vendredi 15 août 2014

Pitié pour les jeunes filles : correspondance MH/MJ (2)

Suite de la correspondance avec Michel Houellebecq


De moi
à MH
le 12/09/2008


Cher Michel,

Je vous demande pardon, j'imagine que vous êtes resté courtois en apparence mais qu'en réalité vous m'en voulez énormément et que vous n'auriez pas hésiter à me foutre quelques baffes
J'ignore comment vous êtes tombé sur le forum, ça n'a d'ailleurs que peu d'importance, et je me suis vite rendue compte de la faute que j'avais commise, j'ai dû écrire au modérateur pour qu'il supprime toute trace d'un sujet bien précis et qui m'avait fait copié/collé sous l'emprise de l'émotion votre réponse à mon mail.
Je crois que tout ceci demande quelques explications, peut-être que vous n'en avez pas besoin mais je pense qu'elles m'apaiseront,
Deux choses,
premièrement, j'ai n'ai aucun égard pour ma vie privée, j'en ai toujours énormément étalé sur mon compte dans la ribambelle de blogs que j'ai tenu tout au long de mon adolescence. Quand j'ai commencé à écrire vers mes 12 ans, il n'y avait pas encore ce réflexe de taper le nom d'une personne sur Google pour trouver quelque chose qui pourrait nous renseigner sur elle, tout restait assez confidentiel, et puis je n'avais que peu de lecteurs, j'ai donc évolué dans ce monde silencieux où il me suffisait d'exposer ma vie avec le plus de véracité pour plaire aux gens, n'ayant jamais que peu de réactions de mes lecteurs je continuais et continue tête baissée. C'est avec ce fonctionnement que j'ai pu me faire des amis âgés et aussi quelques petits copains. Vous comprenez alors pourquoi je n'avais aucune raison de changer de formule.
Je pense avoir le défaut d'appliquer cette méprise de mon intimité qui me caractérise à toute personne que je cite, croyant agir normalement quand il s'agit de trancher entre écrire son vrai nom ou en extraire seulement les initiales. Cela m'a valu quelques problèmes plus ou moins graves. D'ailleurs le plus souvent le problème se trouvait dans les propos que je tenais à l'égard de cette personne et qu'elle ne soupçonnait pas plutôt qu'au non respect de son intimité. J'ai toujours fait passé le désir d'écrire une belle phrase avant tout, peu importe si cela impliquait quelques petits risques, avant je pouvais m'en vanter, je passais pour une esthète obsessionnelle, maintenant je me trouve juste mesquine et je prends conscience de ce défaut.
Mais ne vous faites pas de souci, je n'ai pas une seule fois mentionné notre petite correspondance sur mon blog actuel pour les mêmes raisons qui m'ont poussée à supprimer tout ce que j'avais dit sur le forum de Technikart, et puis vous savez, j'ai lu votre interview dans GQ, quand vous parliez de l'indiscrétion que vous ne supportiez plus, ça m'a mis la puce à l'oreille et je souhaitais de tout mon coeur que vous ne tombiez pas sur le forum.

Deuxièmement, je pense ne pas vraiment mesurer l'étendue de votre célébrité, et cela pose problème justement parce que dans ma tête vous restez toujours cet auteur confidentiel que je lisais dans le métro, , alors quand je me conduis de manière si inconséquente envers vous je ne mesure pas du tout les risques, je ne prends pas en compte les imprévus, la curiosité des gens, le hasard, vos détracteurs, votre curiosité à vous, les possibilités d'indiscrétion qu'offre internet.

J'ajouterai juste qu'il n'a jamais été question dans mes intentions d'entamer quoique ce soit de sexuel avec vous, je vous respecte trop pour ça, vous parler est déjà pas mal. Non, pour être tout à fait honnête et même si ça peut paraître un peu désespéré, j'espérais devenir votre pote, une complice. Voilà ce que se permettait d'imaginer mon esprit dans ses grandes heures d'emportement.
Je ne veux pas être plus longue, votre mail m'a un peu déprimée, j'ai bien compris ce qu'il fallait que je lise entre les lignes, je vais essayer de penser à autre chose, veuillez encore une dernière fois me pardonner.
Je sais bien que tout ceci compromettra fortement l'idée d'une rencontre comme l'avenir de notre correspondance, y mettra même un terme, je l'imagine bien.

Je vous embrasse.

