mardi 27 mars 2012

Nostalgie de la lumière

j'ai encore bu un kir avec le ventre vide, déjà hier c'était le cas, c'était un kir énorme mais dès que je me suis dit "énorme n'est pas le mot, dis toi plutôt qu'il est généreux et donc réjouis toi", alors je me suis réjouis, la belle translucidité colorée faisait tout de suite penser aux joues des filles ivres et à des bouches brillantes et sucrées, au fond j'ai toujours aimé certaines boissons pour l'imaginaire qu'elles convoquaient plutôt que pour ce qu'elles étaient vraiment, le kir était sur sa fin, un peu dégueulasse et j'avais faim. Déjà une petite ivresse me collait aux pattes, une conscience-ivresse comme une altération déplaisante parce que tout à fait inutile, pour l'inspiration, pour l'intensité de la vie. Aller sur cette terrasse de café et commencer à lire c'était ma façon à moi de faire comme si le printemps changeait quelque chose, pourtant j'ai toujours détesté les beaux jours et mais commencer à les aimer ne m'inquiète pas, je n'ai pas l'impression de céder à une mode ou de perdre une quelconque excentricité, je préfère constater que je suis heureuse plutôt qu'excentrique, l'adolescence se termine et on commence à se tourner plus volontiers vers la lumière. Le pessimisme de mon adolescence était comme un luxe que j'admire encore pour sa radicalité, je n'espérais rien et mon visage était vidé par la tristesse, c'était une dépression d'une telle pureté et d'une sincérité déchirante en même temps qu'un luxe que seul peut s'offrir l'optimisme objectif de la jeunesse. Je me souviens n'avoir jamais été autant malheureuse de ma vie, mais c'était une tristesse sécurisée, retenue par mille filets de sécurité qui me séparaient de tous les âges de ma vie : ma jeunesse s'est ainsi déroulée en vase clos, elle ne concerne ni n'entache vraiment le ciel ouvert de mon âge adulte, cet âge qui semble donner à chaque moment et à chaque perception son importance, son influence décisive sur l'existence toute entière, certaines perceptions, certains moments sont moins décisifs que d'autres mais reste que tout est décisif, rien n'est oublié et nous sommes toujours au bord d'un traumatisme, d'un vacillement - voilà la responsabilité, même les perceptions sont responsables, nous commençons à devenir la somme de quelque chose alors que l'addition de la jeunesse est oubliée.
Ce fond de l'air printanier est indescriptible et me bouleverse, j'aimerais que ce ne soit pas dû à un souvenir important vécu dans cet atmosphère, j'aimerais être capable d'être bouleversée par autre chose que par des résurgences, que mes sentiments du moment poussent comme des caprices qui n'appartiennent qu'à moi. Bref cet air, si je devais le décrire, je dirais qu'il est comme le début d'une moiteur, qu'il me donne le sentiment que des choses se passent pour les autres (des romances, des choses comme ça), que j'en serai possiblement le témoin mais que de mon côté rien ne se passera. Cet air printanier c'est comme le sentiment tragique de la vie, d'autant plus tragique qu'il ne me serait pas adressé. Une fille devant moi tâte les Vélib comme on tâte les fruits chez le primeur pour en choisir les meilleurs, j'ai déjà vu cette façon de procéder des dizaines de fois, aller d'un Vélib à un autre, donner un petit coup dans les roues, mais ce n'est que maintenant que la comparaison me vient comme une fulgurance parfaite.
Cette terrasse de café et puis maintenant cette marche, se dire que rentrer à 21 heures c'est raisonnable sans être déprimant, ce n'est rien d'autre qu'une manière de graisser le fil de la pensée, lui rendre un peu de sa plasticité, faire comprendre à chaque idée, chaque émotion, que sur le sol aplani et serein de l'oisiveté elles peuvent toutes surgir à tout moment. Je déteste la rondeur ambiguë du lundi, qui nous fait croire au recommencement chaud et douillet d'un cycle alors qu'on ne peut s'empêcher de penser que la semaine n'existe pas et que la rondeur des cycles, la quotidienneté, ne sont là que pour hacher menu l'irrécupérable, le rendant facile à avaler.
En sortant dehors tout à l'heure je me suis studieusement rappelée qu'il fallait être fasciné par la lumière, par sa générosité et sa rondeur, elle dégouline sur le monde comme un liquide phosphorescent, un acquiescement à tout ce sur quoi elle se penche. Ici l'acquiescement est total, tout est maintenant illuminé et cette lumière rend à toute chose sa concrétude, sa lucidité : les rues, les bâtiments et les trottoirs réintègrent leur pleine solidité, les contours de la ville sont mieux esquissés, on se casserait les dents même contre les ombres.Voici le trottoir et voici la boulangerie, sous cette lumière on ne peut plus se tromper, toute vision a quelque chose du choc frontal, le visage des autres est découvert jusqu'à la racine des cheveux, on voit jusqu'aux mains un peu gercées, jusqu'aux doigts de pieds étouffés de vernis mal étalé, les gestes sont d'une irréductible clarté, on sort son briquet avec la plus grande franchise et jeter un simple coup d'oeil à un homme consiste ici, dans cette lumière, à le dévisager.

2 commentaires:

Rimbaud a dit…

C'est vrai le début de l'été c'est vraiment la déprime, tant de joie et de bonheur possibles mais si peu de choses positives qui arrivent en fait. Le soleil c'est le putain de projecteur qui veut te faire danser mais qui ne sert qu'à éclairer la médiocrité de ta life.

uiop a dit…

Murielle n'abusons pas des bonnes choses tout de même : reviens-nous !