jeudi 22 octobre 2009

Un certain Florian

J'ai connu Florian au moment du mail collectif envoyé par Quelqu'un à l'ensemble des étudiants en Sciences Humaines concernant le "week end d'inté". Dérouler la liste des destinataires et relever le nombre d'adresse Gmail fait partie d'un de mes plus grands et plus rares plaisirs. Florian était de ceux-là et son nom et prénom étaient écrits en toutes lettres avant le @, ma curiosité (dont la démarche ci-après à tout d'un automatisme et rien d'original) me portant jusqu'à la "vitrine" de sa page FB, l'avatar me laisse deviner un visage caché derrière un masque vénitien à la Zorro, je reconnaissais un garçon remarqué lors d'un cours de philo, arrivé en retard et prenant le cours sur une chaise contre un mur près de la porte. A première vue je l'avais trouvé très distingué, un peu éfféminé quoiqu'un peu ridicule, bref, le genre de remarque que l'on se fait dans l'égoïsme et la bêtise de ses pensées spontanées, je me parle à moi même comme à une bonne copine avec qui je pourrais me permettre la vulgarité. En TD les personnes en retard et qui n'ont pas de place (une place = une chaise et une table) doivent accepter d'être violemment exposées aux regards des autres. On aime à voir comment ils se débrouillent, ou tout simplement, ils sont face à nous, la lumière naturelle de leur visage toujours à portée de regard, ce sont des proies faciles, le regard aime les visages, il les mange tout crus.
Florian est tout frêle, il a de longs cheveux fins châtain foncé, des yeux bleus, une peau du blanc prévisible qui va de pair avec la couleur de ses yeux, une mâchoire un peu carrée, un peu enflée. C'est un physique qu'on sait très bien classer , on le voit et on comprend : on en a vu mille des comme lui. J'ai remarqué qu'il avait un peu d'acnée au niveau des joues, c'est très localisé et le reste est immaculé, ce qui fait que son visage se retranche tout à fait de ces deux trois boutons, ils ne sont pas lui, ça ne le concerne pas. La forme lisse et maigre de son corps m'effraie un peu. Je ne le sens pas à la hauteur de me protéger, j'ai l'impression que je pourrais le tabasser et gagner à tout moment, alors je le regarde comme, je ne sais pas, un beau vase qui n'irait pas avec mon salon.
Alors Florian est assis devant moi, ou derrière, et pendant les inter-cours, tandis que je suis pétrifiée de solitude, lui semble ne parler à personne. Il sort son bel exemplaire du
Léviathan (la veille je m'étais renseigné sur ce livre et son nombre de pages (1500 et quelques) l'avait tout de suite placé à la toute fin de ma liste des priorités, j'ai toujours un peu de mal avec les jeunes qui de façon un peu immature sautent des étapes dans leur lecture, je veux dire qu'il y a des raccourcis à ne pas faire et une hiérarchie qui s'établit au seul flair de l'intuition. Ils lisent un livre au capital culturel plus important qu'un autre pourvu que l'acquisition d'une culture de surface soit rapide et efficace, Florian n'est sûrement pas comme ça et je le pense plein d'innocentes intentions de gros lecteur mais il me fallait remettre les points sur les "i" avec cette catégorie de lecteurs malheureusement très présente autour de nous) qu'il lit distraitement, sort son Moleskine de sa serviette en cuir, il fait mumuse avec ses beaux jouets. Je le sens encore un peu snob dans ses rapports avec les autres, avec ce que cela suppose d'exigence mal placée, de gêne face à ce que l'on n'approuve pas au nom du bon goût. Sa vue m'est reposante, il vit dans le luxe et la volupté de ses petites affaires, le voir tranquillement plier son écharpe en soie bleu marine m'a relativement bouleversé, c'était tout un petit cérémonial. On le sentait encore en train de manipuler un objet neuf à ses yeux et qu'il n'aurait pas eu le temps de s'approprier. Son jean était très beau (non vraiment on voit tellement de jeans moches de nos jours qu'un beau jean mérite d'être salué sur ce blog), son manteau noir agrippé à sa chaise traînait un peu par terre et il aimait à faire bouger, à tortiller ses pieds pour faire plisser le cuir de ses Repetto Zizi blanche : c'est un peu comme ça que cela se passe quand on en revient pas d'avoir d'aussi belles chaussures, ça m'arrive aussi et c'est très bien : on a le recul approprié sur nos pieds et pas forcément sur le reste de notre corps.
Cet homme est une petite fille précieuse, accumulant assez de détails pour pouvoir rendre le tout cohérent et beau à contempler, mais je ne sais pas, il y a toujours chez la petite fille précieuse plus que la conscience de plaire, une forme de compréhension du style, de l'élégance qui est une des nombreuses manifestations que peut prendre l'intelligence et qu'on aime à rabaisser au profit d'une forme plus austère.
L'histoire n'a jamais commencé, je n'ai jamais adressé la parole à Florian, nos regards se sont déjà croisés, seule preuve qu'il doit être vaguement au courant de mon existence. J'ai remarqué que nous avions deux cours en commun et me demande toujours ce qu'il y a de mieux entre être placée devant lui (cela suppose qu'il vous regarde au moins une fois, surtout si vous avez un Netbook, on lui laisse l'occasion de nourrir une forme de curiosité à votre égard) ou derrière lui: dans ce cas-là on s'amuse à fixer les subtils mouvements et ondulations de son pull le long de son dos, un demi profil nous ravit et nous semble être le début d'une attention, d'une rencontre. De toute façon, il est toujours en retard en cours, ce qui me permet aucune marge de manoeuvre et à lui toute la liberté de se placer plus ou moins loin de moi, c'est un moment terrible à vivre où son choix indifférencié d'une place conditionne pour moi les trois heures qui suivent. Au final je dirais que Florian n'est finalement rien d'autre que la preuve du neutre ennui et de la neutre solitude que je viendrai d'atteindre en ces premières semaines de cours. La personne qui au premier abord nous indifférerait devient par un évènement ridicule le centre de notre attention, le coeur d'un jeu entre nous et nous-même, le personnage d'une fiction minuscule, trop bête pour être articulée, avouée, mais qui constituerait peut-être l'attrait principal d'un cours de philosophie morale de trois heures. En attendant de pouvoir parler à quelqu'un en cours (avoir un ami en cours ne signifie pas forcément bavarder sans arrêt avec lui, il y a aussi une forme de conversation qui se fait dans le silence et par le seul fait de la relation qui unit deux amis entre eux; ils continuent d'avoir des intentions l'un envers l'autre, n'hésite pas à penser ou à éprouver à la place de l'autre, dans le regard de certain ils ne fonctionnent qu'à deux, un peu comme une photo de famille où à sa simple vue se laisserait deviner dans leurs moindres détails les rapports entre chaque membre; c'est précisément cela que je recherche quand je parle d'amitié) je brode autour de lui et à son insu, je nous imagine parler dans les couloirs, il met sa serviette sur la chaise d'à côté pour me la réserver, j'en fais autant si jamais c'est moi qui suis en avance, on ne se voit pas vraiment en dehors des cours et l'apprentissage de nos points communs se fait lentement mais sûrement et dans une joie toute naïve et acceptée comme telle. Peu à peu je retrouve goût à la vie et parler de mes problèmes d'étudiante tragique et comprendre qu'ils sont partagés m'allège très simplement le coeur. Je le trouve plein d'humour, il n'est pas contre mes cernes.

1 commentaire:

Anonyme a dit…

C'est bon d'avoir des nouvelles.