De MH
à moi

le 22/09/2008

Murielle,

La seule chose vraiment déprimante, en réalité, dans votre mail, c'est l'idée d'une incompatibiité entre "respect éprouvé pour quelqu'un" et "quelque chose de sexuel". Je me rends compte, à cette occasion, que ma vision de la sexualité n'est décidément pas si négative.
Je suis en effet très célèbre et très détesté, par l'immense majorité des médias. Avant, moi non plus, je ne prêtais aucune attention au respect de ma vie privée ; c'est depuis qu'elle a commencé a être sérieusement piétinée, il y a quelques années, que je me suis mis à glisser inéluctablement vers des symptômes pénibles (paranoïa, agoraphobie...)
Vous n'y pouvez évidemment rien, il faut juste en tenir compte.

On se verra quand même, mais peut-être pas tout de suite (d'autant que mon emploi du temps est en train de s'aggraver sensiblement).

Je vous embrasse,
Michel.


De moi
à MH
le 22/09/2008

Michel,

"Peut-être pas tout de suite", je comprends, je lis un peu les sites littéraires et il y a votre livre. "Ennemis Publics", à ce que j'en lis vous êtes au centre d'un important évènement littéraire même si le fait qu'il soit littéraire réduit considérablement les effets de l'évènement. J'ai énormément de choses à lire pour l'école, les livres pour la matière "Littérature", je n'en ai même pas fini un, j'en suis encore aux Liaisons Dangereuses. Je sais pas pourquoi, quand il y a des livres à lire pour l'école ça me bloque, les livres n'ont presque plus d'intérêt à mes yeux. Parallèlement à ça je relis vos livres, là j'en suis à Lanzarote, on y trouve énormément de similitudes avec la Possibilité.
"La sexualité est une puissance majeure, à tel point que toute relation qui s'y refuse a quelque chose d'incomplet. Il y a une barrière des comme, tout comme il y a une barrière des langues.", j'en suis à là, cette phrase est marquante et résume assez bien votre vision de la sexualité.
Tout ça pour vous dire que malgré toutes ces lectures j'achèterai le 8 octobre même votre livre, ça sera mon Harry Potter à moi, avec la même attente, la même appréhension. Même si je n'ai rien lu de Bernard Henry-Lévi, que tout autour de moi me pousse à le détester, la lecture d'Ennemis Publics sera une de mes priorités et je peux vous dire que tout le "buzz" qu'il y a autour a beaucoup d'effets sur moi, je suis super pressée, on dirait une débile.
Sur les sites où circule la nouvelle de votre livre il y a beaucoup de commentaires haineux, principalement à l'intention de Bernard Henri-Lévy et puis un peu plus bêtement, à l'intention de vous, certains considèrent ce livre comme la réunion de deux impostures, un coup de marketing, ce dernier point on peut difficilement le nier. Un dernier truc, ce livre vous place au centre de "toutes" les préoccupations et j'ai l'impression un peu bizarre qu'il vous éloigne de ce que vous êtes vraiment, vous n'êtes pas quelqu'un de bruyant, d'envahisseur, comme l'est la controverse qui entoure "Ennemis Publics", et comme le sont d'ailleurs toutes les controverses qui encerclent tout ce que vous faites, les gens devraient se calmer.

Je vous laisse, il est 15 heures, j'ai séché le sport pour pouvoir faire ce que je veux de mon après-midi, rattraper mon retard dans mes lectures, travailler la philo, aller au cinéma (il y a "Entre les murs" en avant-première à la Défense) et vous écrire.

Je vous embrasse bien fort, bon courage pour votre livre, je vous en parlerai.

de MH
à moi
le 24/09/2008

Murielle,
Oui, je comprends, tout, moi aussi, m'aurait poussé à détester Bernard-Henri Lévy ; et pourtant il est très sympathique.
C'est à force d'être haï (car beaucoup de gens me haïssent vraiment, vous savez, et voudraient me détruire) que j'en suis venu à penser à lui, comme interlocuteur, parce que je savais qu'il était dans le même cas.
Nous vivons dans une société étrange, quand même, où la réputation des individus est presque toujours fausse.
Je vous embrasse,
Michel.


De moi
à MH
le 4/10/2008


Cher Michel Houellebecq,
me revoici,
sachez tout d'abord que je ne viens jamais vous parler quand je n'ai qu'une chose à vous dire, mais plusieurs, sinon après cela fait trop, c'est pour cette raison que mes mails sont longs, car en fait il s'agit de toute une succession de mails collés les uns aux autres et vous ne recevez ça qu'en une seule fois, ce qui fait que ça donne l'impression que je vous écris rarement.

Bien, aujourd'hui je ne compte pas trop parler de moi mais bien de vous, de vous à Europe 1, de vous en livre, de vous dans la bouche de mon professeur d'histoire géo.

