dimanche 12 juillet 2009

"Noter que l'ennui est une forte passion,[...]"

De plus en plus bizarre ces coïncidences vestimentaires qui avaient déjà eu lieu avec Monsieur Delmas, Monsieur Franck et puis aussi F. avec qui cela s'est reproduit. Samedi à une fête, chemise à petits carreaux vichy bordeau pour moi, bleu marine pour lui, veste beige pour lui, parka beige pour moi, le même beige. Il n'y a pas seulement le fait de porter telle chemise de telle couleur le même jour qu'untel, mais il faut prendre aussi en compte que ces trois personnes pèsent à leur façon, plus que d'autres dans ma vie et que de ces trois personnes la situation est la même : me situant entre l'ignorance totale de ce qu'elles sont et l'intuition d'une connaissance profonde de ces mêmes personnes; de mon côté je n'ai jamais vécu autre chose qu'un jeu de sous-entendus, d'interprétations inssuportables, uniquement avec elles. Tout cela est beaucoup trop magique parce qu'on porte les vêtements qu'on porte selon la vague humeur du moment, c'est le moment du pur hasard, alors que l'on sait que l'on va se brosser les dents. F. explique cela très simplement : je m'habille comme un garçon.

Le travail, ça ne s'arrange pas, mais on finit bien à un moment par occuper d'une façon ou d'une autre une attitude qui rend la situation tolérable. L'habitude aplanit les fureurs et les fait se transformer en petites ruses. Quand on n'y peut rien on finit par ruser : on réduit son temps de travail en s'autorisant des écarts, des pauses honteuses, quand le chat n'est pas là la souris danse, etc. Parce qu'il est seulement impossible d'éxécuter une telle corvée de façon sérieuse, c'est à dire sincère et sans arrière-pensées.

Emile devient de plus en plus une source de préoccupations, de questionnements; surtout quand ma mère n'est pas là. J'ai à l'égard d'Emile le sentiment d'un certain nombre de devoir que je me dois d'accomplir : ne pas le laisser s'ennuyer, se morfondre dans sa paresse pré-adolescente; la pire de toute car c'est une paresse irresponsable, qui n'a pas le sentiment de la perte, du gâchis, mais qui n'a pas non plus les moyens d'être autonome, de sortir en dehors d'un périmètre bien circonscrit. Bref, il faut compter sur les copains qui sont peut-être la seule issue garantissant une diversité d'activités et de ressources pour un jeune garçon comme Emile : on s'ennuie, on veut s'en sortir ensemble et la créativité fait des ravages. Mais ses copains ne sont pas là et il est toute la journée tout seul à la maison, je l'appelle à l'heure où je déjeune de mon sandwich dans le métro, le plus souvent il a cette voix endormie et doucement boudeuse de celui qui vous reproche de l'avoir réveillé avec votre appel. Je devine son monde de couette et de torpeur, de journée déterminée par l'heure de son réveil, je finis par me désolidariser de lui et mon raccrochage annonce : "A chacun sa journée".

Mais il s'est remis à la lecture, et cette nouvelle me suffit, je lui ai seulement dit de repenser aux livres qu'il avait lus, à leurs histoires -je sais qu'il tient à ces histoires, que je touchais un point sensible en les invocant- et le souvenir a amené avec lui l'envie de se remettre à la lecture. Au moins il y a un instrument de mesure permettant de se rendre compte d'une progression, d'un doux travail accompli : "j'ai lu 80 pages" sera toujours beaucoup moins incertain que "j'ai joué à Dofus".

C'est dur de ne pas imposer aux autres les"valeurs du moment" qui nous animent. Par exemple, ma récente hostilité à l'égard de la paresse retentit sur mes rapports avec Emile que je passe mon temps à engueuler. Je ne supporte pas de le voir encore habillé et devant l'ordinateur à 23 heures, et l'excuse qui veut que moi aussi je sois passée par là n'en est pas une : je ne suis la norme de rien. Je ne peux pas attendre d'Emile qu'il comprenne l'heure venue les pertes qu'entraîne la paresse, alors je me dois d'agir tout de suite, même s'il en est à un point de sa vie et de ses expériences qui font qu'il reste un fossé d'incompréhension entre lui et moi, un peu à la manière de certains romans qu'on ne pourrait lire qu'à un certain âge, car trop tôt il ne comprendrait pas.

