samedi 22 août 2009

Les tâches ménagères, un peu comme tout, ça prend le temps qu'on leur accorde. Si on veut que ça dure trente minutes ça durera trente minutes, si on veut que ça dure un week-end ça peut facilement durer un week-end et alors on en vient à nettoyer l'intérieur des serrures jusqu'au balais lui-même et des conneries du genre. La dernière fois, impossible de dormir, j'ai donc attendu que mon père se rende au travail pour me lever et nettoyer le sol de la cuisine en écoutant Esprits critiques sur France Inter. C'est drôle, ça ne changera jamais et c'est plutôt touchant, cette vieille histoire entre mon père et moi qui fait semblant de dormir. Je crois que j'ai passé plus de temps à faire semblant qu'à dormir vraiment. C'est un jeu à sens unique, parce que s'il savait ce ne serait plus un jeu, il faut forcément une victime à maintenir dans l'illusion, une victime éveillée qui penserait à la faiblesse de l'endormi que nous ne sommes pas. Avant il y avait bien une raison de faire semblant : c'était pour éviter qu'on m'engueule, aujourd'hui je ne sais pas, peut-être l'habitude de la crainte. La dormeuse restera mon plus beau rôle, cela suppose un peu de créativité dans les poses, un truc un peu bohème et incompréhensible comme peuvent l'être les endormis.

Joyeuse, donc, de pouvoir enfin écouter les émissions que je rate faute d'être disponible à ces heures-là, et pour cause : à l'heure d'Esprits Critiques je suis déjà loin dans mon bus direction le lycée, sinon c'est que je dors (ou fais semblant?). Un sociologue de l'art parlait, me passionnait, répondait à mes questions les plus intimes, des questions aussi informulées que parfaitement ancrées en moi.

Décrasser un sol, voilà ce que j'appelle une tâche concrète et qui ne peut être que source de satisfaction, de répit. On travaille à restituer une surface à son état originel, et la satisfaction qui en découle n'est pas une seconde émoussée par l'idée que cette surface sera de nouveau salie. Il faut absolument que je recopie un de ces jours de jolies pages sur les tâches ménagères lues dans un essai qui s'intitule Les gens de peu et qui m'a révélé beaucoup de choses sur ma mère.

Rigolo comme le simple fait d'acheter un billet pour une nuit Tarantino vous rend plus accessible, plus "coul" peut-être aux yeux des autres. Le monde s'ouvre à vous. Le caissier de la billetterie de la Fnac Saint-Lazare semblait vouloir discuter vaguement, je ne suis pas contre, je dis juste que si j'étais venue acheter un billet pour un spectacle de Robert Hossein le départ de discussion n'aurait jamais eu lieu.

J'ai fait croire à mon père que j'y allais avec une copine, sinon il aurait eu peur. Premièrement que je sorte si tard le soir et toute seule, normal, et deuxièmement il n'aurait pas compris pourquoi j'accepte d'y aller seule, comment me vient l'idée d'y aller si je suis seule. Dans certains cas et pour certaines personnes la solitude est inquiétante, un peu bizarre, un peu honteuse, moi je me force seulement à l'apprivoiser, à la comprendre comme un état naturel.
Il doit en avoir marre qu'à chaque fois qu'il me demande ce que je fais de mes journées je lui réponde "je vais au cinéma", il lui est arrivé de me dire "mais y'a plus de films à voir là, t'as tout vu". Je lui ai déjà dit que j'allais dans d'autres cinémas où repassent régulièrement de "vieux films" (je n'aime pas cette expression, elle est porteuse d'un imaginaire mensonger légèrement pompeux). S'il le voulait vraiment, je garde à sa disposition les tickets de cinéma avec titres des films et dates, on pourrait aisément reconstituer le mois d'aout dans sa totalité. Quelque part ça me rassure d'être en possession de preuves aussi irréfutables, c'est presque trop simple.
Je l'attends.

Réveillée à 15 heures, j'ai fait un peu de ménage, beaucoup de glandage, puis on regonflé les roues de mon vélo et je l'ai enfourché pour aller nourrir le chat de Marie, ça m'a fait du bien de me dégourdir les jambes, de répéter mécaniquement un geste censé vous purifier le corps, la tête, un peu tout. C'est une répétition comme un rite, qui a quelque chose de religieux. Avant de partir pour ne revenir qu'au petit matin j'ai bien pris soin de ne rien oublier, quelques barres de céréales anti gargouillements cinéphiliques (on devrait inventer une marque, genre Cinésnack avec des emballages et des textures absolument silencieuses) qui vous laisse toute confuse une fois que les lumières de la salle se rallument, une bouteille d'eau, des mouchoirs, un gilet comme j'imaginais qu'ils allaient s'emporter sur la clim.