D'abord Europe 1, je suis tombée un peu par hasard sur votre interview chez Marc-Olivier Fogiel, je suis inscrite aux flus RSS du site Fluctuat.net qui parlait de votre passage à Europe1, je l'ai enregistré pour toujours l'avoir sur mon ordinateur et je l'ai regardé. D'abord j'aimerais vous dire que je ne n'éprouve aucune haine à l'encontre de Fogiel, j'aime ces présentateurs bon public et sans aucune prétention intellectuelle, qui arrive à vous faire passer une biographie de Françoise Dolto écrite par Daniela Lumbroso pour quelque chose de très spécialisé. Je dis ça sans ironie, je crois que ces talk-show me font du bien, que ce soit Laurent Ruquier, Fogiel ou comme avant Ardisson, je ne ratais aucune émission d'Ardisson, c'était vraiment idéal, ça finissait tard dans la nuit, sans sortir on arrivait à s'amuser. Vraiment parfait.
Donc Fogiel ne me dérange pas, il est le seul à pouvoir s'autoriser les questions indiscrètes, on lui pardonne tout comme on pardonnerait à un enfant et vraiment Michel, je vous le dis sans exagération, votre entretien avec lui était incroyable. Je pense que de l'avoir vu en vidéo y est pour quelque chose, je veux dire, les visages que vous prenez, vos regards dans le vide quand Fogiel vous pose une question, votre timidité (peut-être je me trompe) du tout début à l'idée d'être à l'antenne, votre sourire gêné à la fin quand vous annoncez que vous ne voulez pas rester, alors ce moment je l'ai bien regardé six fois. Il est incroyablement révélateur de quelque chose : vous jouez avec vos petits cheveux en disant "oh non...non..........je ne suis pas encore très sociable", et vous esquissez le plus beau sourire de l'année, timide, vulnérable, innocent, ça ne peut être que de l'innocence, je vous assure Michel, peut-être que vous la sentez en vous, en tout cas je vous le confirme : vous avez une part d'innocence assez importante, quelque chose de magnifique qui nous scotche tous, on sent que l'on doit vous approcher très doucement, ne pas trop vous serrez dans nos mains, vous êtes un petit oiseau.
Ce moment de gêne m'a assez bouleversé, je l'ai même montré à ma soeur parce que je sais que je ne pourrais pas lui faire lire vos livres tellement elle déteste ça, la lecture, mais je peux toujours la convaincre par d'autres moyens que votre écriture que vous êtes quelqu'un de bien et c'est un peu ça mon but, faire votre pub un peu partout autour de moi, parler de vous autant que je peux. Rien qu'aujourd'hui j'ai encore offert un exemplaire d'"Extension du domaine de la lutte" à une de mes amies de lycée pour son anniversaire, ça et un Roth puis un Cioran, des choses qu'elle n'achètera jamais elle qui aime Perec (je déteste Perec), et très souvent pendant nos déjeuners entre amies je leurs parle de vous, surtout en ce moment à cause de votre grande actualité. Une de mes autres amies filles compte relire Extension que je lui avais aussi offert pour son anniversaire, elle ne s'en souvient pas très bien, je vais lui prêter le film et lui envoyer la vidéo d'Europe1.
J'ai oublié de vous dire que ma soeur a demandé à revoir plusieurs fois la fin de votre entretien chez Fogiel, elle était stupéfaite, après c'est toujours son manque de curiosité qui me dégoûte un peu. Le fait qu'elle vous trouve incroyable et qu'elle n'ait pas envie de feuilleter vos livres à sa disposition dans ma petite bibliothèque.

Concernant ce que vous dites dans l'entretien, c'est toujours très émouvant de recevoir aussi directement de vos nouvelles, vous parlez de façon toujours aussi juste, votre parole est très posée, importante et libre, et puis il y a ce Fogiel qui semble pressé comme toujours, il regarde un peu partout comme un con mais il arrive à vous faire dire de bonnes choses et j'ai aussi découvert que j'aimais énormément votre voix, là encore l'innocence y est pour quelque chose.
Sur votre film on ne peut qu'être d'accord, un film qu'on considère comme un "nanar" n'a jamais enduré ce que la Possibilité a dû endurer, on ne s'énerve pas contre un film raté, on l'accueille avec mépris et bienveillance, on en rigole un peu et on passe au prochain James Bond, autant de virulence est injustifiée. Il faut vraiment se mettre en tête que seul compte vos lecteurs et le rapport intime qu'ils ont avec vos livres et votre oeuvre en général, c'est quelque chose de très doux et c'est cette mémoire qui restera. La critique n'a jamais survécu à rien.
Vous parlez aussi de votre santé, de la cigarette, je sais qu'on en avait un peu parlé, ça m'a rendue triste, il suffit de voir des photos de vous pour se rendre compte que vous aimez fumer, que cela vous donne énormément de charme comme sur la couverture d'Ennemis Publics (oui, très belle photo) et vous n'êtes pas une personne qui mérite qu'on la prive d'une chose qu'elle aime. Fumer et boire des cafés, c'est déjà des plaisirs assez modestes comme ça pour ne pas qu'on vous les ôte. Mais faites attention, il n'est pas question que vous mourrez, la santé reste à l'origine de la création et vous êtes encore jeune. J'ai été stupéfaite de me rendre compte que vous n'aviez que 50 ans, "il est plus jeune que mon père" voilà ce que je me dis.