Puis finalement je me dis : je veux le sortir de son ennui, de sa paresse pour qu'il n'ait pas de mauvaises pensées, parce que lui-même pense à sa solitude et me dit "quand je suis seul les blagues que je fais devant la télévision elles sont que pour moi", et il a toujours aimé me demander "On discute?". Et si je regarde en moi je vois bien qu'il n'y a pas moments plus décisifs que ces moments terribles d'ennui et que c'est peut-être ça qui fera la différence plus tard; notre passé est porteur de ces heures aussi et pas seulement des évènements.

De plus en plus souvent, des prises de conscience de mon absolu bonheur d'être où je suis, ce que je suis, malgré tout. Ce sont des moments qui me viennent au restaurant, au café, au lit, dans ma cuisine le matin, dans le bus, en classe quand j'y allais encore, bref partout, j'en ai déjà parlé mais je ne pensais pas que ça allait durer si longtemps. Ce n'est pas un état permanent, c'est plus comme un bilan ponctuel qui ne tient pas compte des irrégularités, des passages à vide, ou qui au contraire en prend justement compte et les estime positifs. La question se pose de savoir : quelle est ma part de responsabilité dans tout ça? D'un côté si je suis, disons "heureuse" j'en suis la seule responsable mais de l'autre la poursuite de ce bonheur semble ne pas m'appartenir et ne tenir sur rien, de plus, chaque journée s'annonce comme potentiellement ratée et non pas réussie, cela ça ne change pas.

Samedi je sors Emile, je m'étais promise de le faire en l'absence de ma mère, il doit aller chez Gibert Joseph s'acheter un pinceau pour ses Warhammer, on prend le prétexte pour aller déjeuner à St-Michel, rue des Ecoles dans un café qu'on aime bien avec les filles. Le trajet est long et Emile me dit que ça fait longtemps qu'il n'avait pas autant marché. C'est vrai que mon père l'habitue à l'immédiateté de la voiture, se rendre d'un point à un autre en niant ce qui se passe entre les deux. Je le fais marcher jusqu'au bus et dans le bus il regarde par la vitre et se plaît à des remarques rigolotes "même si tu regardes les gens en terrasse c'est rare d'en voir un porter sa fourchette à sa bouche". Les circonstances suscitent les pensées. Il mange un croque-monsieur et moi une salade qui tardent à venir, puis finit par une crème brûlée qu'il commande toujours mais qu'il a de plus en plus de mal à finir, seul le dessus est intéréssant, la crème est excessivement bourrative. Je lui conseille de ne pas en recommander avant longtemps et de changer de desserts préférés jusqu'à nouvel ordre. Nos préférences changent sans crier gare et il faut à chaque instant se questionner : est-ce que j'aime encore la crème brûlée ou est-ce par habitude de la préférer que je la préfère?
Il s'est acheté un livre de Daniel Pennac et n'a pas trouvé son pinceau, quant à moi j'ai trouvé Out of Season de Beth Gibbons que je n'avais pas encore acheté, chez OCD ils emballent ton achat dans une enveloppe en kraft agréable à tenir.

Le piéton (celui qui est dans une situation de faiblesse) insiste pour laisser passer la voiture (celle qui a du pouvoir) et le fait comprendre par des gestes: les situations s'inversent.

Samedi, la première partie de la fête aura été consacrée aux discussions (on m'aura offert des bonbons pour mon bac), puis vers 2h du matin j'ai commencé à danser pour ne plus m'arrêter. Dans l'attente du premier métro nous sommes allés avec mes camarades dans une brasserie ouverte toute la nuit dont on aurait dit le comptoir peint par Edward Hopper: certains mangeaient des crêpes, d'autres des cafés, quant à Elise et moi nous avons demandé des chocolats viennois avec plein de chantilly. La dame derrière le comptoir avec un sourire aussi doux qu'inadéquat à la situation et quand elle a sorti le gros pot en verre de Nutella pour les crêpes des garçons j'ai compris que je n'avais plus à avoir peur de la nuit. L'idée de dire "merci maman" m'aura traversé l'esprit.

4 commentaires:

Anonyme a dit…

j'ai lu en entier !

EN EN-TIER

Murielle Joudet a dit…

Ma parole t'es un WARRIOR

Pierre a dit…

Ces notes d'été sont excellentes! Le petit frère va bientôt pouvoir ouvrir son propre blog! (si ce n'est pas déjà fait)

paro a dit…

j'ai lu en travers, on parle pas de moi, je suis déçu

J'ai décidé de devenir une star, mon nouvel ami c'est JH