENSORS OVERCHARGING REBOOT NOW



salut moi c'est marmite, ça boome ?

Anonyme a dit…

marmite t'es vraiment timbrée.

Anonyme a dit…

Pute, toi tout le monde t'adule, moi j'ai eu le droit à un "Tu représentes tout ce que je déteste chez un homme" venant d'une lectrice.

Je te hais =(.