mardi 28 juillet 2009

Hier Viviane m'a offert le café, j'ai pénétré la spirale de son quotidien, c'est à dire ces cafés qu'elle va chercher au café d'à côté et qu'elle boit en regardant la vue de merde. Il y avait un Speculos, une cuillère et un stick de sucre, çela ornait la simple tasse d'une allure de fête et donnait l'impression qu'il y avait beaucoup à faire. Si elle savait ô combien je travaillais mal elle m'aurait, je pense, privée de mon Speculos. Or il n'y a rien de mieux qu'un Speculos dans du café surtout quand il est pris le ventre vide, dans un cabinet faussement convivial au fin fond de Puteaux.

Un appel d'un certain Monsieur K. qui a l'air de connaître assez le couple pour se moquer d'eux: "et Charles il s'est coupé les cheveux où il fait toujours le playboy?" "Viviane faut qu'elle arrête les falafels".
hihi, mais je crois qu'elle veut perdre 1 kilo avant d'aller au Liban
Je vais chercher son dossier et en reprenant le téléphone :
pourquoi vous portez des talons comme ça?
non mais ils sont pas très haut vous savez, c'est à cause du carrelage, c'est comme le carrelage de cuisine donc ça fait du bruit, mais sinon mes talons c'est 6cm à peine.
et vous avez quel âge? et gnagnagna, il me dragouille à peine et sa voix me donne affreusement envie de voir son visage:
Viviane part demain mais je pense qu'elle viendra aujourd'hui, il faut au moins qu'elle me dise au revoir
et moi je peux venir vous dire au revoir?
Le lendemain, il est flatté que je me souvienne de son nom
je sais pas combien je dois payer pour ma voiture, je fais quoi?
appelez Charles, il doit en savoir autant qu'elle
Viviane elle me dit hier "je te rappelle, je te rappelle" et elle le fait pas, moi je pars bientôt au Liban
vous partez quand?
le 2
oh ça va vous avez le temps
normalement je viens au cabinet et je paye en espèce
bah alors venez au cabinet
ah vous avez envie de voir à quoi je ressemble
non ça va
vous avez peur
oh non vous savez
je suis petit et chauve, vous savez ces libanais qui fument beaucoup et qui attendent de perdre toute leur dents pour mettre un dentier
hihi
mais en fait vous faites quoi vous?
je viens d'avoir mon bac et l'année prochaine je fais une licence de philo
tu viens d'avoir ton bac? et tu as eu quoi, une voiture?
hihi, non de l'argent
combien?
oh, 300€
300? mais c'est des radins
oh vous savez c'est les libanais
en fait je travaille de 10h à 13h30
mais c'est quoi ce travail? il te paye avec des clous?
hihi, non mais au début je devais travailler jusqu'à 16h mais je leur ai dit que c'était pas possible, c'est trop fatigant et pas intéréssant.
oui c'est un job de merde, au fin fond d'une galerie avec Viviane et Charles devant toi toute la journée, Charles encore ça va mais Viviane faut qu'elle arrête les falafels
Oh non les deux sont bien, ils sont élégants.

Je pense à ma mère et à pourquoi elle m'irrite autant. Parce qu'elle n'est pas heureuse et qu'elle vit n'importe comment. Le matin je la vois s'éterniser dans la cuisine pour la simple raison qu'elle attend son horoscope, ça me déprime tellement que je préfère retourner dans mon lit en attendant qu'elle décampe de la cuisine. On dirait qu'elle attend quelque chose et qu'elle l'attend depuis la naissance de mon frère, elle vit comme une adolescente, dans l'attente de son indépendance, elle fait des cachotteries dans sa chambre.
Sur le trajet qui mène à mon travail (je ne prends plus le bus mais je marche) des fulgurances me viennent. Mon objectif a toujours été de vivre le moment présent sans arrière-pensées, j'y arrive parfois, disons qu'on n'arrive jamais tout à fait à faire abstraction de la conscience du moment mais l'idéal est d'être placé non plus dans une attitude d'attente mais d'enthousiasme, se figurer que l'on vit, que l'on a de la chance, etc. J'en suis à un stade du processus où moments d'attente et moment d'enthousiasme se succèdent sur de courte durée, cela fait en somme, comme des pointillés. Quant à ma mère, si l'on applique l'idée à sa vie il semblerait que l'attente soit un trait continu et long de 10 ans et qu'elle pense qu'elle rééquilibrera avec 10 ans de bonheur, mais plus tard.

