jeudi 15 janvier 2009

L'argent des soldes

Je ne sais pas exactement combien de temps ça fait que toutes les lumières de notre chambre se sont pétées les unes après les autres, déjà qu'on fonctionnait qu'avec celle du bureau et la veilleuse, on a jamais estimé très urgent de réparer le petit hallogène qui est au dessus de la bibliothèque et quand il ne restait plus que la veilleuse pour guider nos pas, Myriam a estimé judicieux de trébucher sur le fil et de la faire tomber. Donc ça doit faire depuis un certain temps, peut-être une semaine qu'on se déplace dans la chambre à la lueur de la télévision, des écrans d'ordi et de lampes de poche initialement prévues pour mes lectures d'insomnies. Le matin je me réveille, il fait encore noir, j'essaye alors de distinguer le pull noir H&M du pull bleu marine Benetton, je trouve ça plutôt amusant et d'un point de vue écologique on peut dire que ça le fait. Ok je trébuche, mais ça faisait longtemps que je n'avais pas trébuché.

Les semaines de bac blanc ont toujours le chic pour me faire me retrancher totalement du monde, ce n'est que très tôt dans la matinée que j'ai le droit à un bref aperçu du monde avec le journal sur France Inter, le matin ça paraît presque doux et iréel tout ces noms de villes, ces nombres de morts et ces hommes politiques. Involontairement je me surprends à remâcher l'information au cours de la journée, à y repenser comme s'il s'agissait d'une fiction. Pour accepter un tel mode de vie pendant une semaine il semblerait que quelque chose en moi se soit rangé. En matière de révisions j'arrive peu à peu à tenir les longues distances et même à les commencer assez tôt, ce qui me paraissait pourtant inconcevable il y a quelques années. Puis très vite avec l'arrivée de la philosophie dans votre vie vous vous rendez bien compte que travailler uniquement la veille n'est plus possible. Je me souviens des nuits blanches que me faisait passer mon TPE, je passais mon temps à visionner des films et à en soutirer des commentaires que je ne trouvais qu'avec des heures de réflexion et parce que j'y étais obligée. Toute la force du travail est ici, dans cette obligation à produire des résultats, on en ressort inévitablement renforcé, comme des callosités sur les doigts à force d'entraînement à la guitare.
Donc j'étais en bac blanc, je me souviens de la première heure, on sentait une certaine excitation et en même temps, à chaque fois qu'il y a une semaine entière mangée par des examens les gens restent assez détendus, pas du tout stressés, gardant en tête que quatre heures d'examen aboutiront à une après-midi libre, sinon de révisions. Par souci de bien faire les choses la nana nous a placé par ordre alphabétique, je me suis retrouvée derrière Iba qui a sorti de son sac deux bouteilles Volvic d'1,5L, deux clémentines et deux tablettes de chocolat au lait. Les deux bouteilles étaient pleines et énormes, le mec venait de transporter 3L d'eau de chez lui pour une raison qui m'échappait. Je faisais tout aussi bien avec ma petite bouteille d'Evian que je prends soin de ramener vide de chez moi pour ne pas m'alourdir et que je remplis une fois au lycée. Je crois que personne ne lui avait dit qu'on a le droit d'aller aux toilettes au bout d'une heure. Ca paraissait tellement insensé, je crois que ce mec est très con. Très con ou malade. La nourriture qu'il avait ramené participait de mon énervement. J'ai déjà vu Iba tenir quatre heures sans manger, ça arrive à tout le monde, le lycée reste le moment des privations sinon de l'ascèse pour chaque lycéen et j'imagine qu'il faut jouer le jeu. Parce que je n'en ressens pas le besoin et je trouve ça assez méprisable et irrespecteux je ne ramène jamais de nourriture lors des examens. J'estime, non plutôt disons que d'un comportement est né l'opinion qu'il ne faut manger que dans des endroits fait pour cela, avec des gens qui mangent autour. au pire je prends le paquet de chewing-gum qui traîne au fond de ma poche, les Airways que ma mère achète sont tellement dégueulasses qu'ils arrivent à me réveiller.
Quatre heures, annoncé comme ça il semblerait que l'on se trouve face à un couple de cruelles quadruplés à couettes prévoyant de nous passer sur le corps. Il va falloir les ménager, les révisions sont là pour ça, rendent le temps passé face à sa copie presque agréable. Dans ce contexte là la situation de l'élève se rapproche de celle de l'écrivain qui ensemble font face au syndrome de la page blanche. Les heures se passent et au bout du compte il se trouve que l'on sait à la fois gérer notre temps et le fatras de connaissances qui macèrent calmement dans notre tête. Iba mange un morceau de chocolat et se gratte le dos pendant qu'Anaïs ne soupçonne même pas que le gros Hello Kitty qu'elle a dans le dos est en train de me faire les gros yeux. Le ciel a tout perdu de ses joues roses, il ne reste plus qu'une sorte de bleu dilué dans du lait, sinistre juste parce qu'il donne à voir la vérité des bâtiments. Par l'effort que produit toutes en même temps ces mémoires lycéennes j'imagine une sorte de nuage d'énergie survolant nos crânes, et ce dans toutes les classes où se passe l'examen. Je continue d'écrire.