Alors sinon, aujourd'hui j'ai acheté "Ennemis Publics", je commençais à 10h, il a juste fallu que je sorte plus tôt de chez moi pour aller sillonner les rayons des deux Virgin qui se trouvent à la Défense. Et vous savez quoi? Je ne vous ai pas trouvé, et c'était très irritant, surtout que j'étais pressée et que la Fnac n'était pas encore ouverte. J'ai fini par entrer dans un Relay qui vend aussi des livres, surtout des best-sellers, des trucs d'actualité, et des polars en fait, et là je vous ai trouvé et j'ai souri comme si je venais de retrouver quelque chose que j'avais perdu.
Je suis allée en cours avec le livre entre les mains, j'ai montré le livre a mes copines qui en plaisantant m'ont dit que j'étais "folle" mais quand même deux d'entre elles tiennent à ce que je leurs prête le livre, quelque chose de ma propagande houellebecquiste a donc réussi.
Une fille de ma classe qui fait un peu dame m'a demandé "hé Murielle, alors on l'a retrouvé Houellebecq? Parce qu'à un moment il avait disparu", je n'ai pas très bien compris mais je lui ai répondu "ouais enfin il était en Irlande mais là il est en France pour la promo", puis elle d'ajouter que vous et BHL essayiez trop de faire intellectuels et qu'elle vous détestait. Bien sûr elle n'avait rien lu de vous, bien sûr je lui ai répondu avec tendresse comme quoi vous étiez un très bon écrivain mais que BHL sans trop le connaître, avec ses chemises et tout ça, c'est vrai qu'il se la pétait un peu.

Voilà pour la matinée,
un peu plus tard dans la journée la tranche d'"Ennemis Publics" était visible par un coup d'oeil au-dessus de mon sac, en cours d'histoire géo je suis assise devant parce que j'éprouve des sentiments pour mon prof et que je souhaite être le plus proche de lui possible. ll était posté devant ma table, il s'appuyait même à elle et je ne sais pas comment mais il était juste au-dessus du livre. Je l'ai regardé et il m'a juste demandé "vous me le prêterez?" j'ai regardé vers mon sac pour comprendre qu'il parlait du livre, il ajouta "parce que je suis fan de Houellebecq, je le considère comme le plus grand écrivain français", et moi de répondre "oh moi aussi", puis "en échange je vous prêterai un collector, c'est un coffret avec un hors-série", "ah le truc des Inrockuptibles?", "ouais", "je l'ai déjà", "et bah alors respect, maximum respect." Bien évidemment la classe nous écoutait pendant ses 10 secondes, c'était assez jouissif.
Le sujet s'est clos soudainement mais je peux vous dire que plus rien ne sera comme avant, nous avions déjà réussi à communiquer sur notre goût pour John Fante, disons que j'en avais lu sans vraiment trop aimer mais le seul fait de les avoir lu lui a suffit à me dire "respect". Remarquez qu'il ne me dit que "respect", et qu'il reste très distant malgré nos nombreux points communs : cet amour pour la littérature américaine, et puis celui qu'on partage pour votre oeuvre et qui nous a fait acheté ce hors-série qu'il me vendait comme "collector". C'est très dur de devoir se dire que dans moins d'un an il ne sera plus question de le voir, qu'il finira en souvenir douloureux d'une époque où j'entrais en cours avec un poids au ventre. De jour en jour il arrive à se rendre de plus en plus aimable et moi de plus en plus admirative, ça me fait mal au coeur mais c'est ainsi, ma vie est constellée de ce genre de déchirement. Je sais qu'il me manquera.

Il avait déjà fait une allusion à vous lors d'un cours précédent tout au début de l'année, il cherchait ses mots pour continuer une phrase qui se terminait par "la possibilité", il disait "la possibilité...non pas d'une île mais..." après je ne m'en souviens plus mais j'ai alors eu un léger sursaut.
Bien sûr j'ignore pourquoi je vous raconte des choses aussi insignifiantes mais si je me mets à votre place je crois que j'aurai aimé être au courant des moindres détails de mon succès, apprendre qu'il s'étend là où on ne l'attend pas, dans une classe de terminale littéraire, dans des couloirs de lycée, j'aimerais que cela vous touche, le fait qu'une élève prête un de vos livres à son prof, qu'ils en parlent avec cette admiration qu'ils portent en eux, maladroitement parce que les discussions prof/élève doivent aller vite car il y a un cours à poursuivre, et qu'après le cours un autre arrive, puis ensuite il faut partir dans sa maison.

