mercredi 6 octobre 2010



La fac reprenant, je retrouve jour après jour la totalité de l'atmosphère que j'avais délaissée en juin. En particulier cet ennui d'étudiant qui précède la fatigue, une fatigue qui ne vient pas du manque de sommeil mais de l'amollissement intellectuel qui procède de certains cours, celle qui pointe son nez malgré les neuf heures de sommeil, parce que tout semble être non pas endormi mais pire : pris dans une torpeur, un mouvement mou et qui bave un peu. Je me concentre sur ce phénomène, celui de l'ennui, qu'on oublie trop souvent de disséquer alors que l'analyse de l'ennui, de ses effets sur soi est la garantie d'une activité possible dans justement ce qui se caractérise par l'absence totale d'issue, de distractions assez distrayantes pour nous faire oublier l'état initial. "L'ennui c'est la conscience pure", cours sur la conscience de terminale. La scène de mon cerveau est absolument désertée, rien n'y entre et rien ne peut y entrer et la scène devient à elle-même son propre spectacle, son propre objet de contemplation, on applaudit pour faire venir quelque chose, pour encourager les artistes, personne ne vient jamais, on découpe l'attente en petits compartiments de dix minutes qui s'écoulent assez vite, on s'amuse à changer de point de vue : on s'imagine arrivé au bout de la fin du cours, on s'imagine arrivé au milieu du temps écoulé, on s'imagine revenir au début, on s'imagine demain, on voyage entre l'espérance, la victoire et le désespoir
. On connaît l'attitude la plus sage face à l'ennui: ne plus penser au temps, ne plus se projeter, ne plus jouer avec les minutes, ne plus rien tripoter, d'ailleurs concernant le temps il n'y a jamais rien à tripoter, il faut vivre l'instant présent qu'on est de toute façon obligé de vivre ou plutôt : il est obligé de nous passer dessus.
D'ici, d'en haut, du 21ème étage d'une tour qu'on regarde attendri par sa laideur, comme un enfant qui n'avait rien demandé, et en se disant qu'elle existera toujours. Le monde est poussiéreux, ce cours n'est rien, ce cours est médiocre, autre chose se passe ailleurs, mille situations et nous sommes bloqués là, on étudie la sociologie et encore on l'étudie mal, ça n'a pas de sens d'être comme ça médiocre, l'honnêteté nous ferait aller dormir. "De toute façon aujourd'hui vous n'apprendrez rien, rentrez chez vous, faites des choses qui vous font plaisir, en sociologie les livres suffisent".

A la fac il n'existe pas de licence de sociologie, seulement des options, c'est une matière qui doit en agripper une autre pour être crédible, un peu comme toutes les matières d'ailleurs mais un peu plus que les autres. Ce qui distingue le lycéen de l'étudiant c'est que l'étudiant, du seul fait de son choix connaît la valeur ou croit connaître la valeur de ce qu'il étudie, il la porte en lui dans les couloirs de la faculté, il la représente. Au lycée au mieux on représente le bac. C'est pour ça qu'à l'université on peut parler de différentes humanités: ceux qui font économie et ceux qui font philosophie n'ont absolument rien à se dire, la sociologie est au milieu de tout ça, peu d'étudiants s'attachent elle.
Le brassage à souvent lieu dans les ascenseurs, c'est là seulement qu'on peut entendre un très bref aperçu de ce que donne les TD d'économie ou de je ne sais quoi, mais dans les grandes lignes chacun se débarrasse assez vite de sa malveillante curiosité à l'égard des autres disciplines, et chaque discipline se résume à peu près ainsi: les économistes sont des débiles qui n'auront bientôt plus de vie hormis celle du bureau, les philosophes sont des snobs cherchant à se rendre incompréhensibles par tous les moyens, les géographes ne sont rien, les historiens n'ont qu'à apprendre par coeur sans jamais réfléchir, les étudiants en histoire de l'art sont des pédants bizarrement incultes, les étudiants en droit n'ont pas de personnalité, les étudiants en littérature jubilent à l'idée de surinterpréter un texte. On se retrouve aussi parfois rassemblés en cours de langues ou de sociologie. En cours d'anglais j'ai parlé à des filles passionnées par la gestion et qui voulait faire ça depuis la troisième, et ça me rendait triste; je n'ai pas essayé de parler de moi et de creuser le fossé, quand on peut ne pas faire naître l'incompréhension c'est bien de ne pas le faire, on ne peut pas se faire confronter des certitudes intimes, c'est trop tard. Le monde est vaste, on ne peut pas parler à tout le monde, c'est bien d'éliminer aussi.