Mardi après l'anglais je me suis dit que j'avais envie de faire quelque chose qui pourrait me "détendre", je crois qu'on utilise ce mot pour signifier qu'on veut être consolé d'un trop-plein de travail et de choses plutôt sérieuses et très chiantes. J'ai toujours passé mon temps à faire ce que je veux avec un petit temps accordé au travail, maintenant la tendance s'inverse et le temps concédé l'est au divertissement. J'avais l'argent que mon père m'a tendu le jour même des soldes, soit 100€. J'avais des choses en tête qui jadis m'avaient affreusement plu et qui devaient être soldées, je suis allée leur dire bonjour. Les soldes sont le moment de la vie où l'on peut se payer un manteau d'homme tout en économisant 100€ sur le prix initial. Matière un peu rigide, satin bleu clair et poche à l'intérieur, je m'aimais moi dans ce manteau et j'aimais encore plus m'imaginer moi dans la rue avec ce manteau. Il ne m'en a pas fallu plus, je lui ferai visiter ma chambre, le lycée et les salles de cinéma, bref, le parcours de base de tout nouveau vêtement. Ensuite je suis allée regarder les chaussures, j'aime beaucoup les chaussures et j'aime me mêler aux femmes qui aiment les chaussures, elles redeviennent sérieuses. Les chemises, les pantalons, les manteaux et les écharpes, les hommes aussi peuvent aimer ça, mais les chaussures à talons ça reste notre grand truc. J'ai toujours dit des talons qu'ils rendaient la marche intéréssante, que c'était presque un jeu, qu'on finissait par aimer marcher. C'est un peu comme la cigarette, ça accompagne le corps, le sculpte, le rend plus gracieux, plus présent, lui donne l'importance et la légèreté qu'il réclame et mérite, c'est chorégraphique, du jeu pour les grandes personnes. Les femmes fument, se maquillent, se parfument, portent des talons et sortent dans les rues, et tout ça est très bien. J'ai trouvé une paire de chaussures Avril Gau sur laquelle je lorgne depuis des mois, très classe, bout carrées, vernies, avec une bride passant au milieu comme sur des salomés, un petit talon et une ligne dorée passant tout au long du talon et continuant sur le devant de la chaussure. Une vendeuse demanda ma pointure dans son micro relié à une oreillette, je trouve ça assez intelligent comme système, ça existe pas depuis très longtemps et c'est seulement pendant les périodes d'afluence qu'ils font ça. J'ai essayé la paire calmement dans un coin, sur une banquette, ensuite il faut se lever et marcher un peu pour se mettre en situation. Ca ne pouvait que contraster avec le reste de ma tenue pas franchement élaboré mais ça incitait à porter des tenues classes, c'était vraiment osé que de les prendre. Je n'ai pas une garde-robe très féminine et je n'ai que presque que du bleu marine, comme disait mon amie Virginie je suis ce genre de personnes à trouver que le noir et le bleu marine sont incompatibles. J'ai dit à la nana "c'est bon" et il ne restait plus qu'à faire le plus dur. En