Je viens de finir Le Guépard de Lampedusa, c'était pour l'école, maintenant je dois lire Roméo et Juliette mais j'en ai rien à foutre des lectures obligatoires, j'ai énormément de travail et plus de temps pour rien, ni le cinéma, ni la musique, ni mes lectures personnelles, Hemingway et Rousseau qui m'attendent depuis beaucoup trop longtemps. Mais il a d'abord ce désir de lire encore vos lignes, cette fois des récentes datant de 2008, et puis cet autre désir de vous prêter à mon professeur avant qu'il ne vous achète, peut-être cela relancera-t-il la conversation. Le peu que j'ai lu du livre, les extraits trouvés sur le site de BibliObs présagent énormément de bonnes choses, c'était prévisible, l'épistolaire bouleverse et perfectionne quelque chose dans la manière de pensée et la façon d'écrire, j'en suis persuadée.

J'imagine que vous ne me lirez pas avant longtemps, et puis j'ai toujours la crainte que vous ne lisiez pas en entier mes mails parce que vous rebondissez rarement sur ce que je dis, mais ne vous justifiez de rien, c'est juste une crainte née de rien, je ne pense pas que vous soyez comme ça, si peu attentif à ce qu'on vous raconte.
Je vous embrasse et vous promets de ne vous écrire qu'après avoir fini Ennemis Publics,

Murielle.

De MH

à moi
le 07/10/2008


Chère Murielle,

Ca me rappelle quelque chose, j'avais recueilli un oiseau blessé mais je n'ai pas réussi à le sauver, le soir il est mort et j'étais en larmes et mon père m'a dit : "Eh ben mon pauvre garçon, si ça suffit à te mettre dans des états pareils, t'es mal parti dans la vie".

Je ne crois qu'il ne faut plus que je vous écrive pour l'instant parce que je n'ai plus le temps de vous voir avant mon départ, mais j'espère qu'on pourra se voir en mars-avril, par là.

Je vous embrasse,
Michel.

De moi
à MH

le 10/10/2008
e suis contente d'avoir réussi, avec cette image du petit oiseau, à approcher quelque chose d'assez juste, ça arrive parfois que sans vraiment connaître la personne on touche sans le vouloir à des choses précises de son vécu.

Bon Michel, je vous écris, mais c'est bien parce que j'ai l'impression que je ne peux pas faire autrement, maintenant que je sais que je peux m'adresser à vous et que je peux espérer une réponse même d'une ligne, je n'hésite plus (d'ailleurs cette petite réponse alors que je vous voyais à la télévision, c'est à dire qu'à mon sens vous étiez extrêmement occupé,  je trouve ça tellement gentil de votre part, merci beaucoup)
 Je finis.
Quand on trouve pour interlocuteur son écrivain vivant préféré il est difficile d'ensuite écrire à quelqu'un d'autre, et puis j'ai eu des correspondants dans ma jeunesse, des personnes à qui parler tous les soirs après les cours, l'immense joie d'une réponse, la tout aussi immense déception d'une absence de réponse.
Avec mon premier vrai petit copain on n'avait jamais cessé de s'écrire, on approchait les 700 mails pour 9 mois de relation, puis bon, après quand j'ai mis fin à tout ça il s'est débrouillé pour accéder à ma boîte mail et tout supprimer.

