samedi 30 janvier 2010

Une vie de malade

Faites l'expérience un jour, tombez malade et laissez vous porter par ce que vous dicte votre corps : le repos. Retrouvez vous alité, à penser malgré vous à des gens que vous ne voyez plus depuis des années, à vous-même, à vos amis, pensez-y assez longtemps comme on regarde sa propre photo assez longtemps pour ne plus y voir qu'un étranger. Pensez-y jusqu'à que tout cela se détache de vous. Pensez à cette agitation constante qu'est votre vie quand la maladie se tait, pensez aux personnes qui sont au cinéma ou au restaurant, qui discutent entre personnes en bonne santé au moment où vous êtes le Grand Invisible, le Grand Absent, elles ne pensent pas à vous, comme ces cours que vous séchez et qui se poursuivent imperturbablement. Même votre mère ne vous dit pas "bye" quand elle sort, elle doit vous penser endormi, ou trop faible pour répondre, et on ne vous propose pas un thé ou des médicaments, il faut que vous demandiez.
Des pensées lucides vous viendront, comme si vous veniez de digérer des mois et des années de réel et d'agitation en quelques heures et que le bilan se faisait depuis ce large trône un peu mou qu'est votre lit. Vous laissez l'affairement aux autres comme si vous l'aviez choisi, vous n'êtes, pour un moment, plus concerné par le monde, en retrait, et constatez que c'est faisable de ne plus être sollicité par rien ni personne, qu'on disparaît le plus souvent dans la plus grande indifférence : vous relativisez votre importance, vous n'êtes en fait pas grand chose et plus personne ne l'est à vos yeux d'ailleurs, tout est vain, c'est vertigineux. Vous concevez en pensées un monde dont vous ne comprenez plus comment il marche, vous avez oubliez le truc: c'était devenu une habitude de se jeter à l'intérieur et de marcher de ce pas assuré et de ce regard concerné, adulte, qui sait où il va ou qui fait mine de le savoir. Aujourd'hui cette habitude vous en reprenez conscience et son sens vous échappe, vous pleurez en pensées au milieu d'une rue bondée, d'un grand magasin, et cela vous semble la seule chose raisonnable à faire.
Comment arriviez-vous à appréhender le monde en un tout facilement déchiffrable dans les pages des journaux alors qu'il n'y a rien de plus déconstruit que lui, de plus indépendantes que toutes ses parties. C'est presque magique cette retraite, mais aussi très dangereux, et vous comprenez pourquoi Pascal disait "
Tout le malheur des hommes vient d'une seule chose, qui est de ne savoir pas demeurer en repos, dans une chambre.", cela prend sens une fois qu'on y est. Ce repos est salvateur, un peu déprimant, vous ne pensez qu'à vous en échapper et pourtant ce spectacle introspectif un peu morbide vous plaît en même temps qu'il vous horrifie. D'autres s'agitent pour tenir à la surface de l'eau, pendant que vous vous laissez couler dans l'étrangeté et le calme des fonds. C'est un degré de sagesse en plus de gagné, assez facilement mais non sans douleur. Vous êtes à la place idéale du mort qui regarde comment le monde se porte sans lui, qui témoigne de l'arrogance des vivants : le soleil s'est levé, des hommes se sont habillés pour sortir, pour agir, la maison est vide. Rien n'a bougé, rien ne dépend de vous, et vous (vos pensées) ne dépendez de personne.
Vous vous retrouvez vous-même, les couches de civilisation et de rôles sociaux se sont évaporés, il ne reste plus que cet être si peu sûr de lui, si solitaire, admirant les autres, ces "monstres incompréhensibles" et n'arrivant à rien penser de lui-même sans leur regard posé sur lui. Vous êtes un petit animal faible, la fille, le fils de personne, l'ami(e) de personne, l'étudiant(e) d'aucune université, vous êtes le noyau d'un fruit, ce sur quoi s'agrippe la chair mais sans laquelle il ne sert plus à rien et que l'on jette à la poubelle sans états d'âme.
La paresse obligée du malade vous semble ne plus qu'être la seule attitude à adopter devant la vie, et c'est pour cela qu'avec la guérison se joint rarement une amélioration visible de votre comportement, vous aimez vous complaire dans votre état, lancez des "attendez pas tout de suite, encore un peu", par des sortes de rites répétitifs afin de prolonger le statut de celui-qui-a-droit-au-repos. S'il était possible vous laisseriez tous les inconvénients de cette vie de malade pour n'en garder que les privilèges, vivre tel un roi affaibli.
La paresse est cette attitude qui consiste à jeter indifféremment à tout ce qui se présente à vous des "A quoi bon ?" auxquels personne ne peut véritablement répondre puisque de toute façon le paresseux n'en écoute pas la réponse. La petite maladie serait alors cette chose qui vous somme d'arrêter de ne pas vous demander "A quoi bon ?".

2 commentaires:

ashorlivs a dit…

La paresse est cette attitude qui consiste à jeter indifféremment à tout ce qui se présente à vous des "A quoi bon ?"

La dépression aussi.
Dont la procrastination est une manifestation patente :(

D'ailleurs est-ce que je vais vraiment envoyer ce commentaire maintenant ?...

Anonyme a dit…

Il faut prendre la citation de Pascal avec modération... sinon c'est de l'oblomovisme :P
Il me semble d'ailleurs avoir déjà lu quelque chose sur Oblomov sur ce blog... Si pas déjà lu, je te le conseille!