caisse devant moi une nana désirait échanger une paire de chaussures qu'elle venait d'acheter, sur le devant il leur manquait de la couleur et le cuir était globalement usé. Elle prétextait une différence de couleur entre les deux paires, la vendeuse ne la croyait pas et lui demanda de revenir demain, qu'il fallait qu'elle voit ça avec son responsable. A sa place j'appelerai le vigile et ferai sortir cette mytho du magasin pour faire place à la vraie cliente que je suis.
Je venais de dépenser presque intégralement l'argent des soldes, il me restait bien trois euros. Je marchais avec mes deux grands sacs plastique et mon sac de cours, je marchais entre les travailleurs, je pensais à mes chaussures, à ce que je comptais mettre avec, il me semblait n'accepter qu'à moitié leur beauté audacieuse, leur élégance d'un autre temps qui me donnerait envie de regarder mes pieds à chaque seconde pour essayer de comprendre. Je n'avais pas su faire autrement que de les prendre, comme une hirondelle qui vole tout ce qui brille. Au moment de choisir si oui ou non il me les fallait j'imaginais la situation la plus inconcevable : moi avec les chaussures ou moi sans, le constat était sans appel. Je pensais au changement qui s'est opéré en moi depuis quelques années : au primaire j'avais le droit à ma paire de chaussure annuelle et je la portais tous les jours même si elle n'allait pas avec mes pantalons en velours et mes cols roulés, aujourd'hui je me rends seule dans une boutique pleine de femmes, je regarde avec attention, je demande ma pointure, je sors les billets, je rentre chez moi et l'approbation de ma mère n'a que peu d'importance, je crois d'ailleurs qu'elle est toujours un peu surprise par ce que j'arrive à trouver dans des magasins qu'elle imaginait nases.
La gare Saint-Lazare bloquée et Bécon-les-Bruyères se trouvant sur la ligne qui mène à Paris Saint-Lazare, les gens se sont rabattus sur le bus et faisaient la queue pour prendre les escalator y menant. Mère ne répondait pas au téléphone et je n'appelle jamais mon père, Emile proposait de venir me chercher en trotinette, j'ai poliment refusé en prétextant que de toute façon "je devrais marcher à côté de toi, donc ça revient au même", on rigole, on s'aime bien, il m'a dit qu'il y avait de la pizza et des frites à la maison. Je raccroche, il y a des jours où il faut accepter de se débrouiller seule. Je marchais à contre-courant des autres travailleurs, il y avait dans leur marche une détermination qu'ils prenaient à vouloir se rendre d'un point à un autre, rien de la promenade, simplement la marche comme moyen de transport. Une fois arrivée (30 minutes après) près de chez moi j'entends un bruit mécanique qui ne m'intéressait pas assez pour que je me retourne, c'est quand j'ai ouvert le portail de la résidence que j'ai vu Emile dans sa doudoune faisant de la trotinette en pleine nuit. C'était marrant, il m'a dit qu'il m'avait reconnu à mes baskets.