Je suis allée voir Là-haut pour me chauffer un peu, ça faisait longtemps que je n'étais pas allée dans une salle UGC et il est difficile de ne pas résister à l'envie de souligner le côté impersonnel, un peu usine du dispositif, avec la caissière dont le regard laisse deviner qu'elle n'est encore plus trop loin d'avoir fini son boulot. Mais c'est tellement prévisible de ma part que je préfère ne pas développer. Je me snobifie lentement, je me dégoûte, parce que ça s'accompagne forcément de reniement de ce que j'ai été.

Je vais voir les Pixar sans jamais me poser de questions, il faut les voir, même sans grande envie, on sait qu'on en ressortira convaincu. Les couleurs, les images, la morale tout est très beau dans Là-haut et très doux aussi, comme un sachet de bonbons coca cola bleu et rose avec le sucre qui reste au fond. L'humour est subtilement dosé à l'inverse de l'Age de glace qui n'est rien d'autre qu'un sac à gags sans épaisseur. Il y a des ballons, des milliers de ballons de toutes les couleurs, c'est d'une beauté toute bête mais qui fonctionne affreusement. Et au fil du film on voit ce gros bouquets s'affaisser, se déplumer, on craint qu'il ne disparaisse, que le charme de l'accumulation soit rompu. J'ai trouvé la morale très forte, très élaborée et très bien amenée tout le long du film, ce n'est pas juste un prétexte pour sortir les ballons mais bien un message sincère que l'on colore un peu, que l'on atténue afin de pouvoir le servir aux enfants. Je me mets à la place d'Emile et si j'ai été un tant soit peu attentif j'en ressors forcément modifié. Un jour une situation bien précise fera écho à ce film et le lui remémorera, le cinéma est une bombe à retardement. A son retour j'en discuterai avec lui autour d'un bol de Miel Pops.

Il faudrait se pencher sur la morale de tout les Pixar. Par exemple, prenons Toy Story, chef-d'oeuvre inégalé des studios Pixar où nous assistons au passage à la vie adulte de Woody qui apprend à mettre son ego de côté pour se plier à une sorte de devoir de fraternité envers Buzz l'éclair, devoir que tous les autres jouets ont d'emblée à son égard. Si Woody est bien l'un des héros de Toy Story c'est justement parce qu'il est le seul a posséder de l'amour-propre et à ressentir âprement des sentiments aussi forts que la jalousie, la nostalgie d'une époque où il était le jouet préféré d'Andy ou encore l'abandon. C'est un personnage très tourmenté, qui a d'abord les actes que lui inspirent ses sentiments (il fait des crasses, il vanne grave), s'ensuit la prise de conscience, devant les conséquences de ses actes qu'il ne contrôle plus, de son immoralité qu'il tentera de renverser en allant sauver Buzz l'éclair.

En sortant je me suis attablée à un café où j'ai aimé profiter de l'occasion pour commander un café crème, moi qui m'interdit normalement le café en soirée pour ne pas aggraver mes difficultés à m'endormir. J'avais d'abord passé la nuit dernière sereinement en me disant que concernant l'heure du coucher, le plus tard serait le mieux vu qu'une nuit blanche m'attendait le lendemain. Café et veille jusqu'à pas d'heure, voilà mes règles de vie idéales.

Au Reflet il n'avait plus de crumble ni de fondant au chocolat, j'ai toujours vu Marie et Cécilia en commander devant moi et me laisser en goûter un échantillon qui me donnait un éclatant aperçu de ce qu'elles étaient en train de déguster et rendait insipide ce que je pouvais avoir devant moi. J'ai revu mes exigences à la baisse et j'ai demandé un Coca light avec un sourire qui voulait dire "oui c'est ce que je commande une fois tout les deux jours quand je viens ici, je voulais changer mais vous ne m'en donnez pas l'occasion". J'espère qu'il a compris, par ailleurs ce serveur est étrangement sublime, avec une voix, comment vous l'expliquer...si un fondant au chocolat avait une voix il aurait celle-là.

The Servant de Joseph Losey

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