Maintenant je n'ai personne à qui vraiment parler et ça me manque, surtout en ce moment. Je me rends compte que mes copines sont gentilles mais pas très motivées à l'idée de m'écouter et je trouve ça dramatique, à chaque fois que je parle elles me renvoient l'impression que j'essaye de faire mon intéressante et je me débrouille alors pour écourter la tirade. Pourtant j'ai tout les jours des choses à dire sur ma journée et sur ma vie. Je trouve que j'ai l'oeil pour remarquer les choses importantes d'une journée, les moments de grâce quotidiens et qu'il faut en parler, c'est ça qui nous aide. Par exemple aujourd'hui j'ai vu une dame seule en face de moi dans le métro à la Défense, elle mangeait une banane et c'était très beau et ça m'a émue. J'ai besoin d'amitié, d'exister, d'être estimée, de parler longtemps et librement, de faire des choses après les cours. Je n'ai pas vraiment l'impression de vivre ma jeunesse, ni de vivre tout court, ma jeunesse je m'en fiche, je sais que ce n'est pas comme dans les pubs ou les films ou les romans, ça reste assez plan-plan, mais pas à ce point. Rentrer chez soi et travailler tout en papotant sur des forums, écrire sur son blog, projeter de regarder un film ou Taddéi, s'endormir la bouche ouverte, le vendredi soir au cinéma, le samedi dans Paris, le dimanche à la maison en pyjama, tout ça tout ça. Quelque chose d'autre est possible, il suffit de bouger deux trois choses, je le sais. J'ajouterai que la semaine se passe sans que je fasse quoi que ce soit avec ma famille, ni sortie, ni repas, ni discussion, aucun échange, nada.  BHL en parle un peu, enfin pour autre chose mais il dit : 
"Quand les parents sont là, on n'y pense pas",
 moi j'y pense au fait qu'"ils ne sont pas éternels" mais je ne fais rien, ça revient donc au même.
Pour en finir sur ma vie : je vous l'ai déjà dit, en septembre-décembre le moral ça va, mais ça se dégrade de mois en mois. Janvier, février, mars, avril, mai, juin, c'est juste intenable. Pourtant je remarque que rien dans ma vie, en dehors des saisons, ne varie vraiment entre septembre et juin, sauf qu'en septembre il y a le désir et le plaisir d'être embobinée, de vivre dans la douceur et le (ré)confort du quotidien. J'endosse le rôle de la "jeune lycéenne ambitieuse" et je mobilise mes forces à essayer de ne pas réfléchir aux sujets sensibles, et puis en cours même si je m'ennuie je suis heureuse, je balaye la classe du regard et je me sens bien vivante, je lis dans mon lit et je me sens à l'abri de pas mal de choses, mais il y a vraiment des moments où c'est "limite-limite", à la frontière du pétage de câble, et d'année en année ça devient de plus en plus sérieux, ma conscience s'aiguise, ma solitude aussi. J'ai l'impression de déjà vivre dans le souvenir de ma jeunesse.
D'ailleurs, là, ma jeunesse, ça va encore, on m'impose des camarades, sympathiques, amicaux, bienveillants, farceurs, aux corps projetés uniquement vers l'avenir, et une famille peu bavarde mais qui donne un semblant de vie au reste de l'appartement; la rumeur de la télé, la douche, les lumières allumées, le micro-ondes, l'aspirateur et les disputes, ça reste de la vie. Mais je sais qu'une fois "dans la vraie vie" je ne m'en sortirai pas, ce n'est pas possible, et j'ai extrêmement peur, l'autonomie ce n'est pas que joyeux et j'ai peur de trop souffrir.
 Ce qui m'aide un peu c'est que j'ai le pressant désir de devenir un bon écrivain mais je n'ai pas les forces qu'il faut pour commencer un roman ni quoi que ce soit qui ressemblerait à de la fiction. Vous dites une chose dans "Ennemis Publics" sur votre impossibilité à faire de votre vie la matière de vos romans (je résume parce que je ne retrouve pas le passage malgré mes soulignages et mes marques-pages multicolores) et que des gens y parviennent. Je sais que j'y parviens parce que j'écris et qu'on me dit "tu écris bien petite" mais je sais que j'aurais préféré être apte à faire du Houellebecq plutôt que du Angot, parce que ça montre qu'on ne s'intéresse pas qu'à soi et que ça touche à quelque chose de beaucoup plus universel. Même si Angot ça peut toucher, Houellebecq c'est beaucoup mieux. C'est vous qui, l'année dernière, étiez dans mon manuel de littérature pas Christine.

J'ajouterai que le goût du secret dans lequel doit s'épanouir le roman me fait aussi défaut, j'ai du mal à ne pas rendre publique sur-le-champ ce que je viens d'écrire, d'où le fait que je tienne un blog, mais je n'ai pas envie de vous montrer ce que j'écris, ce n'est pas comme si vous étiez un éditeur et j'ai peur que vous pensiez que maintenant j'agis par intérêt, puis par rapport à vous j'ai un peu honte de ce que j'écris, c'est bizarre, j'ai l'impression de pouvoir dire que ça ne vous plaira pas, je dis ça très très sincèrement. J'aime comment vous écrivez mais je n'écris pas comme vous.

Finalement vous aviez raison, quelque chose en vous fait que les gens viennent vous voir pour vous parler de choses intimes, à votre place j'aurai plutôt tendance à vouloir qu'on me laisse tranquille, "y'a les journaux intimes pour ça", des trucs dans le genre.