Animal Collective - My Girls

8 commentaires:

alcie a dit…

trop vexée par la réponse non nominative à mon dernier commentaire, je fais la trop vexée.

juste, j'ai bien aimé la façon dont tu as résumé pour la énième fois cette énième pensée de tous les jours : "Le ciel a tout perdu de ses joues roses, il ne reste plus qu'une sorte de bleu dilué dans du lait, sinistre juste parce qu'il donne à voir la vérité des bâtiments." mais on peut encore le résumer encore et encore, rassure-toi.

j'ai bien aimé le jeu de mots fume/parfume, noté dans mon bloc-notes.

j'ai adoré l'effet de style provoqué par ça : "En caisse devant moi une nana désirait échanger une paire de chaussures qu'elle venait d'acheter, sur le devant il leurs manquait de la couleur et le cuir était globalement usé. Elle prétextait une différence de couleur entre les deux paires, la vendeuse ne la croyait pas et lui demanda de revenir demain, qu'il fallait qu'elle voit ça avec son responsable. A sa place j'appelerai le vigile et ferai sortir cette mytho du magasin pour faire place à la vraie cliente que je suis." je ne sais pas si je l'ai interprété ou quoi, si j'ai bien compris ce que tu as dit, mais je m'en fous ! ce que j'ai interprété génial c'est que comme tu joues du discours indirect libre, on ne sait pas tout de suite que c'est la cliente qui pense que la couleur et le cuir sont globalement usés. donc on est d'accord avec elle qu'il faut qu'elle puisse changer ses chaussures. c'est qu'à la fin, quand tu la traites de mytho, qu'on comprend que c'était peut-être faux, et qu'à la limite, on se demande même si c'est pas toi qui es un peu mytho. j'adore les procédés qui font se méfier du narrateur.

voilà sinon je me demande à quoi ressemble ton manteau pour homme. moi j'ai toujours un peu honte, en fait, je suis tellement à la recherche de féminité parce que je m'en sens tellement loin que j'ai décidé de faire dans le basique : si c'est pour hommes, c'est pas pour femmes. moi, femme, dois prendre des vêtements pour femme. et cela dit, la dernière fois que je suis allée chez levi's et que j'ai demandé "le même jean", le type m'a appris que c'était un jean pour homme. et je l'ai réessayé et il m'allait impec, le type était stupéfait, j'étais la démonstration vivante que "femme/homme" ça voulait presque rien dire (tout est dans le presque).

Murielle Joudet a dit…

Ah Alice, si tu savais, tes commentaires sont les plus réjouissants à lire, y'a vraiment pas à dire. Je sais jamais vraiment quoi te répondre, je crois que c'est moche de rien répondre mais tu sais comment ça marche: ne pas y répondre ne veut strictement rien dire, surtout pas qu'on snobe le lecteur.

Mon manteau est un Etam acheté dans une collection unisexe sortie vers septembre, magnifique mais assez chéros. Disons que ce sont surtout des fringues de mec taillés pour les nanas mais que les hommes peuvent venir acheter, enfin ça c'est vraiment un détail parce que voir un homme entrer chez Etam...Bref.
Pour les jeans, enfin voilà, les jambes c'est des jambes et le jean c'est le comble de l'unisexe, donc ne t'inquiètes pas trop, enfin je pense que tu as dû trouver ça plutôt coul. Maintenant essaye de t'acheter une fringue au rayon homme de n'importe quel magasin : pour avoir déjà essayé c'est vraiment impossible : les fringues sont informes, les cols t'étranglent. On est globalement mieux foutu qu'eux, les hommes niveau physique cela reste quand même d'énormes blocs de glace carrés.

Anonyme a dit…

Perso je ferai plus court mais j'ai vraiment bien aimé la petite analyse sur les chaussures à talons et la cigarette. Simple mais tellement vraie.

Anonyme a dit…

Emile devient un personnage à part entière, et bien intéressant!(l'air de pas y toucher!)
Bravo pour le style, c'est de mieux en mieux
"l'architecte"

Anonyme a dit…

"C'est un peu comme la cigarette, ça accompagne le corps, le sculpte, le rend plus gracieux, plus présent, lui donne l'importance et la légèreté qu'il réclame et mérite, c'est chorégraphique, du jeu pour les grandes personnes. Les femmes fument, se maquillent, se parfument, portent des talons et sortent dans les rues, et tout ça est très bien."



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(anonymous a sorti le grand jeu pour l'occasion)

Anonyme a dit…

haaaann merddeee ca colle pas..
bon c'était un coeur en arobases, voilà.

Murielle Joudet a dit…

y'a aussi ça :

<3




:-)

ashorlivs a dit…

(bon billet comme d'hab mais soit dit en passant MERCI d'avoir mis un titre !... <3 de ceux qui suivent par RSS)