mercredi 25 février 2009

la torsion des fumeurs
Pendant les vacances je ne change pas souvent de vêtements, je jongle entre trois chemises et trois pulls. Je pense en avoir déjà parler : comme je ne vois pas quotidiennement les mêmes personnes je m'autorise le luxe de la simplicité et de la répétition. Je m'en rend bien compte, mes pulls vraiment chauds sont limités, j'en ai trois Benetton, tous les mêmes et de
différentes couleurs :
bleu marine, gris, vert
sapin. Tous très larges excepté le bleu marine qui a un peu rétrécit au lavage. Ce qui gêne sur ces pulls c'est le logo Benetton que personne ne reconnaît.
Mes premiers rendez-vous avec T. vers Noël, je portais ses pulls avec rien en dessous ou alors un t-shirt, mais pas de chemise et le V du col encadrant, présentant ma peau, indiquant : ici aussi il y a de la peau. Le V ne tombe pas bien loin, je trouve les décolletés trop inconfortables, s'assumant tout en ne s'assumant pas, je n'ai pas encore clarifier mes rapports avec le décolleté, je vais y réfléchir parce qu'il le faut.
Ce n'est que très récemment que j'ai eu l'idée de les porter sur des chemises, blanches, bleues, quadrillées, rayées. Quand la chemise toute seule ne suffit plus, quand le pull tout seul ne suffit plus il fallait bien commencer à penser autrement, voir plus loin. J'avais mes rendez-vous avec T. et il y avait ce box vers Montparnasse avec une vitre où je pouvais me voir de profil. Je n'hésitais pas à m'y regarder franchement de peur de jeter un regard en coin qui aurait paru beaucoup plus narcissique. Il fallait jouer de ça et assumer le fait que je voulais m'arranger, que j'existais en tant que fille qui s'arrange, que ce pull, cette coiffure, ce visage doucement maquillé (de l'eye-liner je crois) n'était pas le fruit du hasard mais des partis pris.
Je portais le gris quand il m'a prise au dépourvu par les lèvres, la première fois, je repense encore à la sensation : comme un torchon qui se tord à l'intérieur de moi. Il aimait bien mon parfum, maintenant quand je le revois en société je n'oublie pas d'en remettre juste pour le provoquer, lui faire faire un bond d'un an en arrière, chaque touche de parfum est un "souviens toi" inscrit sur mon cou.
Ces pulls c'est ma paresse vestimentaire, ma valeur sûre, quand je les porte, quand je les porte avec mes chemises je me sens loin du déguisement, je me sens moi, déguisée en moi. Quelque chose de net, de propre, de présentable, d'une élégance qui ne s'use jamais,d'un peu sérieux mais de tout de même facile : pull col V et chemise, je n'ai rien inventé mais je ne désire rien inventé. Je pioche dans les choses qui sont là. l'élégance quotidienne de la chemise, "il a mis une chemise, il s'est fait beau". Je n'envisage les hommes qu'en chemise aussi je suis contente que les profs ne trouvent à mettre que ça. La chemise est une douce discipline.
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Dans le métro pour Montparnasse une fille qui devait sûrement être en train de fêter son "enterrement de jeune fille", m'a demandé si je voulais un "petit bonbon" tout en me tendant un sac contenant un fond de bonbons : les bonbons rectangulaires au fruit peint sur l'emballage blanc et qui se mordent comme des chewing-gum et puis des bonbons ovales et aplatis, durs et dont la couleur annonce le goût. J'ai dit "non merci" en pensant que même un refus souriant était méprisant et puis au fond de moi peut-être bien que je voulais un bonbon mais par principe et peut-être en souvenir de l'époque où nous devions tous refuser les bonbons que nous proposaient les "vieux Monsieur" je lui ai dit non. Elle était entourée de ses amies et ils parlaient fort avec le sourire qui se devinait dans la parole mais on sentait bien que l'évènement les dépassait et que ce n'était pas aussi fun que dans les films. La fille m'a dit quelque chose comme "oh s'il vous plaît, aidez moi à les finir". J'ai donc pris un bonbon au cassis que je n'ai pas osé manger devant elle mais un peu plus tard, en sortant du métro.
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Dans le train pour Bécon-les-Bruyères, je viens de quitter Dimitry et je lis Qu'est-ce que la littérature ? avec un porte-mine orange translucide entre les doigts. Pendant l'arrêt du train l'homme en face de moi me demande si je suis étudiante en lettres, je lui dis non, il cherche un tuteur et il me tend les papiers qu'il a entre les mains. Nous descendons, il me dit qu'il est à Paris III en Lettres Modernes, comme Dimitry que je viens de quitter. Il me fait comprendre un peu confusément qu'il est perdu, je lis les papiers, les mots n'accrochent pas mon regard : il y a des textes comme ça, qu'on sent trop inhumains pour pouvoir les lire. Je parcours les feuilles du regard et lui fait savoir par la simple expression de mon visage, comme il me le demandait sans doute, que je n'y comprends rien. Il me conseille de taper je crois "organisation de texte" sur Google "vous tomberez sur un pavé, lisez le". Il me dit "bonne fin de soirée" mais je lui parle encore et lui demande "mais vous êtes en licence ?", oui. Il me dit que ces filles ont toutes fait lettres et que lui continue ses études alors qu'il a fait du droit en 70, "vous imaginez". Je ne me souviens pas de la raison qui le poussait à continuer ses études, pourtant je l'ai bien écouté, je crois qu'il parlait d'avoir "quelque chose en plus". Il ne parlait pas de les "refaire", mais bien de les continuer. Il me disait "travaillez plus pour gagner plus, y'a une part de mensonge là-dedans". C'était la première fois que quelqu'un réagissait à une de mes lectures et en marchant vers chez moi je sentais un noyau de joie simple et pure rouler en moi.
Un livre dans un métro suscite des réactions, pose des questions. Une personne qui lit dans un métro me paraît toujours très hostile à l'idée de métro : elle y refuse son ennui, son improductivité, le temps qu'on y gâche, qu'on y laisse, elle y refuse ses passagers et les jeux de regard qui peuvent s'installer, son regard à elle n'évoluant qu'entre deux cadres blancs. Par principe, jamais elle ne décolle de ce cadre, et ce même si elle est distraite par une conversation ou une "pensée de transports", de celle qu'on laisse se développer mais qu'on n'a aucune peine à laisser tomber au milieu d'une phrase une fois arrivé à destination. Celui qui lit dans le métro c'est celui qui malgré lui, demande "pourquoi ne lisez-vous pas ?". En un sens, le lecteur dans le métro est un homme pressé, lui qu'on voit pourtant comme le parfait exemple de "celui qui a le temps" alors qu'il n'en aura jamais assez.

Beth Gibbons & Rustin Man - Tom the Model
Il n'y a jamais rien eu de plus élégant que la voix de Beth Gibbons, ses cheveux oranges et ses vêtements noirs et à sa taille sur son corps sec, ses jambes légèrement arquées par la maigreur, l'impression qu'elle laisse de n'être entourée que d'hommes à la façon de PJ Harvey.

4 commentaires:

Anonyme a dit…

"La Torsion des fumeurs pendant les vacances."

Hmmm.

Anonyme a dit…

J'adore l'adresse improbable de l'image : .dei.uc.pt

Anonyme a dit…

Les enterrements de vie de jeune fille constituent à eux seuls une excellente raison de ne pas se marier je trouve.

Anonyme a dit…

Je suis totalement d'accord avec stereotypies.