Avant de vous parler d'Ennemis Publics je voudrais en finir avec mon prof d'histoire géo :
Il a finalement acheté le livre pendant le week-end, je suis entrée en classe, il fumait sa clope en bas, il en fume entre chaque cours alors à chaque fin de cours il est pressé et on doit se dépêcher de sortir. J'ai vu le livre près de son ordinateur, ça me décevait un peu, ce côté "chacun son livre", ça nous privait d'une discussion. Bon, mais il y a plus que ça, il a carrément lu votre première lettre à toute la classe, la chute très drôle sur le générique de Ratatouille et la musique électronique, passage qui tend à devenir culte. J'étais très émue mais la classe, bon, elle attendait son cours sur le modèle soviétique.

Ennemis Publics :
J'ai fini le livre ce matin dans le métro, entre deux stations. Ma première impression, là, comme ça, en fermant le livre, c'est que bon, forcément un de vous deux en sort plus gagnant que l'autre et que ce "gagnant", c'est bien vous.

BHL je ne le connaissais donc pas et puis cette correspondance nous livre à peu près l'essentiel : le bougre a eu ce qu'on appelle "la grande vie" et tout au long du livre il ne fait que se la péter, se vendre, vendre ses livres, "quand j'écrivais...", "au moment de la sortie de...", genre "rétrospective BHL au Centre Pompidou", il ne fait qu'énoncer ce qu'il aurait aimé entendre de lui, avec ce regard très extérieur sur lui-même qui le mythifierait presque : ce n'est pas ma faute si je me préoccupe tant du sort des autres hommes, ce n'est pas ma faute si j'aime autant les mots (les mots sont plus vivants que nous, bordel), si je suis bibliophile (quelle tare!), name-dropping à toutes les pages comme si on avait demandé quelque chose, érudition nauséabonde et pas franchement nécessaire : tout pouvait être dit plus simplement.J'ai trouvé ça tellement triste,  si peu respectueux de vous, de vos paroles discrètes qui essayaient de ne pas s'éloigner du but premier, cette fameuse littérature de l'aveu (très beau terme). J'ignore si l'objectif est atteint, j'aurai plutôt tendance à dire que non, avec un BHL aussi imbu de sa personne, assez fin, assez intelligent mais fondamentalement un peu con, le genre de mec à écrire littérature avec un L majuscule, on ne peut pas pénétrer au fond des choses.

Son journal intime qu'il tient depuis 30 ans (en parler dans un livre "buzz", quelle bonne idée...), sa rencontre avec Aragon, son père, son besoin de "grande vie",  sa vie, d'ailleurs, qu'on croirait uniquement composée de relations, de liens, de pistons, de noms propres. Ce n'est pas franchement de l'aveu, ça ne fait pas mal aux doigts ni au coeur d'écrire ça, on ne se dit pas "bon tant pis, après tout ce livre est là pour ça", non vraiment avec BHL en face de vous vous ne pouviez y arriver. Je pense savoir ce que ça fait d'écrire des choses "inavouables" sur soi, ce n'est certainement pas avec cette facilité et cette volubilité qu'il possède qu'on écrit ce genre de choses, il aurait dû nous avouer son incapacité à se livrer tout à fait, là on aurait approuvé.

Vous êtes maintenant son ami et je pense qu'on ne peut que trouver les gens sympathiques à force de traîner avec eux. J'ignore si en lisant ses courriels sa pédanterie vous a frappé, irrité, beaucoup de zones d'ombres quand aux circonstances de cette correspondance. Viendra le jour où cette histoire d'"Ennemis Publics" sera assez vieille pour que vous en donniez votre avis.
Je dis tout ça mais finalement il y a des choses à retenir, parfois il est lucide, parfois il est même assez rigolo. Quand par exemple il parle des moments où il a dû en venir aux mains, j'ai envie de le croire parce qu'on a tendance à s'imaginer que les intellectuels sont de gros bébés peureux, ça lui donne de l'originalité, de la virilité, je l'avoue, même si je n'exclue pas une part de fabulation dans la majorité de ses récits, ce qui fait que sa vie ressemble à un film et la vôtre à une vie, son manque d'objectivité, sa fougue un peu ringarde.
Pour finir sur BHL il y a ce moment où vous avouez, c'est vraiment le mot, que cette correspondance avec lui demeure en ce moment votre seul et unique plaisir, cela m'a rendu le personnage BHL encore plus sympathique. Vous êtes très mignon quand vous vous y mettez.

Maintenant je vais vraiment vous parler de vous
Cher Michel (c'est comme si je recommençais la lettre), ce livre est tout à votre avantage, ce livre, si on vous aime comme je vous aime, avec admiration, respect et profond dévouement, ce livre est bouleversant.
J'ai entouré, souligné, marqué avec des petits marques-pages autocollants ce qui m'a plu, une cinquantaine de passages, peut-être plus, et j'ai des choses à vous dire mais je crois que je vais aller vite parce qu'il est un peu tard et que je dois finir Roméo et Juliette pour demain.

