mercredi 12 mai 2010



Il y a des jours, et de plus en plus souvent, où j'explose d'amour pour le monde (pour ce que je pense du monde, pour ma réalité), c'est une impression à la fois apaisée et turbulente, de douce violence, sucrée et amère en même temps, le corps est aux bords des larmes, il veut crier et se taire, s'évanouir confortablement, s'évanouir pour mieux y participer puisque les choses du monde semblent s'évanouir les unes sur les autres, tenir dans un ensemble heureux et solidaire. Simplement envie d'acquieser, de dire "d'accord", d'accord à tout. C'est quelque chose du coeur, quelque chose du corps, quelque chose dans la tête. C'est une dépression solaire.

Le garçon de café au Sorbon, je sors pour fumer, il me prend le manteau des mains, je ne comprends pas tout de suite, il me l'ouvre pour que je l'enfile, comme dans les vieux films et dans la vieille vie, c'est d'une galanterie affolante, je dit "c'est vraiment trop gentil, merci beaucoup".

L'autre serveur qui me dit "c'est mignon d'être en cours et de mettre des petits coeurs comme ça, c'est pour le "par coeur"?
- même pas"
En fait je parlais de Monsieur Franck à ma soeur et je traçais des coeurs sur mon cours.
Il me demande aussi un sourire, que je lui donne volontiers même si je ne suis pas de ces visages qui irradient en souriant.

Terrasse d'une boulangerie (la meilleure) rue des Ecoles, je sirote un Ice Tea avec mon livre à côté de moi, un bel homme aux cheveux gris se poste à côté de moi sans bouger, je me retourne un peu troublée
- Excusez moi je pensais que c'était la première de couverture d'un livre de Chesterton
- Ah non c'est Goethe
- Il y a plein de jeunes romantiques solitaires qui se sont suicidés après cela
- Oui j'ai vu ça en lisant Barthes...mais vous inquiètez pas je ne me suiciderai pas
- Aujourd'hui ce serait plus possible, ce serait d'une ironie tellement féroce que les gens auraient peur qu'on se moque d'eux après leur suicide...Au revoir
- Au revoir.

J'attends Sophie dans le couloir et j'angoisse à l'idée de le croiser même dix secondes, je suis incompréhensiblement traversée de fureur, de fièvre, mes pensées sont moites, tout est distordus, les gens qui passent sont des figurants, il est le seul réel et il arrive. Et comme si ça ne suffisait pas j'ai Les Souffrances du jeune Werther dans les mains, lui qui se jette par terre, lève les mains au ciel, mouille de mille larmes la main de Charlotte, je me moque mais pour une jeune fille de 2010 je ne suis pas mieux, je suis malade et conne. Je colle mon oreille à la porte pour écouter le cours, pour retrouver ce discours caressant, en pensant qu'en un an je suis passée de l'autre côté de la porte, d'abord élève et maintenant exclue, gênante, touriste. Il parle avec son ton professoral d'étonnement permanent, bien articulé, il s'étonne à la place des élèves, pour eux, pour leur dire : ceci doit faire l'objet d'un étonnement. La sonnerie crie, la porte s'ouvre et annonce le flot d'élèves jusqu'à Sophie qui tient la porte et lui que je vois de dos derrière, pantalon marron, col roulé noir, veste noir, dans une attitude un peu insolente comme il lui arrive d'en avoir. J'aimerais qu'il se retourne, qu'il soit impatient de me voir, mais il traîne alors je boude et embarque Sophie loin de la porte mais pas non plus trop loin, je suis aimante et aimantée à lui. Silhouette adorée que je reconnais et que je chéris de dos, de profil, de face, dans l'absence aussi; mes joues me brûlent.

Si tu savais tout (Les femmes de mes amis)
- Hong SangSoo

2 commentaires:

Anonyme a dit…

L'amour donne aux jeunes filles de belles couleurs aux joues.

Juliette a dit…

joues brûlantes de Murielle / larmes rafraichissantes de Werther ;
Murielle se tient debout derrière la porte, étrangère / Werther se jette par terre