samedi 11 septembre 2010


"En second lieu la délicatesse de goût est favorable à l'amour et à l'amitié, qui restreignent notre choix à un petit nombre de gens et nous rendent indifférents à la compagnie et à la conversation de la plus grande partie des hommes [...] Mais, pour faire allusion à l'expression d'un célèbre auteur français, le jugement peut être comparé à une horloge ou à une montre, où la machine la plus ordinaire suffit à dire les heures. Mais seule la plus élaborée peut désigner les minutes et les secondes. Quelqu'un qui a bien assimilé la connaissance des livres et des hommes a peu de plaisir, si ce n'est en la compagnie de quelques amis choisis. Il ressent de manière trop sensible les insuffisances du reste de l'humanité par rapport aux notions qu'il a nourries. Et, ses affections se trouvant ainsi confinées à l'intérieur d'un cercle étroit, il n'y a pas à s'étonner qu'il les pousse plus loin si elles étaient plus générales et moins distinguées. La gaîté et l'espièglerie d'un compagnon de table deviennent avec lui amitié solide, et les ardeurs d'un appétit juvénile, élégante passion."
David Hume, De la délicatesse du goût et de la passion, Essais Esthétiques

Septembre a toujours eu quelque chose d’un peu spécial, de très vivant. Déjà quand j'étais collégienne et lycéenne c'était un mois qui savait couler agréablement, sans se faire sentir. Dans une nouvelle tenue et une odeur de protège-cahier je faisais ma rentrée et pendant tout le mois de septembre je ne me sentais à aucun moment assaillie par le travail mais en passe de le devenir. Je savourais ce sursis pendant lequel les choses prenaient simplement le temps de s'installer. Ca venait progressivement et je restais sensible à ce progrès : comment passe-t-on d’une période neuve où les professeurs ne connaissent pas encore les prénoms de leurs élèves encore tout bronzés et presque motivés pour travailler, à une période d’ennui, de répétition, d‘évaluation. Je rentrais du collège et du lycée et je m’endormais très douillettement, je me souviens que je vivais n‘importe comment. Je me souviens que je dormais tout le mercredi après-midi en écoutant
Forever Changes de Love, jusqu’à ce que ma mère me réveille en gueulant pour que j’aille chercher Emile au centre aéré. Je faisais rarement mes devoirs, je les trouvais ennuyants, j'avais la grande vie sur internet. J’ai donc toujours aimé septembre, c’est une période douce, un mois autonome, un mois de transition où l‘on réapprend des gestes qui serviront toute l‘année, un mois où les nouveaux objets affluent. Il y a les rentrées des chaînes de télé, des radios, la rentrée littéraire, la rentrée scolaire, tout le monde rentre quelque part, on réapprend à réinvestir sa place ou à en investir une autre. A toutes les échelles de la vie les événements légers se chevauchent. Septembre est une sorte de renaissance artificielle, de saison inventée par l'homme.

Aujourd’hui septembre est un mois que je ne pensais pas si dur à écouler mais qui dans sa tristesse a quelque chose de doux. Je me sens un peu perdue, quand je me réveille vers midi, je mange du Nutella au creux d'une journée déjà entamée pour un paquet de gens. Je cherche un ordre à mes activités, un ordre que je semble avoir perdu. Je ne sais pas ce que je dois faire, je sais qu’il n’y aura pas de mission, pas de devoir, juste de grasses occupations et un sentiment de satisfaction ou d’insatisfaction au bout de la journée. Les cinémas, conscients de notre désoeuvrement nous bombardent avec cette pub de jeunes débiles qui marchent en souriant vers le MK2 Bibliothèque « 1 Max 2 Ciné, 1 place achetée = 1 place offerte seulement pour les moins de 27 ans ». Il y a donc les cinémas, et la lecture, mais je n'arrive plus à m'intéresser sincèrement à quelque chose, seulement à Houellebecq en fait. Je n'arrive plus à me concentrer, je n'arrive pas à m'arrêter de penser à des choses, pas des choses graves, juste un défilé de faits, d'objets, de projets, des pensées sur un tapis roulant. Un jour ma concentration reviendra, je sais que tout est temporaire.

Dès que je suis rentrée de Malte j'ai dû demander à Juliette ce que je faisais de mes journées avant, elle m'a tout rappelé. J'ai dit d'accord et j'ai refait comme avant sauf que je n'y croyais plus. D'un côté c'est dérangeant de vouloir faire autrement quand on ne peut pas, alors j'ai aménagé le temps autrement et maintenant je reste un peu plus longtemps au lit. Je ne sors qu'en soirée, car les soirées à la maison sont dangereuses, le monde se dresse contre vous et vous paniquez silencieusement, à 23 heures le calme revient un peu. En soirée donc, mieux vaut s'agiter dehors et faire croire que vous êtes parmi les choses et que les choses sont concernées par vous.
Réfléchir un peu en profondeur c'est réfléchir dangereusement, c'est finir par penser que rien ne vaut le déplacement et finir insensiblement par ne plus se déplacer. J'en viens même à penser que les choses de l'art qui parfois consolent ne valent que pour les personnes en bonne santé et que pour les tristes l'art équivaut à du sel dans une assiette vide.
Quant à la vie sociale, on peut avoir 19 ans et penser vaguement à en faire son deuil : quand on ne sait pas rassembler, que les discussions molles, inessentielles nous irritent, qu'on pense ne rien avoir à dire de spécial à personne: mieux vaut rester alité. A présent, au fond de toutes activités il y a un désespoir lasse qui brille un peu.


Lady Gaga - Alejandro

7 commentaires:

Anonyme a dit…

"on pense ne rien avoir à dire de spécial à personne"

truc de dingue ça. bizarre. presque inhumain.
pense à m'en parler, à l'occasion .

Murielle Joudet a dit…

"presque inhumain", calmons nos mots calmons nos mots, ne pas le ressentir ne veut pas FORCEMENT dire que ça n'existe pas.

Anonyme a dit…

bah oui. d'où le presque.

(CALME TOI, toi)

ashorlivs a dit…

"Alejandro", really ??

Vincent a dit…

Un commentaire pour t'exprimer mon admiration : il est bon de lire des blogs écrit par des personnes de ton — et de mon — âge qui échappent aux thèmes ennuyeux, aux récits d'aventures poussivement décadentes, à l'extraordinaire-ordinaire grossier, aux provocations naïves. On perçoit une exigence, et tu donnes l'impression d'avoir lu Proust, ça change. Et pas besoin d'aller si loin d'ailleurs, rien que la présentation est un soulagement.

Ah oui, une déception discrète pour le Lady Gaga de bas de page, j'avais entendu ta défense charmante de Billy Idol ; pourquoi en prendre si vite l'affreuse antithèse ?

Murielle Joudet a dit…

Merci Maxence pour les beaux compliments. Pour Lady Gaga, je veux juste un peu provoquer MAIS c'est aussi que je trouve qu'elle est en ce moment ce qui se fait de mieux du côté de la culture MTV.
Ca fait longtemps qu'on a pas eu d'artiste aussi excellente. Elle rate vraiment ses couplets qui sont un peu poussifs mais les refrains sont absolument parfaits, entêtants, et les clips sont vraiment bien faits, bien propres. Donc voilà, en ce moment je jongle entre Lady gaga et Neil Young, rien n'est incompatible.

Anonyme a dit…

nan mais c'est qui ce maxence tout pérrave qui se permet des critiques toutes balnaves

y scroit où ?

dégage mec.