" On écrit aussi parce qu'on a lu, ça me paraît une évidence; c'est quand même une sorte de conversation, à travers les siècles, qu'on poursuit. Alors je sais bien que ni Pascal, ni Dostoïevski, ni Baudelaire ne vont se lever de leur tombeau pour me répondre. Je le sais, et ne le sais pas; parce que je me comporte exactement comme s'ils allaient le faire. Décidément, on n'est jamais aussi rationnel qu'on l'imagine.

Que ce soit une bonne vie, une belle vie, j'avoue que j'ai des doutes. Qu'est-ce que c'est cette vie où l'on ne peut pas faire trois pas sans prendre son carnet de notes?"
Inexplicable, vraiment inexplicable, presque exagéré mais ce passage m'a fait tomber les larmes des yeux. Peut-être à cause de ce qui suivait (des choses tout aussi importantes), de mon état d'esprit : 2 heures du matin, mon lit, mon petit mal de ventre à cause de mes règles, tranquillité émouvante. Je ne sais pas mais j'ai pleuré.
Parfois donc je pleurais, une seule fois en fait, le plus souvent je souriais, je rigolais, bonheur bonheur bonheur.
Lorsque vous parlez de cette correspondance entre votre date de naissance et celle de Victor Hugo, que pour vous ça signifiait quelque chose, j'appelle ça de l'aveu, parce que c'est précisément ce qu'on garde pour soi, nos faiblesses, nos jeux et nos persuasions intimes, tout ce qui est tout aussi bizarre que personnel, notre part d'enfance, de simplicité. Et parce que j'ai exactement la même anecdote en moi : un homme m'a dit que j'avais des "yeux de fougère" exactement comme Proust, l'histoire pourrait se résumer à ça, vous connaissez la suite...

Vous savez quoi? Je vais arrêter ici, vous dire encore deux trois choses et aller me poser sur mon matelas, sous ma couverture :
D'abord, ce serait drôle et intéressant de continuer cette correspondance avec tout un tas de personnalités, je sais que c'est impossible, les critiques le prendraient très mal, tout ça, mais ça pourrait faire comme une collection, comme les Martine, Michel et BHL, Michel et Marc Lévy, Michel et Ardisson, on a le droit de s'amuser, "Ennemis Publics" est finalement autant un ovni que votre film. Quelle année pour vous...
Puis pour finir, ça m'a touché, l'idée qu'une date très approximative soit fixée pour notre rencontre, j'angoisse, et je sais que ça passera très vite, j'aurai voulu vous voir en automne, dans la semaine aussi, le temps est magnifique, les pieds traînent dans les feuilles et le coeur est léger. J'ignore ce qu'il restera de mois en "mars-avril".

Je vous embrasse et sachez que, vraiment, Ennemis Publics est un livre qui me conforte dans l'idée que je ne vous oublierai pas et que vous êtes quelqu'un de vraiment bien, de bon, d'une lucidité et d'une sincérité assez exemplaire, bref, une personne qui mérite de passer un bon week-end.

PS : je vous envoie un peu comme ça la photo de mon premier vrai contrôle d'histoire qui portait sur les Trente Glorieuses, le prof que j'aime bien et qui vous lit y a glissé quelque chose de très drôle que je n'avais jamais vu ailleurs dans ma scolarité, c'est sa façon à lui de faire naître les sourires.

PPS : j'ai ces deux phrases en exergue de mon blog, trouvées dans des lectures, je trouve qu'elles collent beaucoup trop bien avec l'entreprise littéraire qu'est Ennemis Publics, je vous laisse y réfléchir.

"j'ai soudain senti que je m'étais rééduqué moi-même, et justement par le processus du souvenir et de l'écriture" Dostoïevski
"Règle d'or : laisser une image incomplète de soi..." Cioran


de MH
à moi
le 12/10/2008

Chère Murielle,

Je vais repartir pour tenter de lécher mes plaies.
Ca peut paraître curieux, mais l'échec de ce film m'est beaucoup plus douloureux maintenant qu'à sa sortie.
Ce n'est pas la première fois que je le remarque : j'ai une sorte de dispositif d'insensibilisation qui fait que je ne sens pas tout de suite les coups. Mais ensuite, peu à peu, il y a comme une hémorragie interne.

Je vous embrasse,
Michel.

2 commentaires:

Vincent a dit…

(Je crois que Perec est un des écrivains préférés de Houellebecq : pas de chance)

Anonyme a dit…

Et aujourd'hui, janvier 2015, toujours fan de MH? Même après Soumission??
Même après l'affront de la rencontre manquée?
Mais c'est une belle histoire... S'il tombe sur le blog, il risque d'être furieux, non?
On attend que vous publiiez vous-même, Murielle: quel talent!