Les hommes d'affaires, je crois que c'est cela qui me saisit le plus lorsque je me rends à mon travail. Je regarde leurs costumes, certains le portent très bien coupé, d'autres trop large et dans un tissu de flanelle gris, d'autres encore le portent très étroit, ça leur fait des fesses de chanteuse de R'n'b. Il y a ceux qui sont à la hauteur de l'élégance de leur costume, on les devine responsables, plus trop conscients d'en porter un, et puis les autres, les jeunes premiers qui ont chaque jour l'impression de se déguiser en golden boy en même temps que celle de duper tout le monde. Parfois dans le métro ou dans le train, je m'assois à côté de l'un d'eux qui est au téléphone, il parle et -cela se devine- éprouve un malin plaisir à user d'un jargon aussi incompréhensible qu'énervant, ceux-là je les déteste, ils me dépriment. Je passe mon temps à ne pas vouloir des caricatures, des étiquettes en mon esprit mais ils ne font que confirmer l'idée première et hâtive que je me faisais d'eux.
Les femmes c'est plus varié, plus surprenant, plus fou, jamais la même chose. Elles s'amusent à accorder leurs chaussures à leur sac et leur sac aux coutures de leur robe, d'autres accordent leur montre à leurs chaussures, j'ai vu ça. Elles s'amusent d'un rien, et sont pleines de ressources, pleine d'idées permettant cette infinie diversité des féminités, répondant ainsi à la pauvreté de la masculinité qui ne s'exprimerait alors que par un costume et une grosse montre. Elles aiment et quêtent la féminité avec la même touchante intensité des petites filles qui essayent les talons de leurs mères et commandent des boîtes de maquillages pour Noël dont elles finissent par être allergiques; c'est un précieux désir qui ne se détèriore pas. Elles comprennent que la féminité n'est jamais innée mais toujours acquise et y travaillent dur, là où l'homme peut être masculin/viril sans effort; et même, il semblerait que plus il en fait moins il l'est.
Certaines femmes sont vraiment très belles, très élégantes, d'une élégance joyeuse, on dirait qu'elles sont toutes amoureuses, de quoi vous faire oublier que vous allez au travail. Les jambes des asiatiques sont lisses et ont une carnation d'un joli jaune cire, c'est elles que je préfère parce qu'elles sont fines et qu'elles portent les robes d'une façon idéal, comme l'aurait porté un mannequin dans une vitrine, sans un pli, sans hanches pour la déformer. D'autres, malgré un look sophistiqué laisse délibérément leurs cheveux indomptés serpenter, s'exprimer un peu partout derrière elles. Elles portent de précieux et petits sacs de cuir (les Lamarthe me rende folle) où l'on devine l'intérieur bien soigné avec, j'imagine, un peu de maquillage, des chewing-gum à la menthe, un portefeuille peut-être assorti au sac et des accessoires aussi charmants qu'un vaporisateur, un déodorant miniature, des feuilles matifiantes, des barres de céréales et je ne sais quoi d'autres. Peu de place pour un livre, un magazine, une bouteille d'eau ou un gilet.

A midi les hommes déjeunent au Paris-La Défense, ils ont l'air de bien manger; rien qu'en passant je peux voir le jaune des frites, le marron luisant de la viande et le vert de la salade ponctué de rouge pour les tomates. Ils ne se privent pas de desserts et commandent de larges crèmes brûlées. Les hommes d'affaires, l'air satisfait, cessent le temps d'une seconde de parler le temps que le garçon leur dépose les ramequins. A ce moment précis, ce sont gamins irresponsables encore tout émerveillés de la constante et généreuse beauté des desserts, tout excités à l'idée de la quantité de sucre qu'ils vont assimiler; seul caprice de leur journée.

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