Et cette abrutie en cours de sociologie qui ne veut pas choisir de textes à présenter en sociologie "ça m'est égal, y'a rien qui...tout me va", avec cette tête un peu ironique, un peu larguée, façon "tout est de la merde" alors que les textes et les auteurs que le prof écrit au tableau devraient l'écraser de respect : je dois faire quoi? les lire? les apprendre? ça servirait à quoi : ils existent sans moi, ils brillent sans moi. Ce n'est pas ici et ce n'est pas moi qui deviendrait quelque chose au bout de quelques contrôles continus. L'enseignement de la sociologie est tel que je me demande comment est-ce qu'on pourrait se professionnaliser, être utile à quelque chose du moins à soi-même. Un enseignement doit transformer: apprendre à lire transforme, apprendre l'existence de la philosophie aussi, on peut parler de "déformation éducative", il y a un avant et un après, on empiète un peu plus sur le réel. La sociologie transforme, parce que la sociologie passe le clair de son temps à clarifier sans cesse des situations, à établir des typologie, des concepts qui ordonnent immédiatement le réel. D'abord pour ça la sociologie transforme, mais de façon plus générale son seul principe, la seule conscience de l'existence d'une science qui ne pense pas que la société soit la nature et que nos actions et jusqu'à nos pensées sont déterminées par des faits sociaux qui les dépassent et nous donnent ce sentiment très ancien (qui doit être la première des intuitions liée à la sociologie) de pouvoir parfois étiqueter, classer, prévoir les comportements des autres et les siens propres. Savoir seulement ce qu'est la sociologie, ce qu'elle propose comme maîtrise sur le monde, et laissez l'imagination deviner le reste, les détails. Déceler ça et là et par soi-même, dans sa vie de tous les jours ce qui peut être un objet d'études pour la sociologie, ce qui donne le sentiment de posséder des lois implicites et connues depuis longtemps, se rendre compte que tout est objet d'études, c'est un jeu d'adultes, un jeu qui donne l'illusion d'une toute puissance encore mal maîtrisée et qui s'accroît avec l'étude.

4 commentaires:

laura a dit…

Bof. C'est un peu arbitraire de caractériser les gens par le cursus qu'ils suivent. Je suis étudiante en philosophie, et j'ai conscience que les études de philosophie n'ont aucun débouché concret. Pour briguer l'agreg ou le capes, les études -pour rester dans le sillage de la sociologie- montrent bien que le passage par la case prépa est nécessaire, voir ulm ou lyon pour l'agreg puisque les normaliens décrochent toutes les places. Si tu t'attardes sur le parcours de nos profs de fac, tu verras qu'ils sont pour la plupart ex-normaliens. (pour ma part, ils le sont tous ce semestre. Je parle des chercheurs, pas des chargés de TD)
Alors, non je ne regrette pas du tout d'avoir opté pour la philo quant à mes études supérieures, mais j'ai aussi conscience qu'il va falloir bifurquer à partir de la L3 pour essayer de me faire une petite place dans le monde du travail. Ceci dit, à la fac, à part les sacro-saintes filières droit & médecines -et encore!-, c'est pas mirobolant niveau débouchés. Et vu l'écrémage qui se pratique lors des premieres années, il faut s'accrocher.

Bref, la vie universitaire française est somme toute bien impitoyable pour nous... Prof, je sais que c'est no way. J'envisage donc de bifurquer vers de la psycho, ou tenter d'intégrer un master de management (oui c'est possible après la philo, en cas de bons résultats^^). Dieu me pardonne, je suis une vendue.
Et toi tu voudrais devenir quoi?

PS : je rejoins ta conception des étudiants en histoire de l'art.

laura a dit…

Et désolée si j'ai fait des fautes, je me suis pas relue.

Murielle Joudet a dit…

"Bof. C'est un peu arbitraire de caractériser les gens par le cursus qu'ils suivent."

"PS : je rejoins ta conception des étudiants en histoire de l'art."

;-)


Sinon j'aimerais devenir étudiante à vie.

laura a dit…

PS numéro 2 : Oh non, ne prends pas mal ma critique qui n'en est pas une d'ailleurs. Je ne me permettrais pas. Mon post scriptum était ironique, tout comme ton article, pour sûr partiellement.